lun 29 avril 2024 - 15:04

Liberté, Égalité, Fraternité : de l’idéal au réel en Franc-maçonnerie ?

Liberté, égalité, Fraternité. Ces 3 mots qui représentent des valeurs humanistes fortes, partagées par plusieurs pays ou institutions qui en ont fait leur devise, ont une origine historique incertaine : maçonnique pour certains, révolutionnaire ou républicaine pour d’autres. En effet, les recherches engendrées par le Bicentenaire de la Révolution montrent que l’antériorité maçonnique de la devise Liberté, Égalité, Fraternité n’a aucun fondement concerté au sein des obédiences et des rites maçonniques de l’époque considérée.

De nombreuses anecdotes peuvent expliquer les rivalités d’attribution de l’origine de la devise. On a retrouvé à la Bibliothèque Nationale une trace de la création, par le GODF, d’une loge militaire portant le titre distinctif «Liberté, égalité, Fraternité» sise à l’orient de la Légion franche étrangère. Cette loge a été installée le 14 mars 1793 par la Respectable Loge «Amitié et Fraternité» (Orient de Dunkerque). Certes, il s’agit d’un titre distinctif, d’un nom de loge ; or, ce titre de la loge est évoqué à chaque tenue, au moins deux fois, à l’ouverture et à la fermeture des travaux comme aujourd’hui. De là à en faire une devise… la chose est d’autant plus facile qu’une loge militaire se déplace et reçoit de nombreux visiteurs.

Portées par la Renaissance, ces trois valeurs se sont retrouvées au sein de différents courants de pensée humaniste soucieux de lutter contre l’injustice et l’arbitraire. La maxime «Liberté, égalité, Fraternité» puise ses origines au XVIIIe siècle, le siècle des Lumières.

La devise liberté-égalité-fraternité

En 1755, dans une ode à la gloire du gouvernement helvétique, Voltaire associe implicitement  les 3 termes : «La Liberté ! J’ai vu cette déesse altière avec égalité répandant tous ses biens…Les états sont égaux et les hommes sont frères». Mais c’est Rousseau qui, dans son Discours sur l’économie (1755), propose cette triade comme une des bases du Contrat social.

La devise n’est toutefois pas officiellement constituée en 1789 et, contrairement aux idées reçues, elle ne devient pas une création officielle de la Révolution, bien qu’elle en incarne certaines valeurs clefs. Seuls les deux premiers termes ont été associés dans la Déclaration des Droits de l’homme du 26 août 1789 : «Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit.»

C’est en 1790 qu’Antoine-François Momoro, second couteau sanguinaire, révolutionnaire de la Terreur, qui finira sur l’échafaud avec son compagnon de route Jacques Hébert, propose comme devise au Club des Cordeliers, liberté, égalité, fraternité. Ce slogan, pétri de chimères, sera repris par Lamartine comme principe de la République et sera inscrit pour la première fois dans le préambule de la Constitution du 4 novembre 1848. Pour d’autres, la première triple association est attribuée à Robespierre à la 16ème proposition de décret dans son discours prononcé en décembre 1790 lors de la création des Gardes Nationales : «Elles[les gardes nationales] porteront sur leur poitrine ces mots gravés : Le Peuple français, & au-dessous : Liberté, égalité, Fraternité». Les mêmes mots seront inscrits sur leurs drapeaux, qui porteront les trois couleurs de la nation». Cette expression a accompagné l’aventure révolutionnaire de Juin 1793 jusqu’au Consulat en 1799. À partir de 1793, les Parisiens, rapidement imités par les habitants des autres villes, peignent sur la façade de leur maison les mots suivants : “unité, indivisibilité de la République ; liberté, égalité ou la mort”. Mais ils sont bientôt invités à effacer la dernière partie de la formule, trop associée à la Terreur… Comme beaucoup de symboles révolutionnaires, la devise tombe en désuétude sous l’Empire. Elle réapparaît lors de la Révolution de 1848, empreinte d’une dimension religieuse : les prêtres célèbrent le Christ-Fraternité et bénissent les arbres de la liberté qui sont alors plantés. Lorsque rédigée la Constitution de 1848, la devise ” Liberté, Égalité, Fraternité “est définie comme un ” principe” de la République. Sans avoir été devise officielle, l’expression a tout de même marqué les esprits et s’est imposée comme le symbole des acquis politiques et sociaux révolutionnaires, comme un programme politique et, à terme, comme un point de ralliement pour les républicains.

