dim 28 avril 2024 - 18:04

Ruche, abeilles et miel en Franc-maçonnerie

L’anthropomorphisation de la ruche, métaphore d’un corps social, en l’occurrence ecclésiastique apparaît au XVIe siècle. Le clergé de l’Église répandant son évangile, pollinisant les cœurs et les esprits des masses, transformant leur spiritualité, est considéré comme une ruche.

Les calvinistes n’ont pas manqué de reprendre cette allégorie pour moquer et dénoncer le pouvoir papal. Comme on le voit sur le frontispice du pamphlet dû à Philippe de Marnix La Ruche romaine. La ruche a évidemment la forme de la tiare trirègne du pape comme l’attestent les clés de Saint-Pierre, mais elle surmontée ici d’un croissant très musulman… Elle symbolise le pouvoir du roi des abeilles-pontife, son palais romain vers lequel convergent des abeilles-clercs.

Dès le XVIIe siècle, le symbole de la ruche est employé dans un sens relatif à l’architecture et au labeur.

Puisant dans le corpus maçonnique, les artisans et les brodeurs ont utilisé des éléments historiques, sociaux ou symboliques, différents selon les époques et les pays. En France, la fin du XVIIIe siècle voit le recours à la symbolique du Temple, le Directoire à celle de la vogue de l’égyptomanie (sphinx, pyramides,…), l‘Empire à celle des abeilles ou de la ruche.

Le symbole de la ruche qui ornait la couleur de la Fédération Compagnonnique de tous les Devoirs Réunis – qui représentait tout à la fois le travail des Compagnons et leur lieu de réunion, autour de la Mère – était connu des compagnons par le biais des associations de secours mutuels depuis les années 1830-1840.

Reliée à l’ordre et à l’autorité dans l’organisation et la structure des choses, la ruche renvoie à des notions de hiérarchie légitime, de commandement, de distribution des rôles, de règlements relatifs à une collectivité, d’esprit de collaboration. Chaque membre d’une communauté doit exercer son activité spécifique et jouer son rôle particulier conformément à sa compréhension et à ses  moyens réels, à sa mission et à son rythme évolutif.  En effet, le bien de l’ensemble dépend du respect des individus entre eux et du but commun, fondé sur la fraternité et la solidarité. Les francs-maçons sont des abeilles dans la ruche qu’ils ont choisie. Les rites/rituels et cérémonies mobilisent, canalisent et orientent l’énergie collective, pour transférer sur le plan conscient, les bases sur lesquelles s’édifient, se structurent et s’harmonisent les communautés. «On pourrait voir dans la loge un lieu de pollinisation mutuelle, chaque parole qui s’y échange contribue à une mellification commune que favorise le silence, et chacun en tirera le profit qui lui est singulier.» (Dictionnaire buissonnier de la Franc-maçonnerie, Annick Drogou, Jean-Marc Petillot, Numérilivre).

Au XIXème siècle, presque toutes les grandes loges d’Amérique ont officiellement approuvé les tapis de Loge de John Sherer et recommandé à chaque loge subordonnée d’en acheter un comme aides pédagogiques pour le Vénérable Maître afin d’instruire les impétrants. Sur celui de Maître, Sherer y illustre l’Église (ruche) soutenue par les quatre piliers du Nouveau Testament : Matthieu, Marc, Luc et Jean sur The Master’s Carpet. “La fleur sous la ruche est un dianthus, nommée ainsi par le botaniste grec Théophraste, signifiant «fleur de Dieu». À gauche, la ruche est entourée de céréales et de marguerites symbolisant St. Jean l’évangéliste. À droite, le millepertuis représentant St. Jean-Baptiste, accompagné de deux roses et d’un bouton de rose pour Marie-Madeleine, la Vierge Marie et un enfant.”

L’Abeille est un symbole solaire. Elle représente la sagesse, l’immortalité et la richesse. Elle est le lien social, le dévouement, le courage jusqu’à la mort, le labeur personnifié.

Au Moyen Âge, on parle du « chant » de l’abeille, chant véritablement sacré puisque que l’abeille porte en elle une parcelle de l’Intelligence divine. Rassemblées en essaim ou dans une ruche, ces milliers de parcelles se trouvent reliées entre elles pour ne former qu’un seul corps — le corps mystique du Christ — dont la tête est le roi (la reine). L’ensemble est une allégorie de l’Église qui, selon l’enseignement de Saint Paul, possède à sa tête le Christ-Roi. La communauté des abeilles est donc un symbole de retour à l’unité et de réunification.

En hébreu, le mot pour dire abeille dvora ou Débora  (ד ב ו ר ה) possède la même racine que dabar (דבר), la «parole», raison pour laquelle les kabbalistes rapprochent l’abeille et le bourdonnement de la ruche du Verbe créateur. On notera qu’en hébreu le mot désert s’écrit « midbar », avec comme racines les mêmes lettres daleth beth et reich. Avec ces mêmes racines, l’hébreu écrit, entre autres, les mots : dabar qui signifie certes la parole, mais aussi la peste ; dvora, l’abeille et doberot, les radeaux sur lequel furent amenés les bois de cèdre depuis le Liban pour construire le Temple de Salomon. Leur point commun ? C’est le mouvement, le passage d’un point à un autre, le fait de transmettre.

