Dans l’article précédent nous avons pu explorer ma carte de ce territoire imaginaire que j’explore depuis tant d’années, depuis tant de vies peut-être aussi. Car après-tout, personne ne peut démontrer l’indémontrable… et c’est bien là l’intérêt : la pluralité des approches garantie par une pratique adogmatique. A ma connaissance, c’est à dire selon mes expériences et mes savoirs, nos Rites et Rituels nous proposent une méthode qui est constitutive de mon idéal initiatique et maçonnique.
C’est cette méthode, qui se désire adogmatique, qui permet à la Franc-maçonnerie de s’idéaliser universelle. Même si l’espace sacré de la Rencontre permet l’ouverture du compas, c´est dans la doublure et les couleurs de nos Tabliers, derrière les larmes de nos cordons et sautoirs, dans la matérialisation de nos représentations symboliques, dans nos paroles échangées aux agapes mais aussi jusque dans la signalétique de nos lieux d’aisance que sont « tapis » nos mauvais compagnons de route.
De l’Universel…
Hermann Hesse écrivait « Chaque homme n’est pas lui-même seulement. Il est aussi le point unique, particulier, toujours important, en lequel la vie de l’univers se condense d’une façon spéciale, qui ne se répète jamais. »
Selon moi le « Particulier » comme « l’Universel » ne peuvent être séparés et érigés en règle absolue, en dogme, ni même en système car ils sont une opposition féconde. Chaque « Particulier » est point de départ et d’arrivée, une voie d’accès au sommet de cette montagne de « l’Universel » qui est, elle, un but à atteindre et une origine d’où s’extraire.
En Franc-maçonnerie cet « Universel » s’étend de l’Orient à l’Occident, du Septentrion au Midi, du Nadir au Zénith, dans une sphère sans limite au centre de laquelle la Verticale absolue est la seule ligne maîtresse matérialisée par un poids, une masse, une mise en tension.
Universel versus Universalisme
Je précise tout de suite que si nos points cardinaux symboliques portent des noms différents de leur réalité physique alors qu’ils indiquent les mêmes directions c’est que l’espace symbolique qu’ils expriment est différent de l’espace de cette réalité matérielle manifestée que nous partageons toutes et tous.
Il en est de même avec le mot “Universel” qui ne doit pas être confondu avec “universalité” ou “universalisme“.
Six directions infinies autour d’un axe défini, « l’Universel » donc, est ici un symbole du macrocosme. Quant au « Particulier » il est ici un symbole du microcosme. Le reste est question d’échelle aurait pu dire Jacob !
Symboliquement, notre testament philosophique est une invitation à quitter la dimension de « l’avent » et de « l’apprêt » pour entrer dans l’unicité du Moment, dans cet Instant Décisif cher à Cartier-Bresson, entre deux ouvertures du rideau photographique. Ecrire avec la Lumière, c’est le premier pas vers l’apprivoisement du Kaïros. Puis l’impétrant sort de l’épreuve de la Terre. Plus tard il entrera dans celle de la « taire », mais à ce stade là ce temps n’est pas encore advenu. Aveuglé par l’obscurité de son regard, il va traverser les épreuves de l’Air, de l’Eau et du Feu. Il sera à la fois seul et accompagné au cœur de ce qui lui semblera peut-être être le Néant. Il découvrira après coup, comme nous l’avons tous fait, que ce Néant est aussi un Moment nommé « Né en ».
La Voie Royale
Durant son Initiation, la porte de la Voie Royale lui sera indiquée. Libre à l’impétrant de l’emprunter ou non. Libre ? Oui, car en Franc-maçonnerie, si nous avons des règles strictes à observer de façon exotérique d’abord et avec sens et mesure lorsque le parcours se dévoile et que nous en comprenons le sens ésotérique, nous demeurons libres de franchir ou pas les portes, parfois surréalistes, de la Loge avant chaque Tenue. La seule chose qui oblige le Franc-maçon à venir en Loge est sa volonté de briser la « mal-et-diction » de sa « né-cessité » par l’apprentissage et la quête du « Verbe-Lumière » égaré.
Par capillarité l’Apprenti entendra résonner l’appel du Grand Œuvre. Peut être en fera t’il la « clef de sol » de sa quête. On lui racontera les harmoniques de la Table d’émeraude, de ce qui est en haut et de ce qui est en bas. Il découvrira les causes et les effets, et ce qui est au Centre du Tout : Le Mystère derrière « ce voile noir qui me couvrait les yeux » selon le Rituel Ecossais Ancien et Accepté.
