lun 06 mai 2024 - 00:05

Du libre devoir à la pensée libre

 « Il n’y a qu’un seul devoir : se rendre heureux » avance le philosophe Denis Diderot. A l’inverse de cette obligation, en quelque sorte, « de se tourner vers soi d’abord » qui peut sembler égoïste, en tout cas vraiment « autocentrée », il est intéressant d’observer ici qu’un autre philosophe des Lumières, Emmanuel Kant, lui, suggère sa notion de « pensée élargie ». Partant, Il s’impose en effet une forme de devoir qui littéralement l’extériorise : nous la nommons aujourd’hui « empathie ». Etre empathique, c’est sortir de moi-même, c’est grandir, c’est élargir mon humanité en allant vers l’autre. En m’identifiant à lui, jusqu’à ressentir ce qu’il ressent !

 Ces deux attitudes nous indiquent que mot « devoir » dont il est question, a plusieurs définitions, qu’il est bon de rappeler. Du devoir d’écolier de notre enfance, au devoir comme dette à payer. Du devoir en tant que sentiment ou obligation morale, au devoir imposé par une déontologie. Et encore, du devoir de réserve, que nous avons ici même en maçonnerie, par notre serment même, au devoir civique, dans la Cité, le parvis du Temple franchi.

En ce sens de bonne pratique citoyenne, il est judicieux de nous remémorer la Déclaration des Devoirs de L’Homme et du Citoyen, rédigée par notre Frère François Boissy d’Anglas et votée par la Convention en 1793. Même si elle n’a pas connu le succès de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, et c’est bien dommage, elle reste pourtant d’une grande pertinence aujourd’hui, à une époque, il faut en convenir, bien plus souvent axée sur les droits, davantage que sur les devoirs !

En franc-maçonnerie, notre Devoir, donc notre engagement, nous le savons, c’est, rituellement dit : la quête de la Parole perdue. Et que notre Larousse traduit par la recherche de la vérité. Pratiquement, cette recherche, c’est bel et bien l’amélioration de la condition humaine.

 Autrement dit encore, dans le droit fil de notre chère légende d’Hiram, chacun d’entre nous a la tâche – avec son honnêteté et son courage, son aptitude à l’analyse et à l’interrogation – de dénoncer et lutter contre le mensonge, cette parole substituée, devenue sport national ! N’en avons-nous, à longueur de journaux, la scandaleuse illustration avec les faux discours et les agissements frauduleux de certains politiciens, fonctionnaires, industriels, sportifs, même ?! Ce comportement déviant ne peut que nous interpeller, nous interroger, éveiller notre méfiance. La tricherie est le contraire même du devoir. Quand le doute, lui, est la certitude du maçon !

 La clé – à l’extrémité de certains « cordons » dont nous nous parons – selon nos rites – symbole d’ouverture et de fermeture, ne dit pas autre chose lorsqu’entre autres évocations, elle renvoie à la bouche, avec, selon l’expression, l’image d’une langue bien pendue. Pour parler aisément et franchement : OUI. Pour bavarder et répandre des inexactitudes ; NON ! Mieux vaut alors fermer sa « serrure buccale » et se taire !

Aller plus loin

Le drame des hommes, c’est l’incompréhension mutuelle. D’où, depuis la perte de ce sésame qu’est cette fameuse « parole perdue,» les querelles, les confusions et les malentendus. Ici se rencontrent la légende d’Hiram et celle de la Tour de Babel ! Remarquons, tant dans l’histoire maçonnique, avec ses scissions obédientielles, que dans la vie de la cité, avec ses divisions sociales et politiques, c’est un fait récurrent : Cette parole perdue et réinventée, est sans cesse, celle des uns contre les autres.

