jeu 31 octobre 2024 - 09:10

Laurent Ridel recherche l’auteur de « La sculpture anonyme »

Du site de Laurent Ridel decoder-eglises-chateaux.fr

Il y a dix jours, Jacques, un abonné, m’envoyait la photo d’une sculpture en bois pour l’identifier. Je ne reconnaissais pas le personnage sculpté, probablement une sainte. Mais, en postant l’image dans ma dernière infolettre, j’ai bénéficié de vos lumières. Et là, contrairement à la photo du mystère de Plazac (rappelez-vous ces vestiges de chaire à prêcher), je pense l’identité du personnage trouvée. 

La sculpture anonyme
À propos de cette sculpture, vos hypothèses reçues par mail ont été nombreuses. La clé se trouve dans l’attribut de la femme, c’est-à-dire l’objet qu’elle tient dans sa main gauche. Sur ce point, vous n’êtes pas d’accord. 
Pour Christian et Pierre-Yves du Béarn, c’est le triangle de la Trinité, c’est-à-dire le symbole unificateur de Dieu (Dieu le père, Jésus et le Saint-Esprit). Je trouve néanmoins le triangle gauchement réalisé pour un symbole censé représenter la perfection divine. Surtout, je n’imagine pas un personnage tenir la Trinité. Cela signifierait qu’il est plus puissant qu’elle. Désolé Christian et Pierre-Yves, mais votre interprétation sent bon l’hérésie. Au Moyen Âge, vous seriez bon pour le bûcher 🙂. La piste du triangle vous a néanmoins séduit bien que je le trouve trop déformé pour en être un. Abdelmalik, Jean-Yves et Geneviève de Seine-Maritime pensent précisément à un triangle musical. Dans l’autre main, on apercevrait un stylet pour le frapper. À cette hypothèse, ma première réaction a été de douter de l’utilisation du triangle dans l’iconographie religieuse. J’ai cependant cherché dans mes photos d’églises. Conclusion : le triangle est bien un instrument représenté au Moyen Âge, comme en témoigne ce vitrail de la cathédrale de Bordeaux. Prise de Veies, enluminure du manuscrit Fr 365 Sur les peintures et les vitraux, les triangles sont habituellement tenus par des anges musiciens. Or, notre personnage inconnu n’est pas un ange. Il lui manque les ailes. Ce qui donne à l’hypothèse du plomb dans… l’aile.  Élisabeth propose cependant que ce triangle musical servît aux lépreuses pour se signaler. En effet, les lépreux du Moyen Âge devaient avertir les passants de leur proximité par un instrument. Mais il s’agissait plutôt d’une crécelle comme on le voit sur cette enluminure d’un manuscrit du XVe siècle (Bibliothèque Nationale de France, Français 9140). Si ce n’est pas un triangle musical, qu’est-ce ? Jeanne du Périgord n’y voit qu’un pli de son manteau (dit « pli cassé ») accentué par la main de notre inconnue. Je pense voir un objet plus qu’un pli. Et puis, votre idée, Jeanne, ne nous arrange pas du tout. Comment reconnaître un personnage quand son unique caractéristique est de plier sa robe ! Non, non, je m’accroche à l’idée d’y voir un objet.  Pour cette raison, je retiens davantage la proposition de Sébastien de la Manche. La femme tiendrait une lanterne et serait donc sainte Lucie. Son nom dérivant du latin Lux, lumière, la lanterne est un de ses attributs courants. Sur cette sculpture, l’objet aurait cependant été en partie bûché. Cependant, j’ai du mal à voir les traces de bûchage sur la sculpture. La surface de la robe ne me paraît pas abîmée.  Eglise néogothique de Vimoutiers Une autre abonnée, Catherine, se demande si l’objet mystérieux ne serait pas une hermine bretonne dont le haut serait caché par la main.   Encore une fois, le lobby breton (très influent) essaie de provoquer le Normand que je suis. Mes chers voisins, je connais votre amour pour votre région, mais ne cherchez pas systématiquement dans mes photos des signes de votre identité !  Si je soumettais Catherine au test de Rorschach (vous savez, cette évaluation psychologique qui consiste à regarder des taches), je suis sûr qu’elle verrait dans l’image suivante le tracé des côtes du Finistère🙂. 