De 1790 à 1830, la devise n’est plus utilisée ; suivent des années de grande tension sociale et politique qui aboutissent à la Révolution de février 1848.

La IIe République consacre l’expression après que le gouvernement provisoire l’ait employée dans sa première déclaration le 24 Février 1848. Cette année-là voit l’apparition de la devise sur le drapeau français, Lamartine, qui n’était pas franc-maçon (mais qui adhérait à l’idéal libéral  maçonnique), proclama la IIe République et déclara : «Sur le drapeau national sont écrit ces mots : République Française, Liberté, égalité, Fraternité, mots qui expliquent le sens le plus étendu des doctrines démocratiques dont le drapeau est le symbole, en même temps que ses couleurs en continuent la tradition». L’importance du mot liberté à cette époque est à comprendre comme l‘abolition de l’esclavage qui promeut tout individu au niveau d’un être humain; il ne sera plus un objet mais un sujet.

Boudée par le Second Empire, la devise finit par s’imposer sous la IIIème République. La IIIe République coïncide avec la renaissance de l’expérience républicaine et la réactivation de la devise triptyque en 1871. C’est dans son ouvrage de 1875 intitulé  Le droit et la Loi  que Victor Hugo écrit : «Liberté, égalité, Fraternité… ce sont les trois marches du perron suprême. La liberté, c’est le droit ; l’égalité, c’est le fait ; la fraternité c’est le devoir».

Cependant, il faut attendre la révision constitutionnelle de 1879 pour que soit prise la décision de réinscrire les trois mots à tous les frontons des bâtiments officiels. On observe toutefois encore quelques résistances, y compris chez les partisans de la République : la solidarité est parfois préférée à l’égalité qui implique un nivellement social et la connotation chrétienne de la fraternité ne fait pas l’unanimité.

La devise est réinscrite sur le fronton des édifices publics à l’occasion de la célébration du 14 juillet 1880.

Le périple de la triade s’achève glorieusement puisque la Constitution du 4 octobre 1958 l’impose comme la devise constitutionnelle de la République française. Elle fait aujourd’hui partie intégrante de notre patrimoine national. On la trouve sur des objets de grande diffusion comme les pièces de monnaie ou les timbres.

L’usage maçonnique de la devise

En franc-maçonnerie, la devise va progressivement devenir l’acclamation (dans certains rites seulement)

Un des  plus anciens documents où l’égalité et la liberté sont formellement présentées comme points principaux de la doctrine maçonnique est un ouvrage (cependant antimaçonnique écrit par l’Abbé Larudan) de 1747, Les francs-maçons écrasés où on peut lire p.299 : « le portier l’ouvre et demande à l’aspirant : s’il a vocation à la liberté, à l’égalité, … ? Il « répond que oui, on l’introduit ». Plus loin p. 313  « le soir de sa réception, on ne lui dit autre chose, sinon que la liberté& l’égalité sont l’unique but de la Société».

L’égalité et la liberté sont également invoquées avec insistance comme principes régulateurs, dans la première circulaire du Grand Orient. Celle de 1775 les présente comme «l’apanage précieux des francs-maçons». 

Dans sa circulaire de 1791, la Mère Loge du Rite Écossais Philosophique, St Jean du Contrat Social on peut lire :« Bien des siècles avant que Rousseau, Mably, Raynal, eussent écrit sur les droits de l’Homme et eussent jeté dans l’Europe la masse des Lumières qui caractérisent leurs ouvrages, nous pratiquions dans nos Loges tous les principes d’une véritable sociabilité. L’égalité, la liberté, la fraternité, étaient pour nous des devoirs d’autant plus faciles à remplir que nous écartions soigneusement loin de nous les erreurs et les préjugés qui, depuis si longtemps, ont fait le malheur des nations. »

Le premier Compte rendu lors de la reprise des travaux de la GLDF le 24 juin 1795 commence par cette devise.

En 1877, le pasteur Frédéric Desmons propose la formulation suivante qui va être adoptée «La Franc-maçonnerie est une institution essentiellement philanthropique, philosophique et progressive, elle a pour objet la recherche de la vérité, l’étude la morale universelle, des sciences et des arts et l’exercice de la bienfaisance. Elle a pour principe la liberté absolue de conscience et la solidarité humaine. Elle n’exclue personne pour ses croyances. Elle a pour devise Liberté, égalité, Fraternité».

 «Que la Liberté soit l’assise du Temple, Que l’Égalité en soit la Clé de Voûte, Que la Fraternité soit le Ciment du Temple» comme il est dit au Rite Français Philosophique, 2017.

