ven 26 avril 2024 - 06:04

Pourquoi le rite s’appuie-t-il sur le mythe d’Hiram ?

L’Homo sapiens se reproduit… mais ne s’est pas conçu lui-même ! Sa propre création et son évolution lui échappent, à l’image du cosmos dans lequel il évolue qui conserve son mystère, au fil du temps. Malgré les fulgurantes avancées scientifico-technologiques du XXème siècle et de celui qui débute. Depuis qu’il a conscience de lui-même et de son environnement, cet orphelin inconsolable, arrivé le dernier dans le monde du vivant, n’a de cesse de rechercher son origine et les traces de son géniteur, à la fois se prenant comme sujet d’étude et analysant les vestiges des espèces précédentes. En quelque sorte, il possède la solution, mais pas le problème !

L’homme en questions

Au sortir de notre berceau africain, nous sommes donc passés de l’animalité à l’humanité avec ce vocable, interrogatif, fondateur de notre curiosité, mêlée d’angoisse existentielle : POURQUOI ? Pourquoi l’Homme ? Pourquoi moi ? Qui suis-je ? D’où viens-je ? Où vais-je ? questionnent les philosophes antiques ? Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? demande après eux le philosophe allemand Leibnitz. Pourquoi existons-nous ? s’interroge plus tard Voltaire.

Ce POURQUOI, c’est notre spécificité humaine, notre marque de fabrique. En plus de nos exigences fondamentales, faim, soif, reproduction, nous avons un besoin viscéral et mental de savoir. Vraisemblablement, seuls de tous les animaux, nous disposons de deux savoirs de base : nous savons, grâce à notre système nerveux sensitif ouvert au monde, que nous sommes nés et que nous mourrons. Entre ces deux évènements, nous suivons une trajectoire que nous jalonnons de POURQUOI, précisément parce que dans la foulée de notre question, nous voulons donner du SENS à la vie, mais aussi à notre vie personnelle.

Que signifie « donner du sens ». Notre esprit veut appréhender, apprendre, connaître, découvrir, à la fois la raison et la causes des choses. Apporter des PARCE QUE aux POURQUOI. C’est le fondement même de la science. De la sorte, dans cet espace-temps dont nous ignorons encore l’essentiel et où nous vivons, nous avons inventé la durée. Comme à l’image de la nature, nous avons horreur du vide, notre souci premier est de remplir cette durée de vie. Et comme nous sommes des êtres de répétition – pour tenter de gérer ce milieu indéfini qu’est le temps – nous l’avons séquencé en un immense calendrier-agenda, rouleau historique, que nous déployons et structurons au fil des années, en fêtes renouvelées, en dates anniversaires, en rituels saisonniers. Bref, en marqueurs de temps. Ainsi se déroule, se déplie, s’étire le sens humain, autant dire s’épanouit notre intérêt constant pour les êtres et les faits, autour des diverses activités que nous avons élaborées, pour passer le temps, notre grande préoccupation !

Du récit aux mythes

Comment se construit, comment se développe le sens que nous donnons aux circonstances ? Nous sommes reliés les uns aux autres par la grande chaîne du langage dont nous sommes dotés. Et parce que nous aimons raconter, c’est par le récit, répété, augmenté, renouvelé, maquillé, au long de l’histoire humaine, que nous apportons de la signifiance aux choses de la vie.

À y regarder de plus près, nous pouvons même dire que le récit, sous toutes ses formes, a sauvé l’espèce humaine. Parce que son intelligence s’est heurtée et se heurte encore aux mystères de l’univers précités autant qu’à celui de sa propre existence, l’Homme a fini par croire à ce récit. Avec toute l’imprécision des mots qui ne peuvent refléter fidèlement la pensée, il a interprété le monde et son début. Selon les cultures répandues sur le globe terrestre, à défaut de s’inventer lui-même, il a inventé des cieux et des dieux, puis un dieu et un diable, un paradis et un enfer. Et sont ainsi entrés en scène, par le logos (la raison humaine incarnée par le langage) et le mythos (histoire fabuleuse transmise par la tradition)toute une déclinaison de récits, profanes et religieux, nés de sa pensée créative : mythes et légendes, fables et contes, fictions et allégories, paraboles et métaphores, etc. Et bien sûr, grâce à l’écriture, ce Livre des livres qu’est la Bible ; riche mélange de constructions imaginaires et réalités magnifiées.

