lun 06 mai 2024 - 03:05

Le tsunami et la boussole

La vague des algorithmes intrusifs sera suivie d’un tsunami basé sur l’Intelligence Artificielle. Pour y résister, utilisons notre boussole maçonnique de pensée indépendante.

Enfants des Lumières nous sommes. Que cherchaient nos lumineux guides ? la Liberté. Faut dire que nos dirigeants d’alors s’y entendaient pour maintenir le vulgum pecus sous la botte, à l’aide du sabre comme du goupillon. Ces deux accessoires étaient en fait intimidants car appuyés sur une force narrative très convaincante. Aujourd’hui on appellerait cela un storytelling réussi. Mais il y avait peu de propositions alternatives : les choix étaient très contraints.

A part Machiavel, ce sont surtout les chercheurs en marketing américains qui ont théorisé la chose. Liberté et commerce ont souvent fait bon ménage, souvenez-vous du « doux commerce » de notre frère Montesquieu (initié le 12 mai 1730, à Londres, dans la Horn Tavern Lodge, 2 mois après le chevalier de Ramsay ). Là où les dominants cherchent le contrôle à tout prix, dans la crainte de perdre le pouvoir, les commerçants offrent à leurs clients la liberté de choix. Le choix effectué de manière apparemment libre crée dans le cerveau de celui qui obtient le produit ou service désiré un shoot de dopamine, plaisir délicieux mais addictif. En passant, ce mécanisme joue probablement un important rôle dans le succès mondial du système libéral (et capitaliste). Il suffit de voir dans quel sens se dirigent les flux migratoires.

La liberté de choix en matière de communication est récente.

Pour faire court, mentionnons la progression journaux-radios-télévisions-internet-smartphones, et nous voilà tous connectés H24.

Nos chers commerçants ont vite repéré la corrélation entre le temps que nous passons sur les écrans et leur foutu chiffre d’affaires. Cela leur a fait développer une science, ou au moins une technique : la captologie. C’est, au départ de la connaissance du cerveau et de ses biais, la mise au point des méthodes permettant de retenir l’attention au maximum. Premier gain direct : infuser plein de pubs qui pousseront à l’acte d’achat.  Mais aussi enregistrer plein de traces informatiques qui donnent compréhension des préférences de l’individu, qui ensuite permettront des pubs ciblées, bien plus efficaces. Tout ceci peut également être utilisé par des acteurs politiques pour influencer opinions et votes. Mais aussi par des agences étrangères pour par exemple affaiblir le moral du pays.

L’efficacité de toutes ces techniques est renforcée si l’individu roule sans réfléchir , sous le coup de l’émotion plutôt qu’avec la raison aux commandes. Les algorithmes qui pilotent tout cela favorisent donc les réactions émotionnelles, avec comme chouchou l’indignation ( Stéphane Hessel, si tu nous regardes…). Bruno Patino, auteur d’une trilogie qui se termine par « Submersion », indique que nos démocraties peuvent maintenant être qualifiées d’émocraties, tant la dictature des émotions a envahi le paysage. Nous en sommes là, assaillis en permanence de notifications mélangeant l’important et l’accessoire, lequel est lui aussi présenté comme urgent. Alors nous essayons de choisir. Oui mais pour choisir il faut évaluer les différentes options possibles, et pour cela il faut aller chercher l’info. Et en plus, il faut s’assurer qu’elle est digne de confiance.

Tout cela prend une énergie invraisemblable.

Ceci à l’heure où plein d’autres choses sont à faire, des importantes, pas très marrantes, et d’autres que notre envie de plaisir et détente nous suggère : zut encore un choix à faire. Bon les plateformes nous « aident » :  par défaut l’épisode suivant s’enquille automatiquement après le précédent. Ah, là nous avons délégué le choix à celui à qui le « crime » profite ! Eh oui, on déléguerait bien le choix à un tiers de confiance, mais notre société clivée a sapé toute la crédibilité que nous accordions auparavant aux institutions. Les fermes à trolls de Poutine y sont sans doute pour quelque chose, mais la négativité a conquis pas mal de terrain. Il suffit de voir toute la liste des populistes au pouvoir ; et chez nous aussi ils attendent au portillon pour goûter à la bonne soupe.

Résumons-nous. L’offre, sur internet, est gigantesque, et nous sommes déjà épuisés à force d’essayer de choisir à tout bout de champ. De plus, une petite voix, grandissante, nous signale le côté « déjà vu » de beaucoup de produits. Ben oui, dès qu’un produit ou une idée marche, les copieurs se mettent en devoir de pondre d’innombrables clones. Et dès qu’on a acheté un produit, les algorithmes nous bombardent d’autres offres, jusqu’à la nausée. La liberté de choix est devenue encombrante au possible. Et on voit bien que plein de gens sont prêts à la sacrifier pour que la pluie s’arrête. Oui, mais la pluie c’est déjà pas terrible, elle cause parfois des inondations. Dès maintenant, il nous arrive d’avoir un sentiment de malaise à devoir convaincre une machine que nous sommes humains.

Hélas, il y a pire :  c’est le tsunami, qui va nous noyer pour de bon.

Ce tsunami s’appelle Intelligence Artificielle. Rapidement, elle va surclasser les talents humains dans plein de domaines ; nous connaissons déjà la liste des activités, pour ne pas dire des métiers, directement menacés d’obsolescence.

Qu’avons-nous comme boussole pour nous guider ?

Face à cette submersion annoncée, nous les maçons, qui avons conservé une relative indépendance de pensée, avons des cartes à jouer. Primo, développer notre économie du choix. Pour faire de bons choix sans y cramer toute notre énergie, il nous faut trouver à qui déléguer. Pour cela, il faut d’abord stopper la dégradation générale de la confiance. Quitte à investir plus de temps à les sélectionner, les tiers de confiance nous sont indispensables. Cela va des enseignants lors de l’enfance jusqu’aux soignants pour les plus âgés. Cela inclut les médias, les organisations et institutions. L’indépendance doit être impitoyablement scrutée, vis-à-vis des conflits d’intérêt classiques (commerce-idéologies-religions…). Mais de nouveaux aspects peuvent se rajouter. Par exemple, dans un certain nombre de domaines, nous voulons une certification du caractère réel ou « non-simulacre ». En effet, les simulacres profonds (deep fakes) seront rapidement indétectables, donnant lieu à une explosion de dérives possibles.

Philosophiquement, nous devrons toujours nous efforcer de distinguer la limite entre l’humain, capable de sortir des sentiers battus ou de s’adapter à un cas sans précédent, et les machines qui resteront dans la simple extrapolation de l’existant … enfin, je nous le souhaite, mes frangines et frangins. Gardez jalousement votre liberté de choix. Et dormez bien quand même !

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Patrick Van Denhove
Patrick Van Denhovehttps://www.lebandeau.net
Après une carrière bien remplie d'ingénieur dans le secteur de l'énergie, je peux enfin me consacrer aux sciences humaines ! Heureux en franc-maçonnerie, mon moteur est la curiosité, et le doute mon garde-fou.

Articles en relation avec ce sujet

Titre du document

Abonnez-vous à la Newsletter

DERNIERS ARTICLES