La liberté comme base, l’égalité comme moyen, la fraternité comme but.

En 1849 : au niveau du GODF, l’acclamation devient Liberté, égalité, Fraternité en lieu et place de vivat, vivat, semper vivat.

En ces temps, Adolphe Crémieux, franc-maçon et membre du Gouvernement Provisoire, reçut une délégation des Loges maçonniques et prononça au nom du Gouvernement, la phrase suivante : «Dans tous les temps, dans toutes les circonstances, sous l’oppression de la pensée comme sous la tyrannie du pouvoir, la maçonnerie a répété sans cesse ces mots sublimes : Liberté égalité, Fraternité !» Jules Barbier de la délégation maçonnique a ajouté : «Nous saluons des acclamations les plus vives le Gouvernement républicain qui a inscrit sur la bannière de la France cette triple devise qui fut toujours celles de la Franc-maçonnerie: Liberté, égalité, Fraternité».

Pour le Rite écossais, Adolphe Crémieux, devenu Souverain Grand Commandeur du Rite écossais ancien et accepté en 1869, entreprit de refondre les Règlements Généraux du Rite qui dataient de 1846. Entre autres propositions, il souhaitait inclure à la fin de l’article II, la phrase : «l’Ordre Maçonnique a pour devise Liberté, égalité, Fraternité…» Sur ce point  précis, point d’opposition ; le blocage portait sur l’invocation au GADLU. Ce blocage suivi de la guerre franco-allemande, de la surveillance des loges par la police (1874), du début des actions anticléricales ont détourné les préoccupations des francs-maçons du Rite écossais. Finalement, la devise maçonnique fut affirmée dans un décret datant du 2 décembre 1873 avec effet le 1er mai 1874. Le GODF explicite que cette triple devise est la transformation logique, naturelle et progressiste des devises anciennes : foi, espérance, charité (Cahier des grades capitulaires (du 4e au 18e degré) : Rituel des Chev[aliers] Rose-Croix, 1890).

Au REAA, après les batteries, on retrouve les acclamations Houzza Houzzé Houzzé, ou bien Liberté Égalité, Fraternité. Au RER, Vivat–vivat–semper vivat. Au ROPM : Vie ! Force ! Santé ! L’acclamation est doublée avec le ternaire Liberté, Égalité, Fraternité. Au Rite MM, l’acclamation Liberté, égalité, Fraternité est souvent suivie ou «couverte», en France, par une seconde acclamation « Unité, Continuité, Stabilité » en hommage à l’Ordre. Spécifiquement au Rite de Misraïm, l’acclamation qui remplace ou couvre Liberté est « Adonaï, Adonaï, Adonaï », du nom d’un des aspects de la divinité dans la tradition israélite. Il est des obédiences, telle le OITAR, qui ont remplacé la devise, lorsque cela se présente, par « Liberté Équité Amitié » ou par «énergie, émulation, altruisme ».

Il est à l’honneur de la Franc-maçonnerie française, et latine en général, d’avoir nourri cette devise, d’en avoir perçu le caractère fondateur et d’en avoir favorisé la synthèse dans le temple et dans le monde profane. Pour le franc-maçon, cette devise possède une force symbolique intrinsèque dont il prend la mesure lorsqu’il la prononce en loge après l’acclamation écossaise.

Cette devise est le «principe de la véritable sociabilité maçonnique». Alors comme le dit notre TCF Christian Roblin : devisons gaiment

LA FRANC-MAÇONNERIE EST UNE SPIRITUALITÉ DE LA LIBERTÉ

«Nous sommes des Maçons libres, c’est-à-dire, pour qui sait l’entendre, des artisans de notre propre bonheur, qui sans porter de rebelles atteintes aux lois civiles et religieuses, travaillons sur des plans tracés par la nature et compassez par la Raison, à reconstruire un édifice moral dont le modèle exécuté dans les premiers âges du monde, nous est conservé par l’idée universelle de l’Ordre» (l’Almanach des Cocus ou amusemens pour le beau Sexe pour l’année MDCCXLII auquel on a joint un recueil de Pièces sur les Francs-Maçons, 1742, comportant, outre la Réception d’un Frey-Maçon du chevalier Hérault, une suite de discours prononcés en loge à l’occasion de rencontres entre Ateliers ou pour servir à l’instruction des Apprentis).