Ainsi le « Myste erre » en quête de son « Mystère »…
« Memento remember je tremble et me souviens… Des moments familiers des labos clandestins… Où le vieil alchimiste me répétait tout bas : si tu veux pas noircir, tu ne blanchiras pas… » (in : Annihilation – Hubert Félix Thiéfaine)
Ce Mystère là est à envisager comme un symbole de notre propre Spiritualité à découvrir au fur et à mesure des transmutations ; une Spiritualité unifiant le Monde, agglomérant ses particules les unes aux autres. Au fil de soi(e), du Zénith à son Nadir, la chenille tissera son cocon pour « deux-venir » papillon… éphémère exaltation d’un Chronos déchiré le temps d’un envol irisé.
Ce Mystère là est un Inaccompli, le Chemin qui y mène est fait du « Noir-Sacrifice » menant au « Rouge-Accomplissement ».
Une Spiritualité métaphysique ?
Ce que raconte la Tradition
« Dieu créa l’homme à son image, mâle et femelle il les créa » , « Dieu les bénit et leur dit : Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez là… » nous conte la Genèse en 1-27 et 1-28.
Saint Jean quant à lui raconte dans son prologue en 1-1 « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu », puis en 1-4 « En Lui était la vie et la vie était la lumière des hommes »
Ainsi, à ce que je comprends d’après la Genèse, c’est qu’homme et femme ont la même origine : une image de leur créateur. Cette image serait-elle le reflet inversé de son origine, comme l’est le fantôme croisé dans l’image renvoyée par le miroir initiatique dans certains Rites ? Ou bien est-ce à dire que l’humain a une origine divine que la Voie Initiatique nous inviterait à dévoiler, retrouver, ou bien encore révéler?
Toujours dans la Genèse, il y a un accompli et un inaccompli de la Création. L’un est symbolisé par la couleur blanche et l’autre par la couleur noire dans mes dessins. L’humain, manifestation du Verbe, s’est fait chair, mâle et femelle, en un seul cercle, rose comme la chair sous notre peau.
A ce stade, l’humain est toujours dans un monde spirituel symbolisé par le cercle violet.
Ce qu’explique la science
Isaac Newton définit l’inertie ainsi : tout objet reste au repos ou en mouvement rectiligne uniforme sauf si une force nette agît sur lui ; la dynamique comme suit : la force appliquée sur un objet est proportionnelle à son accélération et inversement proportionnelle à sa masse ; et l’équilibre de cette façon : pour chaque action il y a une réaction égale et opposée.
Selon la Tradition et la Science peut-on en conclure que la Spiritualité est un équilibre dynamique entre des forces qui s’opposent ? Dans ce cas là pourquoi ne pas rester assis au pied d’un ficus religiosa et méditer jusqu’à la Révélation de La Plénitude plutôt que de courir dans tous les sens en tentant de remplir ce vide abyssal en nous avec seulement ce que nos petits bras peuvent porter ? Sommes-nous des colibris en train d’essayer d’éteindre une jungle en feu ?
Ce que démontre l’Initiation
Selon moi, la démarche initiatique invite au dépouillement pour revenir à l’équilibre dynamique de la Spiritualité. Multiplier les savoirs, les possessions, les artéfacts, dans le but d’équilibrer des forces qui s’opposent à nous donne l´inverse de l’effet escompté… « le roseau plie mais ne se rompt pas… » nous raconte Jean de la Fontaine.
Seul le dépouillement, la transmutation et la sublimation de tous nos métaux, et ce jusqu’à la Transparence, permettront de retrouver l’équilibre originel du Verbe fait Chair, du Verbe Lumière, de la Chair(e) Lumière. C’est l’Œuvre au Rouge à laquelle on ne parvient qu’en reconnaissant puis transmutant notre Noirceur. Transcender la “noire-sœur” du “Honni soit qui mâle-y-pense” est une invite à l’Unité retrouvée, pacifiée.
Mais… tout ne s’est pas passé comme prévu et nous nous sommes perdus et divisés en nous multipliant. De l’un est né l’autre, le différent, le « pas comme nous », l’exclu : « le Particulier ».
Peut-être avons-nous confondu « croître en essence » avec « croître en substance »… les dragons se cache dans les recoins vides et sombres de nos Rites. Mais bonne nouvelle : nos Rituels nous racontent comment terrasser les dragons… souvent en complétant et en réunissant nos forces et en prenant le risque de La Rencontre.
Mais pour se rencontrer il faut être séparé… le mois prochain nous aborderons « le Particulier » !