Ce n’est pas un hasard si, écrite il y a plus de 3500 ans, elle reste le plus grand succès littéraire mondial : Ne nous propose-t-elle pas « l’histoire humaine » avec le Verbe pour commencement…

Hanté par l’ignorance de son « premier matin », l’Homme comble donc ce manque par ses élaborations mentales, ses représentations idéalisées, ses croyances aussi. Partant, il est capable de former une structure irrationnelle autour d’un personnage (réel ou non), d’un évènement (authentique ou inventé) jusqu’à concrétiser un phénomène fondateur, parfois de portée universelle (ex : l’allégorie de la caverne de Platon) et qui prend sens. Pour imaginer, « réagencer », magnifier le passé. Afin que les légendes vivent, il faut sans cesse les réinventer et les raconter !

L’anthropologie a mis en lumière le fait que les mythes sont pratiquement toujours à mettre en relation avec le « mécanisme religieux ». Au sens où ils permettent, d’abord, d’imaginer et de scénariser des êtres surnaturels en action et déterminants pour l’Homme, puis ensuite, d’instaurer croyances et rites correspondant autour d’eux.

Trois grandes catégories de mythes ont été recensées :

Les mythes théogoniques : ils racontent l’origine et l’histoire des dieux qui ont précédé l’homme, ce qui lui donne « un point d’ancrage ». La mythologie grecque abonde de divinités aux tribulations fantastiques (exemple : Ouranos, le ciel, est enfin séparé de Gaïa, la terre, par un de leur fils, Kronos, qui tranche le sexe de son père). Il s’agit pour ladite mythologie, au fil de ses contes, de constamment maintenir un ordre harmonieux du monde, en neutralisant les forces titanesques au service de Chaos, première divinité.

Les mythes cosmogoniques : ils relatent la naissance de l’univers et la survenue de l’homme sur terre. Dans la mythologie grecque, celui-ci y a été précédé par les géants, précisément, les Titans, les Cyclopes (Foudre, Tonnerre et Eclair) et les Cent Bras, autant de monstres, tous enfants de Gaïa et d’Ouranos. Dans d’autres mythologies, ce sont des animaux qui sont à l’origine du monde. Leur point commun est souvent le gigantisme des créatures en présence, à la mesure du cosmos et, qui, par différence, souligne la petitesse et la fragilité de l’homme, apparu ensuite.

Les mythes eschatologiques : Ils sont centrés sur la mort, préoccupation permanente de l’homme et sur son devenir ensuite. Ils étudient aussi, outre ses fins dernières, celles du monde. Dans la mythologie grecque, la mort est liée à la disparition du soleil. A remarquer que tous les mythes décrivent la mort comme un temps transitoire, un passage d’un état à un autre, voire au règne animal ou végétal, et non une fin par conséquent. La métamorphose est ainsi présente dans beaucoup de récits, sur tous les continents. Nous la retrouvons précisément en maçonnerie, dans le mythe d’Hiram.

Il convient de différencier Légende et Mythe qui sont souvent confondus.

La légende est un récit populaire traditionnel, à caractère fabuleux, merveilleux ou dramatique, d’un évènement passé. Elle peut être fondée sur une tradition plus ou moins authentique.

Le mythe est également un récit mettant en scène des êtres surnaturels ou des actions imaginaires. Mais il est aussi une allégorie philosophique destinée à symboliser certains traits de la destinée humaine. Au contraire de la légende, il n’a pas de fin, ou plus exactement il comporte une « fin ouverte » qui permet sans cesse des ajouts. En cela, il est dit que le mythe est « interminable » et « qu’il lui reste toujours quelque chose à accomplir ».

C’est précisément cette fin ouverte qui permet à la légende d’Hiram de devenir mythe et d’assurer la continuation de « l’échelle hiérarchique », après le troisième degré du Rite Ecossais Ancien et Accepté.

Le mythe d’Hiram, mort et renaissance

Tous les groupes humains se sont construits à partir de récits mythiques fondateurs. Sous cet angle, le mythe joue le rôle d’intégrateur social, à savoir qu’il maintient la cohésion des ensembles en cause. Les anthropologues affirment que le mythe est une réalité qui détermine la vie du présent, les activités et les destinées de l’humanité.