Dès lors, que peut effectuer le franc-maçon, la franc-maçonne, qui avancent la main sur le cœur et le cœur sur la main ? D’entrée, ils peuvent, éclairés qu’ils sont – notamment lors des échanges inter-fraternels, s’appliquer à redonner leur vrai sens aux mots et aux choses. Déjà, chaque jour dans la cité, avec ces simples locutions bienveillantes de « présence à l’autre » à réactualiser, dire avec le sourire : bonjour, bonsoir, pardon, merci, au revoir, autant de paroles perdues aujourd’hui dans la cité ! Les mots sont des caresses ou des projectiles. Tout dépend de l’intention qu’on leur prête et de l’usage qu’on en fait !

La liberté, et en particulier la liberté de penser, s’exercent bien entendu, dans nos rangs même. Nous aurons réalisé une bonne avancée sur le chemin de la bienveillance (mot que je préfère à la tolérance), quand nous conviendrons, sans acrimonie que :

Le Grand Architecte de l’Univers, expression poétique moyenâgeuse popularisée par l’architecte Philibert de L’Orme, relève d’un caractère symbolique. Mais il peut certes, être vu par d’autres comme une entité divine révélée.

La spiritualité désigne, par sa racine même, le souffle, la vie de l’esprit, donc la conscience d’être. Alors que pour d’autres, elle nomme l’ensemble des philosophies et croyances cultuelles.

La tradition signifie une coutume mouvante, c’est à dire une suite de progrès qui s’est imposée. Tandis que pour certains, parée d’une majuscule, elle figure une doctrine primordiale, soit la cause première même.

Le rite maçonnique et ses rituels correspondent à une articulation d’un ensemble de règles morales. Dans d’autres obédiences, il est assimilé à une véritable liturgie.

Le symbole est une représentation d’une chose par une autre, à figures multiples. Certains veulent y voir une vérité à figure unique.

L’initiation, enfin, (nommée « réception » par les Anglais, inventeurs de la franc-maçonnerie), veut dire le commencement d’une recherche, une nouvelle façon d’être et de penser, d’accueillir et voir le monde. Ce qui n’empêche pas qu’elle puisse être vécue par certains, comme la réception d’une grâce.

A chacun, à chacune, sa liberté de pensée. Et de penser. De la sorte, acceptons, avec ces signifiants aux divers signifiés, que la franc-maçonnerie apparaisse tel un vaste bouquet de fleurs multicolores dont la fraternité est le lien. Comme serait triste un monde disposant d’une seule variété florale ?!

Avec cette énumération, à « définitions ouvertes », revient cette notion kantienne de « pensée élargie ». En amplifiant, en augmentant mon humanité, mon humanitude, même, pour reprendre l’expression du généticien Albert Jacquard, c’est à dire en m’ouvrant à d’autres cultures, d’autres langues, d’autres méthodes, d’autres interprétations, d’autres personnes différentes de moi, je n’altère en rien ma liberté individuelle. Bien au contraire, j’élargis cette liberté d’être et de faire.

Grâce à la franc-maçonnerie, en soi grand carrefour de la pensée à entrées et sorties multiples, je peux au gré de ma curiosité, emprunter les diverses routes à même d’enrichir mon savoir et mes connaissances. J’agrandis ainsi mon territoire d’évolution. La spiritualité laïque, définition même de la philosophie, m’entraîne si je le désire, vers ces sciences humaines, en constants progrès. De ladite philosophie à l’anthropologie, de la linguistique à la poésie et à la musique, de la littérature aux diverses formes de la psychologie humaine. Je suis bien ici, en même temps, dans l’idée « d’aller plus loin », tel que nous le recommandent Anderson et Désaguliers dans leurs Constitutions, qui nous structurent et guident encore aujourd’hui. La vérité n’existe pas pour le cerveau de l’homo sapiens d’aujourd’hui…ce qui ne nous empêche pas de la rechercher !