Chaque âme vivante est une abeille qui voyage à travers la vie et recueille le pollen de la sagesse des environnements et des expériences de la vie. « Un ancien philosophe a dit un jour que l’abeille extrait le miel du pollen de la fleur, tandis que de la même source l’araignée extrait le poison. Le problème auquel nous sommes alors confrontés est : sommes-nous des abeilles ou des araignées ? Transformons-nous les expériences de la vie en miel, ou les changeons-nous en poison ? Beaucoup de gens deviennent aigris par l’expérience, mais le sage prend le miel et le construit dans la ruche de sa propre nature spirituelle ».

Selon Champollion, l’abeille était le symbole de la royauté et celui de l’inspiration sacrée ; le miel représentait l’initiation et les discours sages.

Le miel est donc un symbole de connaissance, du savoir et de  la sagesse. Il est l’aliment réservé à l’initié.

Le miel est utilisé pour illustrer les enseignements moraux. Un homme est exhorté à manger du miel et du rayon de miel (Proverbes ; 24,13), mais mis en garde contre l’excès (Proverbes ; 25, 16 et 27). C’était une comparaison pour la douceur morale (Ezé ; 3,3), et pour l’excellence de la loi (Ps ; 19,10), des paroles agréables (Proverbes ; 16,24), et des lèvres (Cantique des cantiques ; 4,11), et comme une figure d’amour (Cantique des cantiques ; 5,1).

Ce rapprochement entre le miel et la parole juste et bienveillante est bien illustré dans le rituel d’adoption du louveton/louveteau (d’au moins 7 ans) rapporté par Jean Marie Ragon dans Liturgie maçonnique. Rituel d’adoption de jeunes louvetons de 1860 : « Il leur met du miel sur les lèvres : que votre bouche ne profère que des paroles amies, douces comme le miel ! Que la colère et la calomnie ne viennent jamais la salir de propos inconvenants et injurieux ! Que votre langue ne serve jamais à proférer contre vos semblables des cris de domination ni des accents de vengeance et de mépris ! Abhorrez le mensonge.» (p13). On remarquera, que c’est avec du vin que sont touchées les lèvres du louveton de moins de 3 ans lors du rituel de baptême maçonnique avec de semblables exhortations : Le Vénérable allume le flambeau du troisième candélabre, fait apporter le verre déposé sur l’autel et qui contient du vin, le remet au parrain, y trempe l’index qu’il porte ensuite sur les lèvres du louveteau et dit: « Que ta bouche ne soit jamais souillée par le mensonge, mais que tes lèvres s’ouvrent pour proclamer hautement la vérité ; que ta voix retentisse hardiment pour la défense du malheur et de l’innocence contre l’oppression, qu’elle porte la consolation et la paix dans le cœur de tes semblables et la terreur dans l’âme du méchant » (p.40 d’un article de Mangeant dans la revue Le soleil mystique: journal de la maçonnerie universelle de 1853).

Lorsqu’il est dit dans le Cantique des cantiques (4.11) : Le miel et le lait sont sous la langue, cela peut vouloir dire que le langage dissimule puis révèle l’infinie douceur et l’infinie valeur nutritive de la pensée spirituelle. Le miel et le lait étant des métaphores de la Thora écrite et de la Thora orale. Cette pensée est pleinement humaine mais aussi pleine de D. lorsqu’elle en respecte la Discrétion et fait de sa Loi une nourriture ; le lait est appelé h’eleb parce qu’il vient du leb (cœur) ; il est mêlé au miel, né des allées et venues, du suc de fleurs mélangé au suc d’autres fleurs, par un tisserand de douceur, l’abeille qu’on appelle en hébreu débora, celle qui tisse le dabar, la parole qui irrigue la pensée vers les cieux des cieux. «D’une fleur à l’autre, elle est, entre Ciel et Terre, passeuse de vérités. À travers les résines et pollens, elle collecte les histoires, les richesses, les souffrances, les parfums de la Terre dont le végétal porte la trace», transformant ainsi la ruche en une bibliothèque de la nature qu’elle alchimise en miel (Pierre-Olivier Bannwarth)

Le miel était le sucre de l’Antiquité gréco-romaine. La tradition grecque veut que Pythagore s’en soit nourri sa vie durant. Le miel est une nourriture céleste qui a le pouvoir de nier la mortalité, une ambroisie digne des poètes et des saints.

Peu après la naissance de Platon, ses parents prirent le bébé et le déposèrent sur les pentes du mont Hymette, l’abandonnant momentanément pendant qu’ils sacrifiaient pour lui aux dieux de l’endroit. S’approchant de l’enfant qui reposait, des abeilles emplirent sa bouche de rayons de miel  afin que l’on puisse dire de lui à juste titre: « de sa langue coulait une parole plus douce que le miel. » en référence à Nestor à l’harmonieux langage, Nestor, éloquent orateur de Pylos, qui laissait couler de ses livres des paroles aussi douces que le miel..» (Homère, Iliade chant I, vers 249, décrivant la sagesse du vieux Nestor qui incita Agamemnon à la paix).

On attribue au miel des pouvoirs conservateurs ; ce rôle trouve son expression la plus forte dans une technique d’embaumement consistant à envelopper le cadavre de miel et de cire. L’hydromel des Celtes et des dieux grecs, à base de miel, n’était-il pas le breuvage d’immortalité ?

Le miel ne pose-t-il pas la question « mi El ?», « qui est Dieu ? » par glissement phonétique vers l’hébreu ( מי אל ) ? La réponse est peut-être, en hébreu, dans la valeur numérique du mot « miel », devach ( ד ב ש) qui est identique (306) à celle du mot « feu », haesh (האש) et au mot femme: icha (אִשָּׁה)!

Ruche, c’est le nom donné à la loge qui se scinde pour permettre la création d’une nouvelle loge dans la même obédience: on parle d’essaimage.

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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