Nous pouvons citer au fil de l’histoire occidentale, parmi bien d’autres, les mythes de Moïse, Salomon, Jésus, Napoléon, De Gaulle. Ces mythes ont pu donner lieu ensuite à de nombreuses légendes, à type anecdotique. Le théâtre, le cinéma et la chanson ont également crée des mythes (ex : Don Juan) qui deviennent même, à travers leurs « stars » disparues, des « monstres sacrés » (ex : Greta Garbo, Gérard Philippe, Elvis Presley, Claude François, Mickaël Jackson). La politique n’est pas en reste avec John Kennedy ou Che Guevara.

Possible représentation de James Anderson dans une caricature de William Hogarth.

Revenons au XVIIIe siècle, pour ce qui nous concerne. A l’image des sociétés primitives qui vénéraient des dieux ou glorifiaient des objets de la nature, la franc-maçonnerie spéculative a besoin, elle aussi, de « s’inventer une histoire » à partir d’une création mythique, et de trouver un « héros » représentatif.

Ses deux promoteurs, les pasteurs James Anderson et John  Theophilus Desaguliers, sont conscients de cette nécessité. Dès 1723, ils positionnent très bien la Grande Loge de Londres avec certes, de solides Constitutions, mais aussi grâce au Temple de Salomon, comme mythe emblématique, en majestueuse toile de fond. Ils savent également que ce dernier – comme tous les prestigieux monuments antiques, des pyramides égyptiennes aux temples asiatiques d’Angkor- doit être accompagné d’une légende. D’autant que « leur » franc-maçonnerie ne peut vraiment essaimer, aussi bien en Angleterre qu’en Europe et dans le monde, qu’en devenant une société initiatique, donc productrice d’une dramaturgie.

John Theophilus Desaguliers (1683–1744)

On ne sait toujours pas aujourd’hui qui a extrait de la Bible, Hiram Abi à la fois « métallier-bronzier-fondeur-tisserand » de la province de Nephtali, en Judée (à ne pas confondre avec Hiram, roi de Tyr) pour en faire ledit héros de la légende en cause. Promu architecte par son « inventeur » – peut être un ou plusieurs rosicruciens de la Royal Society de Londres – pour diriger la construction du Temple de Salomon, Hiram Abi est évoqué dans les deux premières éditions des Constitutions, ainsi que le deuil profond qui suit sa mort. Mais il n’y est pas encore question de meurtre. Celui-ci n’intervient qu’avec un personnage, revu, enjolivé et « fixé », dans une « composition tragique structurée », au cours des années 1740, au sein de plusieurs loges anglaises : Maître Hiram.

Un sinistre soir, l’architecte est assassiné dans le Temple en voie d’achèvement par trois mauvais compagnons, Jubelas, Jubelos et Jubelum. Symboles respectifs de l’ignorance, du fanatisme et de l’ambition démesurée, ils commettent ce forfait, n’ayant pu obtenir de l’architecte le mot de passe de maître, nécessaire pour obtenir un salaire supérieur. Leurs outils, l’équerre, la règle et le maillet se sont transformés en armes. Et leurs symboles ont été dévoyés : la rectitude est devenue violence, la droiture, brutalité et la force, la mort.

Les assassins d’Hiram Jubela, Jubelo et Jubelum les Juwes selon Stephen Knight, dessin de Pierre Méjanel

La source inspiratrice de ce drame allume de nos jours encore, toutes les imaginations. Au choix, nous trouvons dans la littérature une suite variée de possibilités : une légende arabe perdue, un thème théâtral joué par les guildes de constructeurs, Noé et ses trois fils, Isis et Osiris, la mort du Christ et même…le roman de Paul et Virginie de Bernardin de Saint Pierre. Toujours est-il que, preuve de sa puissance fédératrice, le mythe d’Hiram et du Temple de Salomon, a été adopté par toutes les obédiences mondiales. En raison même de sa puissance d’évocation et de sa facilité d’interprétation, qui permettent d’identifier clairement les valeurs qu’il véhicule, le mythe d’Hiram a une portée universelle. En cela, il s’ajuste à l’idéal maçonnique visant à fraterniser le monde. Chaque maçon, chaque maçonne, sait bien que cet idéal, basé sur une distinction rationnelle du bien et du mal, est pour une large part utopique, notamment dans le monde actuel. Mais l’utopie n’est-elle pas l’antichambre du réel ? Et donc du possible à long terme !