La liberté : du mot à la chose

Je ne me leurre pas sur le sens de la liberté que je viens d’aborder, ni sur la portée de ma liberté individuelle. « Liberté » est un mot magnifique qui orne les façades publiques et résonne dans nos loges. C’est aussi un mot qui se traduit en moi, pratiquement comme un besoin physiologique, un désir permanent d’exercer sans entraves ma volonté, d’évoluer à ma guise. Mais du mot à la chose, il y a une grande distance. Je sais bien que ma liberté de citoyen, certes inscrite dans la Déclaration des Droits de L’Homme précitée – notamment en termes de liberté de conscience, d’opinion et de communication – je sais bien qu’elle est soumise aux déterminismes de la condition humaine (biologiques psychologiques, sociaux).

 La liberté peut se définir comme l’obéissance aux contraintes que l’on s’est choisies. Pour ma part, je pense que ma vraie liberté se situe dans les espaces que me laisse mes contraintes ! Et c’est bien dans l’un de ces espaces que je place le devoir de recherche et d’entretien de ce qui me semble relever de la vérité. Car ce devoir est une liberté en soi. Cette liberté de réflexion de mon Homme intérieur, précisément nommée « la liberté de penser ».

Penser. Du bas latin, « pensare », peser.

L’étymologie du verbe « penser » nous indique d’entrée, une notion d’évaluation, d’appréciation, de jugement. Nous pouvons ainsi définir l’acte de penser comme la disposition de l’esprit à former et combiner des idées, à comparer, à peser les choses, à la balance de la raison. Grâce à cette faculté de former des représentations mentales, l’homme peut aussi, en lui-même et pour lui-même, se souvenir, imaginer, spéculer, méditer, réfléchir, juger, décider. Apparaît ici l’état d’indépendance qui caractérise l’intellect individuel. C’est cette spécificité, qui permet d’évoquer judicieusement, « la liberté de penser », déjà traitée dans des articles précédents. Mais dont les diverses facettes, mouvantes selon les évènements et les interprétations du monde, méritent d’être souvent « remises sur le métier » !

Depuis notre naissance et nos premiers rapports gestuels et verbaux avec nos parents ou substituts, la fratrie éventuelle et l’entourage familial, amical et éducatif qui s’agrandit au fil des rencontres, nous ne cessons, grâce à elles, d’enrichir nos sens, notre bagage culturel, notre vocabulaire et donc notre pensée. Celle-ci est en permanence alimentée par le stock d’images et de mots sans cesse appris et engrangés. Ils nous permettent la formation et l’expression de nos idées à des interlocuteurs qui deviennent des émetteurs-récepteurs, en retour. C’est donc par le biais des échanges, du « frottement aux autres », librement consentis, que nous nous pensons nous-mêmes et que nous pensons ces autres et le monde.

Sans cet acquis qu’est l’interaction préalable, sans son entretien ensuite et sans, en même temps, la possibilité pour l’Homme de se mouvoir et d’agir, la liberté de pensée précitée, n’est qu’une expression vide de sens. La condition humaine impose en effet l’apprentissage par le groupe, si je puis dire, du « métier d’Homme », avant son exercice autonome. Pour marcher, il faut des jambes, pour penser, il faut un cerveau préparé puis de la « matière à penser ». Celle-ci, pour se constituer, a besoin d’un ferment, né du dialogue initial, comme le boulanger a besoin du levain pour fabriquer sa pâte à pain.

Toutefois, parce que l’évolution n’a pas encore doté mon cerveau émotionnel d’un « centre de l’amour », comme il a un centre de la respiration ou de la toux, l’homo sapiens que je suis, conserve, blotti dans son cerveau reptilien, un instinct à la fois auto-protecteur et belliqueux.

Il s’agit pourtant de cohabiter avec l’autre, cet autre moi-même, ce semblable, ce même. Mais comme ce même a les mêmes désirs que moi, il peut devenir mon rival, m’emplir de jalousie, ce sentiment rongeur élaboré très tôt dans la fratrie et la camaraderie !

