sam 27 avril 2024 - 08:04

Le mot du mois : « Imaginaire »

Le mot participe en latin de l’idée d’imitation. Une image copie le réel, même de manière très éloignée. D’où la méfiance qu’elle peut inspirer. Les Grecs, à ce propos, n’ont jamais fait de distinction très nette entre imaginer, feindre et mentir.

Imagerie, imagination, imaginaire.

Le propre de l’imagination est d’être surpris par ce qu’on a justement l’habitude de voir, en se laissant emporter dans une déformation ou une re-formation, pourrait-on dire, selon des critères de regard autres. Il n’est qu’à détailler ce que fait le génial dessinateur-graveur suisse, Max Escher.

L’imagination se montre la “folle du logis” dans une maison ivre d’elle-même.

Le clair-obscur, l’obscurité contribuent à ce règne de l’imaginaire. Peut-on imaginer l’étonnement, la peur, voire la terreur qui saisissaient les hommes des cavernes, plongés dans l’obscurité et qui entendaient des voix parler autour d’eux, des parois parlantes, sans corps ni visages, mais avec leurs seules voix, qui parlaient la même langue qu’eux ?

Marcel Proust, si pointilleux dans la description de la réalité ambiante, disait : “Laissons les jolies femmes aux hommes sans imagination.” Comme si la réalité de la joliesse ne laissait pas d’espace au délire potentiel d’une autre forme de beauté à inventer.

Ce qu’Albert Einstein exprime autrement : « La logique vous mènera d’un point A à un point B. L’imagination vous mènera absolument partout ».

Ainsi s’est-on toujours méfié de ce qui relevait de l’imagination, parce que la raison se montrait impuissante à la canaliser, donc à y exercer un pouvoir absolu. D’où l’interdit fait aux femmes de s’adonner à la lecture, comme contraire à leur fonction présupposée. Jugé néfaste pour l’imaginaire débridé, ce plaisir est perçu comme dérobé, clandestin, hors de contrôle autre que le rationnement de la bougie ! Dans cette “école de la chambre”, les filles, forcément autodidactes, ont de tout temps puisé les sources de leurs savoirs, de leur culture, depuis l’invention de l’imprimerie. Labouré aussi, hors de toute coercition, les champs de leur imaginaire en liberté.

Un espace de liberté dangereuse aux yeux de tous les tyrans domestiques, religieux ou politiques, qui n’ont pas encore trouvé la parade à cette échappatoire.

Et pourtant, dans leurs pires fantasmes d’enfermement et de désir de soumission, que de remèdes n’ont-ils pas tenté d’élaborer jusqu’au coeur même de l’intimité féminine ! Une des preuves les plus barbares, toutes sociétés confondues, en a été le raffinement exacerbé de la ceinture de chasteté… Le pire des imaginaires dans les sévices, au service de la pureté !

Mais il y aura toujours quelque baume, quelque parfum, tel l’encens, associé aux imaginaires de l’Orient, mille et une nuits de la saveur et de la langueur !

Et, quand l’imagination invente l'”antipode”, que de cris d’orfraie devant cette impossibilité à concevoir des êtres marchant la tête à l’envers, de l’autre côté d’une barrière de feu infranchissable qui entourerait l’Equateur ! Comment imaginer des fils d’Adam dans cette autre zone ! Vive la Terre plate pour écarter l’hérésie de cette inqualifiable croyance !

Rabelais invente la coquecigrue, mot-valise issu du coq, de la cigogne et de la grue, un oiseau imaginaire monstrueux, et son cortège de synonymes, illusion, fantasme, faribole, sornette, fadaise, baliverne. Une absurdité jubilatoire !

N’est-ce pas le physicien Etienne Klein, avec sa rieuse imagination, qui propose l’anagramme entre migraine et imaginer …?

Annick DROGOU

Tant d’images qui peuplent notre imaginaire. Imaginer, c’est se laisser embarquer vers une terre inconnue. Larguer les amarres, et voguer, simplement voguer, à partir de notre capacité d’infini. Ne rien faire, se laisser porter. Tout un univers de rêveries, comme on regarde le feu dans l’âtre, comme on contemple un paysage, comme on voudrait voir au-delà de l’horizon. Ciel illimité.

Qu’est-ce qui est réel ? Les apparences prosaïques ou l’imagination poétique ? Qu’est-ce qui est utile ? la frénésie digitale ou le silence de la main ? Qu’est-ce qui est aimable ? Seulement de vous imaginer heureux qui êtes là et de me souvenir de vous qui n’y êtes plus.

Légèreté, éther de l’imaginaire qui est le seul sensible. Imaginaire porté par l’amour premier qui peut transfigurer vos visages et le monde. Rien d’égotique ou de phantasmatique. Image ou reflet ; reflet de quoi ? Il y a deux façons d’utiliser un miroir : se mirer, se complaire dans sa propre image ou orienter le miroir pour découvrir et contempler ce qu’on ne saurait pas voir directement. C’est cela l’imaginaire ; un jeu de miroirs infini qui laisse apparaître des images si fugaces qu’on n’ose pas les reconnaître éternelles, comme entraperçues.

Jean DUMONTEIL

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Annick Drogou
Annick Drogou
- études de Langues Anciennes, agrégation de Grammaire incluse. - professeur, surtout de Grec. - goût immodéré pour les mots. - curiosité inassouvie pour tous les savoirs. - écritures variées, Grammaire, sectes, Croqueurs de pommes, ateliers d’écriture, théâtre, poésie en lien avec la peinture et la sculpture. - beaucoup d’articles et quelques livres publiés. - vingt-trois années de Maçonnerie au Droit Humain. - une inaptitude incurable pour le conformisme.

Articles en relation avec ce sujet

Titre du document

Abonnez-vous à la Newsletter

DERNIERS ARTICLES