 Ce mythe valorisant le cycle figuratif mort/renaissance des êtres – puisque l’architecte-constructeur renaît symboliquement en chaque maître maçon, lors de son élévation à ce degré – il devient en quelque sorte, quasi-éternel ! Il est bien ici dans sa fonction, avec une « fin ouverte », d’autant que le Temple a été plusieurs fois démoli et reconstruit. Et que les rites maçonniques créatifs se sont chargés de trouver une suite de successeurs au valeureux maître architecte.

Le mythe d’Hiram, riche de contenu, renvoie à une constante qui caractérise la société humaine : malgré l’évolution de l’espèce, l’Homo sapiens , demeure un destructeur, animé par la violence. Le groupe a néanmoins conscience de son comportement injustifié et pour se déculpabiliser, il cherche toujours à désigner un bouc émissaire, chargé de toutes les fautes commises. Il finit par l’isoler et le tuer. Réellement ou intellectuellement. Le mythe d’Hiram illustre en tous points cette violence et son aboutissement. On retrouve ce processus dans les phases de la mort du Christ. Ce qui a pu faire dire aux historiens maçonniques, qu’elle est, de fait, la véritable inspiration du mythe en cause.

Après Sigmund Freud, l’anthropologue français, René Girard a remarquablement étudié ce fait répétitif de « la victime innocente » dans sa théorie générale du désir humain. Pour lui, l’origine de la violence – qu’elle soit familiale, professionnelle, scolaire, urbaine ou routière est à rechercher dans ce qu’il appelle « la rivalité mimétique ». Celle-ci fait de chaque homme un agresseur potentiel de l’autre, dès lors que par envie du même objet ou « territoire », par jalousie ou soif de pouvoir, il veut lui prendre sa place (le désir du désir de l’autre). Ce mécanisme confirme en pratique, la théorie freudienne de la mort du père, symboliquement tué par le ou les fils. Nous sommes bien ici dans l’illustration explicative du mythe d’Hiram qui devient une puissante métaphore, chargée de sens. Elle est le pivot de la tradition maçonnique.

Les acteurs du drame

Si pratiquement tous les rites maçonniques ont adopté le mythe d’Hiram, c’est bien qu’il contient et dégage une puissance symbolique particulière. A la fois de la construction – avec toutes les expertises du bâtiment réalisées par le personnage – et de l’élévation mentale, qui lui confèrent sa hauteur de vue et sa noblesse. Le Rite Ecossais Ancien et Accepté, pour sa part, remarquablement structuré dès sa création, a précisément trouvé dans le mythe d’Hiram, une parfaite adéquation avec le découpage de ses 33 degrés, que les francs-maçons « Anciens » séquençaient en trois « périodes », architecture, religion, philosophie. Dans l’appellation « architecte » qui qualifie Maître Hiram, le REAA pointe le vocable « arche », c’est-à-dire un pont jeté entre le passé et l’avenir. Le processus symbolique mort/renaissance dans lequel s’engage le franc-maçon, en s’identifiant à l’architecte, donne non seulement l’image d’une métamorphose, mais aussi du franchissement du pont – la traversée de sa vie – avec une tâche à accomplir en route. Le mythe d’Hiram la désigne : combattre sans relâche les fléaux précités, ignorance, fanatisme, ambition démesurée.

Près de trois siècles après l’élaboration du REAA, ses pratiquants que nous sommes, pouvons constater dans la Cité d’aujourd’hui, que le fâcheux trio qui escorte ce rite comme symbole du mal, est toujours à l’œuvre, au gré des activités humaines.

L’ignorance chassée, BnF – Les essentiels

IGNORANCE (du latin ignorantia, défaut de savoir). La Bible nous le dit : Au commencement était le Verbe. Il est toujours d’actualité ! Les sociologues ont fait le constat de la place primordiale du langage en tant qu’outil relationnel : En possédant moins de cent mots de vocabulaire, un individu est isolé, fréquemment hostile et exposé aux risques de la délinquance. Deux cents mots lui permettent déjà de mieux communiquer, d’appréhender et comprendre son environnement. Quatre cents mots lui donnent la faculté de le comprendre, de l’apprécier, de s’ouvrir au monde et de s’insérer socialement. Il passe alors de l’ignorance à l’éducation, clé des bons rapports interhumains.

