(Les « éditos » de Christian Roblin paraissent le 1er et le 15 de chaque mois.)
— C’est une révolte ? » demanda Louis XVI.
— Non, Sire, ce n’est pas une révolte, c’est une Révolution ! » lui répondit le duc de La Rochefoucauld.
C’est ainsi qu’au matin du 15 juillet 1789 le roi s’interrogeait au sujet de l’événement parisien de la veille dont il venait d’être informé. Les sept prisonniers de la forteresse avaient été libérés ; quatre d’entre eux étaient de faux-monnayeurs qui, ne demandant pas leur reste, se volatilisèrent dans la population.
C’est à de tels faits que l’on doit l’émergence de l’universalisme dans la société, ce concept qui faisait disparaître les trois ordres séparant le clergé, la noblesse et le tiers état. Disparaître ? C’est vite dit… Bourgeoisie et aristocratie s’affronteront encore longtemps et ce n’est qu’au sortir de la Seconde Guerre mondiale que la mouvance monarchiste de l’Action française va s’effondrer, emportée par le pétainisme impénitent de son chef, Charles Maurras. Quant à l’Église, si son déclin s’est amorcé dès le XIXe siècle, la rupture dans la pratique religieuse des catholiques est plus tardive et date seulement des années 1960, au moment même où, paradoxalement, le clergé cherche à s’adapter à la modernité – un noyau dur de fidèles ayant, à rebours, montré ultérieurement sa capacité à se mobiliser dans de grandes manifestations, au soutien de courants politiques à tout le moins conservateurs.
L’universalisme, comme nous le répétons ici à chaque occasion, revendique une dignité commune pour tous les hommes. S’il impose leur égal respect, il ne nie pas les diversités ethniques ni les différences d’organisation politique : il place seulement, par-delà la variété de la palette humaine, au-dessus des croyances et des institutions, des valeurs de tolérance et de justice que tout homme sur terre devrait pouvoir invoquer dans sa conduite comme pour sa protection. L’universalisme, reposant sur une reconnaissance mutuelle des langues et des cultures, chérit l’autre dans sa richesse et ne lui propose comme horizon général que la recherche de la compréhension et de la paix : il regarde l’avenir, en dissipant les remugles du ressentiment, et, parce qu’il réclame inlassablement des preuves à son seul niveau, il est toujours combattu par les régimes autoritaires.
Pour autant, dans la mêlée historique, la notion d’universalisme qui fleurit à la Révolution française, si elle a conféré à chacun les mêmes droits et les mêmes devoirs envers la Nation, a pu provoquer des raccourcissements radicaux. Ce ne furent pas seulement des opinions qui montèrent à l’échafaud et les historiens disputent si la Terreur était déjà contenue en germe dans les premières convulsions. Longtemps après, en janvier 1891, à la Chambre des députés, on entendit Clémenceau s’exclamer : « La Révolution française est un bloc dont on ne peut rien distraire. » Tout un courant de pensée adhère encore à cette idée.
Pour nous autres, Francs-maçons, l’universalisme nourrit non seulement notre exigence et notre espoir mais il commande notre vigilance devant la montée des périls. Dans de nombreux esprits, il reste beaucoup de Bastille à prendre ou à conquérir. Qui peut croire que tous les 14-juillet vont indéfiniment s’illuminer sur l’air des lampions ?