Contrairement à une idée reçue, c’est bien davantage la ressemblance, non la différence, qui crée la violence. C’est mon double qui m’inspire la plus grande crainte ! L’ennemi est souvent au bout du jardin ou de l’autre côté de la rue. D’où les bandes qui s’affrontent dans toutes les villes du monde pour préserver leur territoire ! C’est toujours un voisin, un frontalier, que l’on hait. Ainsi commencent les guerres ! L’actualité nous les donnent à voir sans répit !

De la liberté à la liberté de penser

Pourtant, l’Homme est aussi doté de cette forme de « bon sens » qu’on nomme la raison. Cette raison devenue un credo maçonnique depuis l’époque des Lumières. Mais les francs-maçons, les franc-maçonnes que nous sommes, le savent aussi : la raison n’est pas forcément toujours raisonnable. Chacun de nous est en fait pris dans cette contradiction humaine, trop humaine, qui veut qu’il soit indépendant par nature mais dépendant, par nécessité vitale ! Ma liberté de penser, expression même de mon indépendance, voudrait que je n’obéisse qu’à ma raison personnelle, à ma conscience et à ma logique. Une conception égotique qui peine à prendre en compte que la raison n’est pas ma seule propriété, mais celle de la communauté.

Ainsi ma liberté de penser, mais aussi d’être et de faire, qui relève intensément du « principe de plaisir », voire même du bonheur, cette liberté n’est rien, si l’autre ne l’a pas, ne la vit pas. J’ai donc tout intérêt à ce que l’autre soit heureux pour être vraiment heureux moi-même, avec pour chacun, bien sûr, sa conception du bonheur. Bref, j’ai besoin d’autrui, comme il a besoin de moi. A quoi me servirait mon téléphone portable, si l’autre n’en a pas un !

 C’est clair, il n’est d’Homme qu’en relation. Mais en dehors du cadre communautaire, la liberté de réflexion peut aussi, évidemment, s’exercer dans l’intimité, dans le silence même de la pensée individuelle. De la sorte, l’accomplissement du devoir, par exemple version patriotique, loin d’altérer notre liberté de pensée, la renforce même, quand il s’agit de se taire, pour une cause noble. C’est là un choix calculé, raisonné. A l’image de ces résistants capturés par les nazis, pendant la dernière guerre mondiale, qui ont refusé de livrer leurs camarades, et après d’affreuses tortures, sont morts fusillés.

A noter, c’est important, qu’il a fallu un long chemin, dans l’histoire de l’Homme, avant qu’il ne passe de la « pensée imposée » par les idées reçues et les croyances vaniteuses, à la « pensée autonome ». Cette acquisition libératrice est assez récente, puisque c’est seulement entre le 16ème et 20ème siècle, que la science lui a démontré, au prix de trois blessures narcissiques :

  • Par Nicolas Copernic, que la terre n’est pas le centre de l’univers.
  • Par Charles Darwin, que l’homme est le fruit de l’évolution et un animal comme les autres.
  • Et enfin par Sigmund Freud, que l’Homme n’est pas maître absolu de ses pulsions.

Autrement dit, ce n’est pas lui le rameur qui mène sa barque, mais un passager clandestin : l’inconscient.

Il est de bon ton en France de brocarder régulièrement la psychanalyse freudienne, voire de la condamner au bûcher et son concepteur avec, par magazines et pamphlets interposés ! Faut-il rappeler que les nazis ont brûlé en place publique en mai 1933 à Berlin, avec ceux de Karl Marx et de Stephan Zweig, les livres de Sigmund Freud ?! Doit-on souligner que les franquistes ont également brûlé les livres de Gorki, Lamartine, Rousseau et Voltaire, puis à nouveau ceux de Freud, en mai 1939 à Madrid ?!

Comme par hasard, la poésie et la philosophie, c’est à dire l’imaginaire et la raison, ces deux formes d’expression de la liberté, ont aussi été bannies par le feu ! Comme par hasard, la toute jeune psychanalyse, avec sa dimension libératrice, faisait donc déjà peur aux bien-pensants!