FANATISME (du latin fanum, relatif au temple, et de fanaticus, inspiré, en délire). Dans les temps anciens, où régnaient le polythéisme et des multitudes de croyances, étaient désignés « fanatiques », les prêtres adorateurs de dieux spécifiques. Leur particularité était d’entrer dans des transes brutales, au cours desquelles ils s’infligeaient des blessures, jusqu’à voir le sang couler de leurs plaies ouvertes. Ce comportement a encore cours aujourd’hui dans l’exercice de certaines cérémonies religieuses monothéistes. Et cette passion exacerbée existe aussi, dans l’expression outrancière d’opinions politiques, qui conduit malheureusement à l’intolérance, à la violence verbale, voire physique.

AMBITION DEMESURÉE (du latin ambitio, briguer, convoiter). Ce mot a un double sens. L’ambition, au sens premier, est une pulsion axiale, une force psychique inconsciente, présente en chacun de nous, qui nous pousse à croître, à nous affirmer et perfectionner notre être. C’est notre capital énergétique qui dépasse le simple instinct de conservation. En second sens, il s’agit, dans la démesure dictée par un « superego », du désir ardent de dominer, de prendre le pouvoir, donc de s’imposer, au prix de… l’élimination de l’autre. Cette manoeuvre est d’évidence, non seulement nuisible mais contradictoire puisque, visant à recevoir l’admiration d’autrui, elle en déclenche au contraire le rejet !

Ces défauts humains, trop humains – que symbolisent les trois mauvais compagnons, acteurs du mythe d’Hiram – et qui jalonnent notre vécu relationnel ont un point commun : l’incivilité, subie souvent au quotidien par la communauté. En cela, le REAA qui prend appui sur cette dramaturgie pour dégager du sens, non seulement traverse le temps, mais s’inscrit remarquablement dans la modernité.

Le REAA modèle de communication

Quel est ici le signifiant valorisé par le mythe d’Hiram, sinon le courage, dont a fait preuve l’architecte de Salomon ?! Quel est le signifié exprimé, sinon la vérité, sous forme de mot de passe, qu’il a emporté dans la tombe et que voulaient connaître les trois tricheurs ?! Ce courage dont nous devons nous armer au quotidien. Cette vérité, objet même de notre recherche maçonnique.

L’intérêt premier du symbolisme est la liberté d’interprétation qu’il permet. Partant, un approfondissement du mythe d’Hiram peut nous renvoyer au mot disparu. Ce mot, c’est « la parole perdue ». Comprenons ici, par extension, le langage authentique qui devrait être utilisé naturellement dans les échanges interpersonnels. Le « langage du cœur », sincère, celui qui relie, et permet la véritable communication, au sens de la mise en commun, de la communion. Or, l’homme, justement parce qu’il est doué de la parole et en connait les effets, est aussi capable de la travestir. Il est tenté de transformer le sens du « mot substitué » et d’en faire un mot manipulateur. Il peut, grâce aux artifices du langage, délivrer un discours de remplacement qui n’est pas le reflet de sa pensée profonde, et par là, tromper l’autre. Du « baratin commercial » à la déclaration amoureuse fantaisiste, de la vantardise grossière à la fausse promesse politique.

Nous avons ainsi installé le mensonge dans la cité, et créé une sorte de « faux réel parallèle » auquel nous nous sommes habitués. Nous fabriquons au besoin une autre langue – cette parole substituée et détournée de son but – qui devient une parole factice, remplaçant le vrai discours. Pour séduire, vendre, obtenir, flouer. Pour nous protéger aussi, suivant les cas, dans cette société où beaucoup de monde ment et fait semblant d’être et d’avoir !

