Les « éditos » de Christian Roblin paraissent les 1er et 15 de chaque mois.)
« Jadis, adolescent, moi le premier, j’enviais les autres, » aurais-je ainsi pu, par un calembour, inaugurer l’année dans un esprit très français, à ceci près que je n’ai jamais aimé fumer la cigarette et que j’ai attendu mes dix-sept ans pour entrer dans la carrière de l’amour où, s’il m’est arrivé de subir quelques licenciements, je n’ai guère connu le chômage. Aussi bien, mes camarades qui couraient après les clopes et les filles m’amusaient ou m’indifféraient, selon les circonstances. Il est vrai que je ne suis pas jaloux de tempérament.
Quant à mes obligations morales, ma longue pratique maçonnique m’a appris à les accomplir loyalement envers moi-même comme envers la société, sans escompter que d’autres s’en acquittent de même manière. La vertu de l’initiation est de placer les exigences sur son propre chemin et, ce faisant, d’aiguiser son regard, d’abord, sur soi-même, puis sur autrui, sans pour autant l’accabler des mêmes attentes. Certes, en maçonnerie, j’ai parfois été déçu par certains comportements mais, pour m’en tenir à mon expérience directe et ne pas enfler ma conscience de tous les potins qui se propagent comme des nuages de sauterelles, j’ai coutume de dire que c’est encore en loge que j’ai trouvé le meilleur rendement humain à l’hectare. Cet avantage n’a fait que s’accroître avec le temps. Peut-être suis-je devenu plus perspicace et plus magnanime, à la fois…
Vite, vite, faisons des vœux, c’est le jour. Eh bien, que cette année, malgré les soucis qui la hanteront, vous caresse des beautés du monde et de la vie ! En cette période de libations, on pourrait ajouter, comme Jules Massenet dans son Werther : « Vivat Bacchus ! Semper vivat ! [1]» Portons ainsi des santés à tous ceux qui nous sont chers !
[1] Littéralement : « Vive Bacchus ! Qu’il vive à jamais ! » Bacchus était, dans l’Antiquité, le dieu de la Vigne, du Vin et des Festivités. On ne saurait exclure qu’il y ait ici une double allusion : l’une, au banquet d’ordre de la Saint-Jean d’hiver où l’on porte des santés rituelles ; l’autre, à l’acclamation : « Vivat, vivat, semper vivat ! », qui résonne en écho aux oreilles exercées…
Quant à ce dieu romain, qui a gardé pour nom l’épithète de Dionysos, Βάκχος (Bákkhos) signifiant en grec ancien : « qui tonitrue », il a donné comme dérivés :
- « bachique », relatif au vin ou à l’ivresse ;
- « bacchanale », qui, en dehors des fêtes célébrées en l’honneur de Bacchus, désigne aussi des fêtes où l’on danse, où l’on mange, où l’on boit avec excès voire où l’on se déchaîne jusqu’à la débauche – on parle parfois, de manière moins acerbe, de « la grande bacchanale de Noël », expression que l’on trouve sous la plume de Julien Green qui, dans son Journal (Le Bel aujourd’hui, 1955-58, p. 149), ne sait « quel autre nom [lui] donner » ;
- Enfin, « bacchante », prêtresse de Bacchus et, originellement, d’un culte à mystères dédié à Dionysos – sa forme plurielle Βάκχαι (Bákkhai): Les Bacchantes, constitua le titre d’une tragédie d’Euripide où Dionysos, de retour à Thèbes, venge notamment sa mère des insultes proférées à son encontre par ses tantes ; une comédie musicale burlesque: Ah ! les belles bacchantes, réalisée en 1954 pour le cinéma par Jean Loubignac, d’après une pièce de Robert Dhéry, avec Louis de Funès et une distribution éblouissante, ne marquera, cependant, pas les annales d’une empreinte aussi profonde (à noter que les bacchantes renvoient ici non à l’appellation argotique facétieuse des moustaches mais bien à des prêtresses ayant tendance à se mettre à poil dans un spectacle de music-hall, faisant ainsi le lien entre bacchante et bacchanale).
Pour en revenir à Jules Massenet, dans cet art de « polyphonie narrative » (Nicole Biagioli) associant le librettiste Édouard Blau à ce chef-d’œuvre qu’est Werther (créé en allemand à Vienne, en Autriche, en 1892, puis donné en français, un an plus tard, à Paris), il n’insère cette référence à Bacchus qu’au prélude de l’acte II, ce que nous visons ici – et non son Bacchus, opéra en 4 actes sur un livret en français de Catulle Mendès (Paris, 1909).