L’expression « libre et accepté » est adoptée dans la deuxième édition du Livre des Constitutions dites d’Anderson, en 1738, dont le titre devient  Le Nouveau Livre des Constitutions de l’Ancienne et Honorable Fraternité des Maçons Libres et Acceptés. Dans la première édition de 1723 le titre était, Les Constitutions des francs-maçons. Le titre plus récent continue à être utilisé par la Grande Loge d’Angleterre, suivi par celles de l’Écosse et l’Irlande ; une majorité des Grands Loges aux États-Unis ont adopté le même style et se disent Grand Loges de Maçons libres et acceptés. Mackey dans son Encyclopédie de la Franc-maçonnerie explique les termes, libre et accepté, à partir des anciens textes utilisés en Angleterre qui donnent le récit suivant de leur origine : Les maçons qui furent choisis pour construire le Temple de Salomon furent simplement déclarés libres et furent exemptés, avec leurs descendants, des droits et des impôts. Ils avaient aussi le privilège de porter des armes. Au cours de leur déportation à Babylone, Cyrus leur donna la permission d’élever un second Temple, les ayant mis en liberté à cette fin. C’est de cette époque que nous portons le nom de Maçons Libres et Acceptés [sic].

La déclaration du Convent de Lausanne en  septembre 1875 (qui réunit les Suprêmes Conseils de onze pays) proclame la liberté comme le bien le plus précieux : «la liberté, patrimoine de l’humanité tout entière, rayon d’en haut qu’aucun pouvoir n’a le droit d’éteindre ni d’amortir et qui est la source des sentiments d’honneur et de dignité.»

La liberté n’est pas de refuser des obligations auxquelles le franc-maçon consent (la Franc-maçonnerie est un Ordre, ses membres s’engagent, par serment, à observer scrupuleusement les prescriptions de la Constitution internationale, les statuts, les Règlements généraux et à défendre l’Ordre) mais de mesurer avec sa liberté de conscience s’il peut continuer à s’obliger, à adhérer, face aux contraintes de l’autorité de tutelle. Il ne peut  renverser sa dépendance en liberté pour se rendre à son tour maître de sa situation qu’à la condition de reconnaître en conscience la pleine valeur de cette liberté et de se tenir pour responsable de ce qu’il met en œuvre pour la conquérir.

Dans l’étude lexicographique des rituels, c’est à partir de 1840 que l’on voit l’utilisation du concept de liberté prendre de l’importance .

Certaines personnes se battent concrètement pour leur liberté, leur choix et leurs engagements, défiant les obstacles, les dangers et les lourdeurs de l’habitude. Elles accomplissent de nouveaux horizons pour se transformer et transformer aussi le monde qui les entourent.

La démission de tout membre de la Franc-maçonnerie, son retrait demeure sa liberté absolue.

La liberté juridique ou civile consiste dans le droit de faire tout ce qui n’est pas défendu par la loi. Elle se présente comme une prérogative ouvrant à son bénéficiaire, lorsqu’il le désire, un libre accès aux situations juridiques qui se situent dans le cadre de cette liberté. Une liberté est en principe non définie ni causée (susceptible non pas d’abus, mais d’excès) ; elle est également, en principe, inconditionnée (ainsi se marier ou non, contracter ou non, acquérir ou aliéner, tester, faire concurrence à d’autres commerçants…). Cette liberté personnelle est cependant à compléter par la reconnaissance de celle de l’autre: ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux (Luc;6,31). Alors ma liberté commence là où commence celle de l’autre .«Car pour être libre, il ne suffit pas de se libérer de ses chaînes, il faut vivre en respectant et en augmentant la liberté des autres.» (Nelson Mandela).

Le franc-maçon transforme sa liberté en autonomie et responsabilité.

La liberté de conscience est irréductible en Franc-maçonnerie

On peut en trouver l’expression dans l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 : «Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites.» Cette Déclaration consacre l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 : «La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.».

Toutefois cette déclaration n’était qu’une résolution de principe non obligatoire.

À l’opposé, la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, communément appelée Convention européenne des droits de l’Homme, signée à Rome le 4 novembre 1950 a un caractère obligatoire à travers les sanctions et le fonctionnement de la Cour européenne des droits de l’Homme. Dans son article 9, cette Convention précise de façon explicite la liberté de conscience :

  • Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
  • La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

Encore faudrait-il définir la conscience !

Cette liberté s’étend aux convictions morales et philosophiques qui découlent des choix faits, à la liberté d’opinion, en particulier politique. Toutefois, l’Administration, qui ne peut pas écarter les convictions politiques, peut éventuellement prendre en compte l’extériorisation de ces convictions.