C’est donc à sa renaissance, au grand retour à soi, à cette rééducation à la parole saine qu’est invité l’initié. Avec l’usage des outils symboliques et des rituels, autant de « processus mentaux ». C’est aussi à se libérer de la crainte devant les usurpateurs, et en digne héritier d’Hiram, le valeureux architecte, à faire preuve du courage précité dans la vie quotidienne, qu’est engagé le franc-maçon. Avec cette volonté constante de recherche de cette « parole perdue », il pourra affronter les mauvaises manières et les préjugés, lutter contre les certitudes établies, dénoncer les médisances chargées de mots qui tuent. Pour redonner sa chance à la vérité autour de lui, dans tous les lieux de la « comédie humaine », où le mensonge est devenu un exercice de style reconnu, sinon un sport national ! Et poursuivre symboliquement, en lui-même et en bon compagnon, la construction de son temple intérieur, cette longue quête initiatique personnelle. Comme à l’extérieur, celle du Temple de Salomon, métaphore de l’œuvre collective.

Au temps sacré des bâtisseurs médiévaux de cathédrales, a succédé à partir du XXe siècle un autre élan vertical prodigieux. Avec les tours profanes, lancées à des hauteurs arrogantes, dans tous les ciels du globe. Un tragique 11 septembre 2001 nous a rappelé que la pulsion de mort, est toujours inscrite en l’homme. L’effroyable tuerie et la destruction des « twin towers » new-yorkaises par des oiseaux de malheur, nous renvoie à la mythologie : de l’écroulement de la Tour de Babel aux démolitions successives du Temple de Salomon précité, symboles de la mésentente des peuples.

Il revient sans nul doute à « l’homme-maçon » d’aujourd’hui, de construire davantage de ponts que de murs, comme le disait déjà Isaac Newton, à la naissance de la maçonnerie spéculative. Au lieu d’empiler jusqu’au vertige les plaques de béton, ces pierres modernes, le moment n’est-il pas venu de les poser sous nos pieds ? Pour marcher devant nous et prendre vraiment le chemin de l’autre, cet autre moi. Parce que le sacré est aussi, plus que jamais, à voir et entretenir dans l’horizontalité.

En ce sens, le REAA, par le biais du mythe d’Hiram et sa fin ouverte, s’impose avec bonheur, comme un modèle de communication. Et de réflexion. Les cultes proposent des réponses, la franc-maçonnerie, pour sa part, apportent des questions. Pour mettre et remettre sans cesse, l’ouvrage sur le métier. Pour que chacun de nous s’interroge et interpelle le monde.

« Celui qui a un pourquoi dans la vie, peut supporter tous les comment » dit Frédéric Nietzsche.

