jeu 25 avril 2024 - 03:04

Au commencement était le verbe

Nous n’en parlons jamais !

Certes, en loge, nous remarquons que nos rituels maçonniques – quel que soit le rite pratiqué – sont à la fois des « conducteurs » qui articulent et rythment nos cérémonies et des recueils de bons principes de vie, voire de morale.

Certes, nous y apprécions les thèmes des planches présentées par nos frères et sœurs et nous permettent échanges et réflexions lors de débats, souvent passionnants, passionnés même, mais généralement enrichissants.

Certes, lors des agapes partagées après les tenues, nous poursuivons parfois les discussions, en donnant une large place aux rires et plaisanteries, traditionnellement de mise pour accompagner nos plaisirs de bouche.

Certes, de retour dans la Cité – parce que nous n’oublions pas notre devoir de transmission et aussi pour recueillir des avis « profanes » – il nous arrive de prolonger les sujets en cause en famille, au bureau ou autres lieux de rencontre.

 Nous sommes tout à la fois des êtres de comparaison, d’imitation et de répétition, en clair des « hommes et des femmes de paroles » et nous respectons ainsi notre engagement. Par notre volonté de nous rapprocher de l’autre, cet « autre Moi ». Bref, autant par désir que par plaisir de communiquer et d’être utile. Mais…dans toutes nos circonstances de communication, sommes-nous bien conscients, francs-maçons, franc-maçonnes de notre état, que nous utilisons un merveilleux outil qui est, non seulement le langage, mais LA LANGUE ? En l’occurrence, la langue française. Il en est de même, bien entendu, pour tous les francs-maçons et maçonnes du monde, dignes de ce nom, qui pratiquent la langue de leur pays.

Nous n’en parlons jamais, sinon, soyons francs, pour remarquer « gentiment » les tournures rituelliques ampoulées du 18ème siècle que nous reprenons pourtant avec cœur au fil des tenues, à l’ouverture et à la fermeture de nos travaux. A noter ici que le sempiternel commentaire de rites à longueur de tenues – qu’il s’agisse de disserter sur leurs auteurs réels ou supposés, sur les dates et lieux de rédactions ou encore sur les formes lexicales utilisées – ne signifie pas leur approfondissement et objet. A l’oreille, le rituel embellit. A la pensée, il suggère. A la raison, il enseigne.

Et, sans que nous y prêtions toujours attention, l’emploi de ces « envolées poétiques » d’un autre siècle, impriment et influencent notre « narratif » (pour user d’un mot, lui, à la mode actuelle) en loge et au dehors. Ordo ab chao : les rituels ordonnent les phases cérémonielles et – sans rien exagérer – favorisent le séquencement et l’épanouissement de notre idéation. Il n’est pas interdit de penser d’ailleurs que l’on peut distinguer un franc-maçon, précisément, à sa façon de s’exprimer et à son élégance verbale en société.

Nous l’avons dit dans d’autres textes, le mot n’est pas la chose. Il n’en est ni l’être ni l’âme. Que l’évocation, que la représentation, que l’ombre, en quelque sorte. Raison impérieuse de plus pour être le plus éclairant, le plus précis possible, le plus descriptif dans notre expression orale ! Serais-je en train de dire que, partant, la franc-maçonnerie, nous rend davantage présents, attentifs, jusqu’à devenir « amoureux » même du mot, des mots, des phrases, et au final – par la sculpture signifiante que nous leur donnons – soucieux de leur sens ? Réponse : Oui, je le pense et le soutiens ! D’autres, qui plus est célèbres et crédibles, l’ont bellement souligné avant moi. « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément » nous confirme Nicolas Boileau.

Cet art de parler, nous avons le bonheur de l’exercer en rédigeant puis en présentant ce que l’Art Royal nomme par métaphores des « morceaux d’architecture » ou plus communément des « planches ». Nous le vivons à chaque tenue : le frère conférencier, la sœur conférencière, nous offrent la lecture d’un texte auquel il ou elle a donné son temps, sa réflexion, sa générosité, bref son point de vue sincère avec sa façon personnelle d’écrire et de penser. Vous l’avez remarqué, que le narrateur, la narratrice lise son écrit les yeux baissés, prisonnier, prisonnière de son texte, nous en percevons le sens mais pas ou mal les sentiments contenus. Une vitre nous sépare. Qu’il ou elle lève les yeux vers l’assistance, alors les mots prennent vie dans le regard du locuteur, de la locutrice qui se libère. L’obstacle disparaît. Ses phrases bien articulées se parent d’émotions, de ressentis, lesquels nous gagnent et nous sommes en communion de pensée avec le « parlêtre ».