Ce n’est d’ailleurs pas une coïncidence si la psychanalyse, comme la franc-maçonnerie, sont encore pourchassées ou carrément interdites dans les pays totalitaires. Bien entendu parce que le but de l’une et l’autre est la liberté de penser et d’agir de chacun. C’est en visitant les ruines de Pompeï, la ville ensevelie, que Freud s’est représenté l’inconscient, imaginé comme des couches superposées « d’éléments psychiques ». La franc-maçonnerie et la psychanalyse sont ainsi nées du même « principe d’élévation » et de la même matière « métaphorisée » : la pierre. Avec la même idée noble : permettre à l’homme de grandir, en toute liberté ! C’est à dire savoir dire non, si besoin ! Ne plus accepter aujourd’hui sans contrôle le prêt à penser médiatique, politique, confessionnel et populaire. Et prendre soin de passer les idées circulantes au crible de mon jugement, avant réexpression. Ainsi penser par moi-même revient à raisonner plutôt qu’avoir raison. Ainsi puis-je être un Homme libre !

De la lumière à la lucidité

Les déterminismes de la condition humaine, évoqués plus haut, pourraient nous faire craindre que, de fait, il nous reste bien peu d’espaces pour vivre une liberté quelconque ! Certes, ces « choses de la vie » qui jalonnent nos chemins individuels ne dépendent pas toujours de notre volonté : la santé, le travail, les rencontres, l’amour, l’argent, la chance, etc. Même si comme l’assure le poète : « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous ». C’est bien pourquoi des millions de gens fréquentent ces « marchands d’avenir » que sont les voyants et autres pythonisses ! Combien se « croient » libres, alors qu’ils sont cramponnés de la sorte aux barreaux de ce verbe « croire » qui les encerclent ! Lorsque la raison n’est plus au volant, c’est le GPS des illusions qui indique le chemin !

Ces fausses libertés ne doivent pas nous faire oublier les vraies ! Celles qui, précisément, peuvent nous faire dépasser ces fameux déterminismes. Notamment, notre liberté de réflexion qui se déploie dans ladite Déclaration des Droits de l’Homme et à laquelle j’ose ajouter, pour mon humble part, la liberté d’apprendre, au vrai, la joie d’apprendre. Notamment en embrassant ce « bouquet de savoirs » constitué par les arts et les sciences humaines, dans le cadre même du concept kantien de « pensée élargie », plus haut cité. Celle-là même qui peut nous convaincre que s’enrichir l’esprit pour mieux vivre est un devoir !

Nous l’avons dite précédemment mais la réitérons à dessein. Combien de fois entendons-nous cette affirmation définitive : « la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres ! » ?! Une lecture attentive la rend pourtant irrecevable ! Précisément par son caractère compétiteur, hégémonique ! Elle signifierait, en effet, que j’ai le loisir d’agrandir mon lieu de vie, en empiétant sans vergogne sur celui de mon voisin. L’idée kantienne de « pensée élargie » ne signifie pas élargir mon territoire au détriment de celui d’autrui, tel qu’un grand pays européen le prétend aujourd’hui.

Tout au contraire, en termes de voisinage, il s’agit de m’identifier à lui avec générosité pour mieux comprendre son point de vue. C’est en sortant de mon ego que je peux vraiment rencontrer mes égaux ! Encore faut-il que ma liberté de penser ne me cantonne pas aux belles promesses du discours mais m’engage du projet au devoir. Du dire au faire. La loge est un cercle de raison, où chaque frère vient chercher son centre de rayonnement. Il s’agit pour moi, à la sortie du Temple, de mettre le symbole en œuvre. De passer de la lumière à la lucidité. D’amplifier ainsi mon humanité dans la cité, cette loge sans les murs. Pour rencontrer et aimer. Davantage et mieux, en être éclairé. C’est mon devoir même !