4 Commentaires

  1. Cette “défense et illustration” de fait du REAA comporte à l’inverse de ce à quoi il prétend aspirer plusieurs angles morts qui cachent des vérités historiques gênantes pour la démonstration de son antériorité et de sa suprématie. Cette histoire, comme elle est racontée, apparait à son tour comme un mythe, voire une légende, car elle comprend une chronologie douteuse et de nombreuses approximations historiques
    D’abord, il n’a pas 300 ans mais 221 ans, puisqu’il a été créé en 1801 à Charleston à partir du Rite de perfection en 25 grades du “Conseil des empereurs d’Orient et d’Occident”, emmené en 1762 via la “patente Morin”, à Saint Domingue d’où il a gagné, avec les français venus se réfugier à la suite de la guerre d’indépendance sur le continent, la capitale de la Caroline du sud, où il a été consolidé par adjonction de 8 grades supplémentaires. Il est postérieur de près d’un siècle au Rite des “Modernes”, le tuileur de “Simon et Philippe” de 1725 et au Rite Français Moderne de 1784, qui partage avec lui l’antériorité du Rite de perfection puisque celui-ci a été apporté au GODF par l’intégration du Grand Chapitre Général qui en était détenteur en 1786.
    Un des angles morts les plus habituels c’est d’occulter le rôle qu’a joué la Royal Society, représentative des “Lumières” anglaises avec le baconisme (empirisme expérimental), avec, de 1703 à 1727, son président Isaac Newton dont le premier assistant était le “fellow” JT Desaguliers, dans la fondation, en 1717, de la première Grande Loge, d’abord de Londres et de Westminster, puis d’Angleterre en 1730, puis affublée du sobriquet péjoratif de “Moderne” par Laurence Dermott, fondateur en 1751 de la Grande Loge concurrente des “Anciens” (Cf mon ouvrage “Les 30 glorieuses de la GL des modernes, vues par la presse de l’époque”).
    C’est à Newton que l’on doit la référence au temple de Salomon, qu’il avait longuement décrit dans sa “chronologie des anciens royaumes”, publié après sa mort en 1727, mais dont les mensurations figurent dans la partie historique des Constitutions de 1723 attribuées de manière inexacte au pasteur Anderson, puisque celui-ci n’a écrit, sous la supervision de JT Desaguliers, que la partie historique, la partie réglementaire (dont le fameux article premier) étant due à Georges Payne. Cela parce que Newton et Desaguliers voyaient dans la symbolique du temple de l’Alliance, une nouvelle alliance entre un Dieu concepteur (le GADLU) et l’Homme exécutant (le compas et l’équerre entrelacés), grâce au langage commun de la Géométrie (la lettre G entre les deux)
    La surexposition du rôle d’Anderson dans le narratif des débuts de la Franc-maçonnerie obédientielle est d’ailleurs un des facteurs de cette occultation. J’ai démontré que la gravure de William Hogarth où un personnage est traîné la tête prise entre deux barreaux d’échelle ne représente pas Anderson, mais Desaguliers. La gravure avait été commandée à Hogarth par le Duc de Wharton, qui avait fondé par rétorsion l’éphémère société des Gormagons, pour ridiculiser Desaguliers qui s’était opposé à lui au sein de la Grande Loge en 1723. Hogarth s’était exécuté, mais s’était moqué en filigrane de son commanditaire puisque Wharton lui-même est caricaturé en Don Quichotte selon la graphie de la série burlesque de Charles-Henry Coyle dont un certain nombre de personnages secondaires figurent également sur la gravure. D’ailleurs il est symptomatique qu’on croit voir des Anderson partout, alors qu’il n’existe aucun portrait authentifié de lui et qu’on sait par ailleurs, grâce à une rubrique nécrologique de l’époque qu’il n’a pas eu d’obsèques maçonnique à sa mort
    Quant au mythe d’Hiram, narratif symbolique du grade de maître, il s’explique parfaitement si on veut bien ne pas occulter le rôle de la Royal Society dans la fondation de la GL des modernes. Les philosophes de l’époque défendaient le concept de la “Religion naturelle”, «cette religion sur laquelle tous les hommes sont d’accord … »
    La religion naturelle ou déisme newtonien, formulée par les philosophes des « Lumières », Newton en tête avec son “scheme of the true religion”, mais aussi Locke, Hume, Toland et en France Voltaire et Diderot, est pour ces philosophes, sans révélation, ni clergé et fondée sur la raison, la « lumière naturelle » et ils
    affirment que cette religion première a été effacée par les religions révélées, qui l’ont supplantée dans l’esprit des hommes, comme le disait Newton dans « la vraie religion » « C’était la religion des premiers âges jusqu’à ce qu’ils abandonnent le bon culte du vrai Dieu et se tournent vers l’adoration des hommes morts et des idoles. »
    Dès lors on peut voir la fondation de la Franc-Maçonnerie comme une volonté de réactiver cette religion et la mise en place du grade de Maître par Desaguliers, 1er assistant de Newton, entre 1725 et 1730, comme une allégorie de l’effacement de la religion naturelle par les religions révélées.
    Hiram, figure de la raison et de la connaissance de la géométrie (la science), peut être considérée comme le symbole de cette religion naturelle et construit le temple de l’Humanité heureuse à partir des plans du Grand Architecte. Les mauvais compagnons qui représentent les vices des religions révélées, l’ignorance ou la superstition, le fanatisme ou l’intolérance, l’hypocrisie ou la fausse morale des dogmes, l’assassine parce qu’il est le gardien de la vérité et de la raison contre les apparences et c’est la perte de cette parole que les maîtres doivent rechercher et sauver, ce qu’ils font dans les grades post maîtrise. En somme, c’est l’inverse du “péché originel” de Saint-Augustin où l’homme était bon, mais avait pêché par désir d’une connaissance interdite et sombré dans le mal, alors que, par la “religion naturelle”, l’homme était en harmonie avec le Grand Architecte, grâce à la connaissance, harmonie brisée par les religions révélées et leurs croyances superstitieuses, que les francs-maçons doivent retrouver et rétablir.