Liens vers la série des 4 articles
Lire : l’Article 1 – l’Article 2 – l’Article 3 – l’Article 4
Personnellement je ne suis pas un adepte de la Pensée complexe ; il arrive un moment où les mots deviennent des maux, une sorte de déluge propice aux noyades. Vivre un EVEIL ( l’initiation) ne s’écrit pas : contentons nous de CONTEMPLER : c’est l’essentiel !
Ma Très Chère Solange
Concernant cet article il est une étape vers une suite. Ce cercle violet permet juste de préciser de quels Adam et Ève il s’agit à ce stade, ceux qui étaient encore Lumière.
Lors des prochains articles ils prendront chair, ils seront séparés, vivront leur “non accompli” chacun à leur propre façon et partiront en quête de leur Rencontre autrement… Tentant de réunir ce qui est devenu épars.
A ce moment là la spirale sera abordée, comme ce cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part… Mais “chute” ne “dévoilons” rien de plus.
Par cette série d’articles, dans un autre format, permettant d’aller plus loin me semble-t-il, j’ai souhaité aborder de façon symbolique le sujet du dogme en franc-maçonnerie… L’aborder en spirale justement, en allant vers le centre…
Quand à l’Amour dont tu parles, c’est pour moi la Lumière Spirituelle qui retient et élève le Monde dans l’éternel Présent, en le concentrant ici et maintenant… C’est la sève du rameau d’acacia… Cet acacia “méconnu”… Peut-être un prochain sujet d’articles ? Pourquoi pas !
Avec toute mon affection fraternelle. Tu seras dans ma chaîne d’union ce soir, au clair de l’Une, au coeur du flamboiement des étoiles dans la “symphonie des éclair(e)(s)”
Je me permettrai une remarque sur l’usage de l’analogie du « monde spirituel symbolisé par le cercle violet ». Car SI NOUS ESSAYONS DE NOUS ÉLEVER VERS LE CIEL, NOUS NE TOURNONS PAS DANS UN CERCLE, CAR CE CERCLE EST UNE SPIRALE.
OH OUI LISEZ OU RELISEZ LE LIVRE D’HERMANN HESSE : venerabilisopus.org/fr/livres-samael-aun-weor-gnostiques-sacres-spiritualite-esoterisme/pdf/200/237_hesse-hermann-siddhartha-francais.pdf.
Avec “Siddhartha” , Hermann Hesse reprend le thème de son ouvrage “Le jeu des perles de verre”. L’initiation à son être relève-t-elle d’une doctrine dont le but est de s’affranchir de la douleur en s’éloignant de son moi (“Il tua ses sens, il tua ses souvenirs, il s’échappa de son moi sous mille formes différentes ; il fut bête, il fut charogne, il fut pierre, bois, eau, et chaque fois au réveil, il se retrouvait ; que le soleil brillât ou la lune, il reprenait son moi, puis il recommençait sa course éperdue dans le même cercle ; il était ressaisi par les désirs, il tuait les désirs et les désirs renaissaient toujours. Avec les Samanas, Siddhartha apprit beaucoup de choses et nombreuses furent les voies qu’il suivit pour s’éloigner de son moi. Il crut le perdre dans le sentier de la douleur, en s’imposant volontairement des souffrances qu’il domptait : la faim, la soif, la fatigue. Il s’engagea, pour s’en défaire, dans la voie de la méditation ; il chercha à ne plus penser du tout, en chassant de son esprit ce que ses sens lui représentaient. Il recourut à tous ces moyens et à beaucoup d’autres encore ; mille fois, il perdit son moi et resta des heures et des jours dans le non-moi. Mais si toutes ces voies l’éloignaient de son moi, elles le ramenaient pourtant toujours à lui. Siddhartha eut beau le fuir pour la millième fois, se plonger dans le néant sous la forme d’un animal, d’une pierre, il y revenait infailliblement. Cette heure inexorable retrouvait Siddhartha et son moi sous les rayons du soleil ou au clair de lune, à l’ombre des bois ou sous la pluie, et la torture du cercle dans lequel il était condamné à tourner recommençait.” p.26).
Ou bien, c’est parmi les hommes et comme avec l’amour qu’il portât à son fils, « il préférait les souffrances et les soucis que lui causait cet amour au bonheur et aux joies qu’il aurait pu goûter si cet enfant n’eût pas été là. » (p.104)
Et aujourd’hui en particulier, je me pose la question avec Siddhartha : Qu’est-ce qui résiste à l’épreuve ? Ce que je ressens ne peut qu’apporter une réponse personnelle : l’amour, non comme un mot mais dans les actes d’amour.
Bien Fraternellement et affectueusement.