ven 22 novembre 2024 - 11:11

Le sang et le sens

La dernière fois que les forces de police sont entrées dans les obédiences maçonniques françaises, c’étaient celles de la police nazie, au début de la dernière guerre. Avec, de triste mémoire, les déportations et morts de francs-maçons qui ont suivi. Aujourd’hui, sans vergogne, une autre forme de police – cette fois en apparence pacifique – pénètre dans les loges, par l’écriture d’initiés eux-mêmes : habillée en roman policier, dit « thriller » (comme s’il était maintenant déplacé de parler français !).

L’Art Royal – qui peut s’enorgueillir d’avoir contribué à la plupart des grandes avancées sociales du début du 20ème siècle, mérite tout de même beaucoup mieux pour sa réputation, je le pense, que les « polars maçonniques » qui courent avidement après le « Da Vinci Code » de Dan Brown. Ils se multiplient en ce moment et présentent la franc-maçonnerie – suspense et bas instincts obligent – comme lieu de rencontre de gangsters ou théâtre de meurtres sanglants ! Voilà bien le résultat pervers de notre manie du secret, aujourd’hui injustifié, sauf pour qui veut en jouer par snobisme !

La franc-maçonnerie n’est pas une secte dangereuse. Pourquoi la renier et la salir ainsi, pourquoi en fausser l’image avec des scènes de crimes et de violences inventées ?! Question à se poser lorsqu’on sait l’importance, positive ou négative de la fiction ! Cette forme de « littérature de gare », en détournant « le genre policier » – éventuellement captivant dans des milieux appropriés – peut distraire pendant un voyage mais, à mon avis, elle ne fait que répondre, en maçonnerie, à une mode fictionnelle néfaste. Qui confond ésotérisme et occultisme d’un autre temps sinistre.

Récemment, l’affairisme maçonnique, justement dénoncé dans nos rangs, nous faisait crier à l’outrage, presque jusqu’au signe de détresse ! A présent, dans un silence total, certains plumitifs en mal de notoriété – qui pensent avoir trouvé un créneau juteux – introduisent dans notre univers ce «poison psychique». Sans même se demander s’il n’y aurait pas là contravention à leur serment et même, carrément, quelque faute morale !

De mon point de vue – et par constat récent comme enquêteur – hors de son contexte initiatique habituel, une telle « écriture » peut semer un doute craintif, nuire ainsi à l’image de l’Ordre maçonnique et, au final, entraver le recrutement (Mes deux enquêtés, apeurés par le contenu mortifère et jugé obscurantiste de ces livres, ont renoncé à nous rejoindre). Enfin, tout ce temps donné à cet imaginaire négatif – qui fait ruisseler l’hémoglobine virtuelle – en est autant de perdu pour l’exercice d’un imaginaire positif.

Entre autres, celui qui doit donner ou maintenir à la maçonnerie – mal comprise du Grand Public parce ce que, encore, mal expliquée – notamment son rôle d’école de pensée donc lieu civique communautaire, favorisant noblement la joie intérieure, non la peur, même artificielle. L’imaginaire positif peut favoriser une volonté, celle d’inviter maçons et maçonnes, au gré de leur « mission » externe, à transmettre le sens du sacré dans la Cité, qui en a tant besoin ! Il n’est pas nécessaire pour autant d’assassiner Hiram une seconde fois !

Transfusion de sens, vaut mieux que profusion de sang !

2 Commentaires

  1. cher frère Gilbert, un frisson de culpabilité m’a enveloppé à la lecture de ton article. En effet j’apprécie de temps à autre savourer un polar maçonnique, par exemple avec la signature de Henri Lœvenbruck ou Jean-Pierre Bocquet.
    Il faut dire que j’y savoure de lire par-ci par-là quelques points que j’ignorais, ou de participer à l’interrogation philosophique qui s’y développe ; là, p ex., “Origine” de Dan Brown comprenait l’interrogation sur la vie comme hasard ou nécessité, en appui sur la thermodynamique, et m’a passionné .
    Toujours ces narratifs dont la puissance nous captive, comme tu l’écrivais récemment.
    En tous cas, la question que tu poses ici mérite réflexion.
    Très fraternellement , Patrick

  2. Cher ami,
    Merci pour votre article.
    Cependant, quid de ceux qui se réclament d’une école de spiritualité, professant même parfois un certain dogmatisme ?
    De plus, pouvons-nous en savoir plus sur ce que vous nommez “l’affairisme maçonnique” ?

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Gilbert Garibal
Gilbert Garibal
Gilbert Garibal, docteur en philosophie, psychosociologue et ancien psychanalyste en milieu hospitalier, est spécialisé dans l'écriture d'ouvrages pratiques sur le développement personnel, les faits de société et la franc-maçonnerie ( parus, entre autres, chez Marabout, Hachette, De Vecchi, Dangles, Dervy, Grancher, Numérilivre, Cosmogone), Il a écrit une trentaine d’ouvrages dont une quinzaine sur la franc-maçonnerie. Ses deux livres maçonniques récents sont : Une traversée de l’Art Royal ( Numérilivre - 2022) et La Franc-maçonnerie, une école de vie à découvrir (Cosmogone-2023).

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