Les clauses de conscience sont de plus en plus nombreuses à la lumière de la diversité sociale (par exemple, des dispenses peuvent aussi être accordées pour que des personnes ne travaillent pas un jour religieux).

Le rite permet à tous les francs-maçons de concilier liberté de conscience et Art royal ; la liberté de conscience a pour corollaire la Tolérance sans laquelle la Franc-maçonnerie adogmatique ne pourrait se revendiquer en tant que Centre de l’Union. La liberté de conscience ouvre la possibilité d’adhérer ou non selon son libre arbitre à telle ou telle religion. La liberté de conscience, au sens strict du terme, s’inscrit donc dans la sphère de la question de la liberté religieuse. La liberté de penser, plus large encore, confère à l’homme la possibilité d’user de sa raison pour pousser sa recherche du vrai jusqu’où il le peut sans rencontrer aucune entrave, fût-elle religieuse. Ainsi du XVIIe siècle au XVIIIe siècle où les défenseurs de la liberté de conscience comme Bayle et ceux de la liberté de penser comme Spinoza s’inspirent soit de références bibliques soit de la critique scripturaire naissante pour affirmer non seulement le droit à la liberté de conscience et de penser mais encore la nécessité de cette liberté pour le progrès de l’homme. L’originalité de la maçonnerie spéculative consiste précisément à affirmer cette double nécessité mais dans le cadre d’une quête spirituelle. Ce n’est qu’au convent du GODF de 1877 que sera abandonnée la référence au Gadlu. L’après-Convent de 1877 conduit à des retouches plus hardies. En 1879, le Grand Collège des Rites, chargé par le Conseil de l’Ordre du Grand Orient, fait disparaître des rituels les formules trop ouvertement religieuses, comme la référence au Grand Architecte de l’Univers, les devoirs envers Dieu au 1°, l’explication métaphysique de la lettre G au 2° et l’invocation à Dieu du signe d’horreur au grade de maître. En 1886, une commission de 12 membres, présidée par l’avocat Louis Amiable (1837-1897), procède à une nouvelle révision adoptée en Conseil de l’Ordre les 15-16 avril. Le nouveau rituel français, qui prendra le nom de son principal rédacteur, est accompagné d’un Rapport sur les nouveaux rituels pour les loges rédigé par Amiable lui-même. Ce codicille explique que le nouveau texte, en partie inspiré des rituels du Grand Orient de Belgique, se réfère grandement au positivisme. Sa philosophie générale est la “neutralité entre les diverses croyances” et le fait que  les données certaines fournies par l’état actuel de la science devaient être par nous mises à profit».

La Franc-maçonnerie offre une voie spirituelle qui est une voie spécifique en dehors de tout dogme et de toute doctrine, qui permet à chaque homme de poursuivre son chemin vers la Connaissance. La Franc-maçonnerie propose un idéal de liberté, de tolérance et de fraternité dans le respect des opinions de chacun, laissant à l’homme une liberté de travail qui lui permet de poser son propre rythme et de reculer constamment ses limites sur le chemin de l’élévation spirituelle et morale n’acceptant aucune entrave dans sa recherche.

La liberté de conscience est le fondement de la laïcité. S’il était besoin de le démontrer, écoutez notre TCF Christian Roblin dans le podcast de France Culture enregistré le 18 avril 2021, Liberté de conscience et laïcité

On ne confondra la liberté de conscience avec la libre pensée. «La libre pensée est un courant de pensée diffus qui refuse tout dogme et milite en faveur d’une pensée libre où aucune idée révélée, décrétée, ou présentée comme une certitude, ne fait autorité, en particulier dans les questions religieuses. La réflexion est guidée par la raison et les religions révélées sont vues comme des obstacles à l’émancipation de la pensée. Par extension, le terme est utilisé lorsqu’on s’affranchit de toute croyance religieuse.»

Un franc-maçon ne saurait être seulement libre, il doit, aussi, être de bonnes mœurs

En effet, ce sont les deux qualités nécessaires à tout profane qui souhaite entrer en Franc-maçonnerie.