De la fiction, la réalité

Quelle est ma vision du monde à travers le prisme maçonnique ? A la trilogie questionnante des philosophes anciens, Qui suis-je ? D’où viens-je ? Où vais-je ? j’oserai ajouter un « pourquoi ?». N’est-il spécifique à la franc-maçonnerie qui pose des questions quand les religions, elles, apportent des réponses ! Ce « pourquoi », c’est notre spécificité humaine. Entre notre naissance et notre mort, nous jalonnons notre trajectoire de « pourquoi » vu que, dans la foulée de notre interrogation, nous voulons obstinément donner du sens, tant à la vie, qu’à notre vie personnelle.

Comment se construit, se développe le sens, la signification que nous donnons aux circonstances ? Reliés les uns aux autres par le langage, et parce que nous aimons raconter, c’est par le récit, répété, augmenté, renouvelé, que nous tentons d’apporter sans cesse de la signifiance à la vie, à notre vie. Comme l’Homme ne s’est pas fabriqué lui-même, il s’est inventé une origine, des cieux et des Dieux, puis un dieu et un diable, un paradis et un enfer. Sont ainsi entrés en scène, mythe et allégories, contes et légendes, paraboles et symboles. Et bien sûr, à nous occidentaux, s’est imposée la Bible, riche mélange de réalités magnifiées et de constructions imaginaires. A y regarder de près, on peut même dire que le récit, sous toutes ses formes, a sauvé l’espèce humaine, en renforçant son « vouloir vivre », cet impérieux besoin de sens. Parce que l’homo sapiens que nous sommes, devant le mystère de l’univers, a pris une liberté vitale première : celle d’accréditer progressivement ses fables qu’il a métaphorisées en précieuses conduites de vie !

Comme nous nommons les choses par des mots et que nous ne pouvons expliquer les mots que par d’autres mots, nous devons être conscients que nous vivons dans une fiction circulaire permanente. Elle est , sinon le réel, notre réalité. Avec cette fiction, donc du mensonge accepté, nous fabriquons de la vérité humaine. Dans les bons récits – telles nos mythes et légendes maçonniques ce n’est pas tant le bien et le mal, souvent simplistes et moralisateurs, qui sont mis en avant. Mais plus finement, remarquons-le, le profitable et le détestable, l’acceptable et l’intolérable. Bref, le positif et le négatif.

Ce n’est pas un hasard si la symbolique du prestigieux Temple de Salomon, unit tous les francs-maçons du monde. Cette épopée de pierres, invention ou réalité – que nous pouvons penser en toute liberté !- nous permet encore et toujours, de réfléchir de manière constructive, au rythme de notre sablier temporel. Parce que de la fiction, ou si l’on préfère, de la rêverie – peuvent surgir sans cesse de nouveaux horizons maçonniques, périodiquement actualisés et à visée créative. Ne nous cachons pas cette évidence : En demande de vérité, nous quêtons désespérément du sens dans une vie qui, au vrai, pour notre esprit humain, n’en a pas !

Sauf à penser – non sans raison matérialiste et respectable – que le sens consiste aujourd’hui, pour vivre et être « reconnu » socialement, en la possession d’un toit, d’un emploi et bien entendu d’un compte en banque !

A moins de nous évader dans la poésie de Charlie Chaplin et de penser avec lui « Pourquoi veux-tu du sens ? La vie est un désir, pas un sens ! »

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Gilbert Garibal
Gilbert Garibal
Gilbert Garibal, docteur en philosophie, psychosociologue et ancien psychanalyste en milieu hospitalier, est spécialisé dans l'écriture d'ouvrages pratiques sur le développement personnel, les faits de société et la franc-maçonnerie ( parus, entre autres, chez Marabout, Hachette, De Vecchi, Dangles, Dervy, Grancher, Numérilivre, Cosmogone), Il a écrit une trentaine d’ouvrages dont une quinzaine sur la franc-maçonnerie. Ses deux livres maçonniques récents sont : Une traversée de l’Art Royal ( Numérilivre - 2022) et La Franc-maçonnerie, une école de vie à découvrir (Cosmogone-2023).

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