Un petit miracle s’accomplit : Quand les mots s’incarnent posément par la parole, quand le geste la souligne à propos, c’est précisément une part de l’Etre, une part de l’âme du frère, de la sœur sur l’estrade, qui s’échappent, s’élèvent et parviennent à notre « entendement », au signifiant et signifié du terme. Le fond monte avec la forme, l’art exulte avec la manière. « Les hommes sont comme les lapins, on les attrape par les oreilles ! » dit Honoré de Mirabeau, avec malice et justesse.

Nous sommes loin ici du débit des animateurs de radio ou de télévision qui déroulent davantage leurs paroles plus qu’ils ne les délivrent dans leurs micros. Parce qu’au siècle de la vitesse, la mode est au « parler vite » et au « tout, tout de suite ». Et nous voici à l’opposé même de la lenteur avec des textos sur les écrans des téléphones mobiles, où les mots sont « squelettisés »! Toujours au nom de l’accélération, de la performance et de cette nouveauté constante qui s’appelle le « progrès » !

Sans être passéistes excessifs ni conservateurs obstinés, nous devons bien admettre que la langue fleurie du 18ème siècle avait le mérite inestimable d’entretenir notre patrimoine linguistique. Et en même temps, l’orthographe ! A l’heure de l’écriture inclusive qui, soi-disant, assurerait par des modalités syntaxiques « une égalité des représentations entre hommes et femmes », il est heureux que la franc-maçonnerie soutienne, à sa façon, l’intégrité de la belle langue française. La pérennité des rituels, la qualité de nos échanges, le prouvent. L’Art royal a choisi son camp depuis longtemps et s’y maintient : il est du côté des grands esprits et de la philosophie, de la littérature et de la poésie, ancienne comme contemporaine. Au commencement était le Verbe, dit d’entrée la Bible.

Le jardin des penseurs et des poètes qui instruisent et enchantent le monde est vaste et foisonnant de leurs œuvres. Ainsi relient-elles les époques par un beau ruban conceptuel. De Socrate à Spinoza, de Molière à Voltaire, de Victor Hugo à Albert Camus, de Frédéric Nietzsche à Sigmund Freud, de Simone Weil à René Girard. Autant de lumières éclairantes et expressives qui ensoleillent les planches présentées en loges ! Mais…le plus souvent une seule fois lues, ces centaines de textes s’endorment dans les dossiers ou les tiroirs de nos frères et sœurs !

C’est tout le mérite de l’équipe de l’originale revue maçonnique « 450 fm » (360° du compas + 90° de l’équerre) de maintenir en éveil cette pensée maçonnique sous les diverses formes communicationnelles. Ainsi y apparaissent en un mouvement permanent, les articles, réflexions, photos, illustrations et vidéos de notre grande famille ! Ainsi, grâce à cette véritable plateforme vivante, de « concentrés intellectuels » nait et renait cette expression orale et écrite qui illustre et défend nos idées, en autant d’« agents de liaison ». Et ainsi, au vrai sens du mot, la parole circule !

« La langue française est une femme. Et cette femme est si belle, si fière, si modeste, si hardie, touchante, voluptueuse, chaste, noble, familière, folle, sage, qu’on l’aime de toute son âme et qu’on n’est jamais tenté de lui être infidèle »

dit joliment Anatole France.

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Gilbert Garibal
Gilbert Garibal
Gilbert Garibal, docteur en philosophie, psychosociologue et ancien psychanalyste en milieu hospitalier, est spécialisé dans l'écriture d'ouvrages pratiques sur le développement personnel, les faits de société et la franc-maçonnerie ( parus, entre autres, chez Marabout, Hachette, De Vecchi, Dangles, Dervy, Grancher, Numérilivre, Cosmogone), Il a écrit une trentaine d’ouvrages dont une quinzaine sur la franc-maçonnerie. Ses deux livres maçonniques récents sont : Une traversée de l’Art Royal ( Numérilivre - 2022) et La Franc-maçonnerie, une école de vie à découvrir (Cosmogone-2023).

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