Au début du XVIIIe  siècle, l’instruction, le pouvoir, la représentativité étaient uniquement masculins et l’on doutait encore à cette époque qu’une femme puisse avoir une âme ; en fait, elle était considérée comme légalement mineure, donc non libre de l’autorité de leur père ou du mari. Alors comment imaginer une femme en Franc-maçonnerie? On comprend mieux pourquoi, dans les Constitutions fondatrices, la Franc-maçonnerie lui était interdite. La Franc-maçonnerie était le reflet de la société de l’époque. À remarquer qu’en ce temps, il n’y avait naturellement pas de Juifs en Maçonnerie, puisque ceux-ci, comme les femmes, étaient privés de droits civiques avant la Révolution Française. Aucun règlement maçonnique n’avait besoin de préciser ce qui allait alors de soi.

Dans le contexte du Royaume d’Angleterre, au début du XVIIIe siècle,  «être libre» était en fait très précis et lié :

  • aux Liberties des Cités face à la Couronne, notamment de la Cité de Londres, écrite dès 16 juin1215 dans la Magna Carta,
  • aux privilèges des guildes (Liveries aujourd’hui, et toujours en usage) d’affranchir des hommes pour en faire des freemen dans les Cités et Bourgs.
  • aux Charges attribués aux Freemen élevés au statut de Liverymen, chargés de réglementer les affaires de la Cité ou du Bourg (édicter de nouvelles lois et taxes locales, régler des actes de Justice).

Pour être un freeman, deux possibilités principales étaient offertes :

  • obtenir rédemption par achat et après 7 années d’apprentissage minimum obligatoire auprès d’un Freeman,
  • obtenir rédemption par achat (mais plus cher bien sûr).

Être Freeman permettait de monter une affaire et d’être autorisé à travailler dans la Cité ou le Bourg, plus une zone d’exclusivité et réglementée de quelques miles autour (de 1 à 8 miles selon la Guilde/Livery). Il s’agissait d’une règle de Corporations dont ils se portaient également garant de la qualité des produits et services (surveiller par les Maîtres et Surveillants des Liveries). Il y avait un aspect protectionniste des marchés économiques et des savoir-faire, puisqu’il était interdit dans les Liveries d’embaucher des apprentis qui n’étaient pas fils de freeman (pas d’étrangers, pas d’esclaves). Dans le plus ancien texte connu des Devoirs anglais, le Manuscrit Regius (ou Halliwell), daté de la fin du XIVe siècle, il y est clairement spécifié que «le maître doit bien veiller à ne pas prendre de serf comme apprenti, ni à en engager un par obstination, car le seigneur à qui le serf est lié peut venir le chercher où qu’il se trouve». Il y est encore dit que «l’apprenti doit être bien né, de naissance légitime». Ainsi, ces constitutions laissaient clairement entendre qu’il fallait être fils de freeman. James Anderson l’était d’ailleurs, puisque fils d’un Maître verrier d’une Loge de la Cité d’Aberdeen (il fut d’ailleurs Maître de Loge et a reconstitué le Livre des Marques des membres de la loge).

Les  tout premiers textes de la maçonnerie opérative il était écrit : «né libre et de bonnes humeurs» qui devient «libre et de bon renom» ensuite, et pour insister sur les valeurs morales, est devenu «libre et de bonnes mœurs». Les deux notions fréquemment accolées de mœurs et de coutumes perdurent de l’Antiquité jusqu’au XIXe siècle. Si la première regarde les manières d’être comme implicitement structurées par des systèmes de valeurs, la seconde désigne des habitudes, et donc des systèmes de pratiques.

À  la première fête solsticiale d’hiver qui suivit la fondation du Grand Orient, le 27 décembre 1773, un discours sur le caractère et le rôle de la Franc-maçonnerie fut prononcé par le F. Henrion de Pensey. On remarquera  ce qu’il dit des «bonnes mœurs» : «Les [bonnes] mœurs, aussi bien que les lois, sont les colonnes sur lesquelles repose la prospérité des empires. Avec des mœurs on se passerait de lois. Sans les mœurs, les plus sages règlements sont inefficaces.»

Aux exigences des bonnes mœurs citoyennes, la Franc-maçonnerie ajoute des exigences qui lui sont propres parmi lesquelles l’esprit du lien fraternel. À la morale coutumière, la Franc-maçonnerie associe une morale transcendantale, un idéal moral développé dans les catéchismes devenus mémentos et dans les rituels à travers questions et réponses. Ainsi viendront, suivant les grades, des propositions d’élévation morale.

C’est avec un regard malicieux que notre TCF Fouqueray nous demande si l’application de la devise par les frères et sœurs est bien réelle !

Les trois fêtes de pèlerinage à Jérusalem, prescrites par la Torah sont pour la Liberté (Pessa’h), pour l’Égalité (Souccot) et pour la Fraternité (Chavouot).

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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