Plus sérieusement, des signes héraldiques peuvent apparaître sur des sculptures de personnages, mais ils sont, à ma connaissance, peints plutôt que sculptés. Donc, je ne pense pas à une hermine ici.  On en arrive (enfin ?) à l’hypothèse que me semble la plus pertinente. Elle est arrivée 27 min après l’envoi de mon infolettre. Sophie donnait pour réponse sainte Apolline. Identification confirmée par Jean-Marie, Bérénice, Dorothée, Marie-Christine de Belgique et approchée par Thierry du Gers.  Marie-Christine, souvent de bons conseils, nous donne l’explication en citant un passage de la Légende dorée, ce célèbre recueil médiéval de vies de saints : « Lors donc que cette bienheureuse vierge [sainte Apolline] fut entre leurs mains, ils [les bourreaux] eurent la cruauté de lui briser d’abord les dents ; ensuite, ils amassèrent du bois pour en dresser un grand billot et la menacèrent de la brûler vive, si elle ne disait avec eux certaines paroles impies. Mais la sainte n’eut pas plutôt vu le bûcher en flammes, que, se recueillant un instant, tout d’un coup, elle s’échappe des mains des bourreaux, et se jette elle-même dans le brasier dont on la menaçait. » Quel courage chez Apolline ! Mais quel est le rapport avec notre photo ? Non, ce récit enflammé ne sert pas d’avertissement à nos deux suspects d’hérésie, Christian et Pierre-Yves. En vérité, sainte Apolline est traditionnellement représentée, munie de la tenaille avec laquelle on lui a arraché les dents.  L’objet non identifié pourrait être cette tenaille. Contrairement à ce que certains pensaient, la brèche qui barre le bas de l’objet ne serait pas une cassure ou une dégradation, mais juste l’extrémité biseautée des pinces. Marie-Christine trouve un argument supplémentaire dans la base sculptée en forme de pomme de pin : ne pourrait-elle pas correspondre aux flammes du bûcher dans lequel Apolline se jeta ?  Je suis séduit par cette identification tout en rappelant cette précaution. Rien ne nous garantit que cette sculpture désignât une sainte. Sa provenance étant inconnue, elle n’ornait peut-être pas une église. Qu’importe si l’identification est incertaine, l’important n’est pas la destination, mais le chemin. Or j’espère vous avoir appris quelques petites choses en chemin. En tout cas, vos réponses m’ont bien fait voyager. Merci d’avoir participé à cette enquête.   Le vocabulaire de la semaine La semaine dernière, je vous annonçais la publication de mon livre numérique « Comment regarder les sculptures médiévales ». Un des lecteurs, David de Bourgogne, m’interrogeait sur la page 40 qui décrit le vocabulaire d’un portail. « Vous indiquez au-dessus du tympan quatre voussures. À cet emplacement de la façade, doit-on parler de voussures ou d’archivoltes ? Quelle est précisément la différence entre voussure et archivolte ? » David, vous soulevez ici un problème de vocabulaire qui partage les historiens de l’art. Le sens d’« archivolte » est débattu. Selon Jean-Marie Pérouse de Montclos, l’archivolte correspond à la moulure qui couvre un arc ou une voussure. Selon d’autres auteurs, elle recouvre l’ensemble des voussures. 
Face à cette incertitude, j’ai préféré ignorer le mot dans mon infographie, mais votre question m’a pris en tenaille. 😊  Pour rappel, le guide « Comment regarder les sculptures médiévales » reste à son prix de lancement jusqu’à dimanche prochain inclus. Vous apprendrez à lire les portails, mais aussi les statues, les gisants, les chapiteaux…
Émission en direct Mercredi 15 novembre, on refait une tentative avec Ludovic. Pendant l’été, il m’avait invité sur sa chaîne Youtube Arcana les Mystères du Monde pour une conférence. Un problème technique nous avait malheureusement contraints à une annulation de dernière minute.  Dans cette émission en direct, je parlerai de différents thèmes sur les églises : – les différents types d’églises (chapelle, cathédrale, basilique…)– les différentes architectures (roman, gothique…)– les images sur les vitraux, les peintures et la sculpture– les symboles plus ou moins faciles à déchiffrer– les sujets débattus : le nombre d’or, les labyrinthes, et l’alchimie dans les cathédrales.

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