  2. Article très intéressant, mais j’ai été très choquée par cette phrase “Au sortir de notre berceau africain, nous sommes donc passés de l’animalité à l’humanité avec ce vocable, interrogatif, fondateur de notre curiosité, mêlée d’angoisse existentielle …” L’auteur a-t-il conscience de la portée “raciste” de cette phrase, avec le rapprochement entre berceau africain et animalité, d’autant que la phrase fait référence à Voltaire (donc à un Européen, qui lui se pose des questions). Ce sont de tels propos qui amènent des gens à penser que les Africains sont sous développés et retardés. Il faut modifier ce début de phrase. En quoi le berceau de l’humanité relevait-il de l’animalité ?

  3. Le berceau de l’humanité est le lieu où a eu lieu l’évolution, il y a au moins 300.000 ans, et probablement en différents points du continent africain comme le suggèrent les découvertes les plus récentes. C’est à partir de plusieurs populations d’hominidés, disséminées sur le continent africain, qui auraient évoluées pour aboutir à l’Homme, comme le confirme l’analyse ADN.
    D’autre part Darwin a mentionné que l’homme descend, pas directement, du même parent que les primates. Toute cette évolution n’est pas linéaire, beaucoup de lignées ont disparu sans laisser de descendance alors que d’autres sont apparu sans que l’on ait encore retrouvé leurs ancêtres.
    Donc on peur parler de notion d’animalité. Mais il n’y a aucun lien entre Afrique et animaux, à moins de virer dans le wokisme.

  4. « Mais pourquoi fallait-il le tuer ? »
    Très Vénérable, et vous tous mes Frères en vos grades et qualités.

    Encore dehors, à traîner mes vieilles godasses sur ce trottoir luisant et froid de Harlem.
    Encore une nuit où le temps va paraître si long que même ma vie deviendra éternelle.
    Je connais bien ce sentiment étrange où, tout au fond de ma médiocrité, je crois toucher du doigt la vérité ultime.
    Je ne sais plus qui a dit que les poètes ne créent que depuis leurs abîmes. Le désespoir fait naître des étincelles de lumière.

    Et pourtant, tout avait bien commencé.

    Je suis né dans une famille du Bronx tout ce qu’il y a de plus normal, enfin, normale pour le Bronx. J’ai été élevé par ma mère, j’ai surveillé mon petit frère et n’ai jamais connu mon père. Je vous ai dit : une famille normale. J’ai été à l’école, suivi une scolarité banale, fais des études sans grande envie. J’aurais voulu entrer dans la police, mais j’ai raté le concours. Sans doute par manque d’ambition, plus certainement par fainéantise.

    Alors j’ai erré, de saisons en galères, de petits boulots de plongeurs dans des bistrots infâmes de Meatpacking à celui de docker sur le port de Hoboken. Des années sans soleil, où je vivais la nuit.

    J’en ai brûlé des heures à attendre l’aurore.

    Puis j’ai rencontré Merryl. Enfin, c’est plutôt elle qui m’a rencontré. A vrai dire, c’est elle qui m’a sorti de mon trou, qui m’a redonné envie de croquer dans la pomme.

    Enfin, la pomme. New York n’est pas un fruit. Cette ville est une saleté de pieuvre, et j’en connais le moindre tentacule à force de nager dans ses eaux troubles et grises.

    Je me suis rangé des voitures. Merryl m’a dit un jour : « tu connais tout ici : les gens, les coins, les trafics et les flics pourris. Profites-en. » Elle avait de la suite dans les idées cette petite.
    J’ai ouvert mon bureau de détective. Un petit bureau dans le West Side, ma vieille Dodge noire, et un colt 45 récupéré chez un vétéran de la bataille de Normandie.

    Au début, ça marchait plutôt bien.
    Oh pas de grandes affaires : des maris cocus, des femmes infidèles, des amants dans le placard. Assez pour que Merryl ait des envies de mariage. Je vous raconte pas la suite, vous l’avez devinée. Moi, la bague au doigt, les mioches et tout le toutim, c’est pas mon évangile.

    Merryl est restée. A cinquante piges, elle pouvait pas faire grand-chose d’autre que supporter mes colères, mes absences et mes ronflements qui empestent le Jack Daniels.

    Et souvent, elle me vire.

    C’est pour ça, qu’encore une fois, encore une nuit, je traîne mes godasses sur ce trottoir luisant et froid de Harlem,

    J’aime bien ce quartier. Je m’y traîne souvent, jamais je m’y suis perdu. Ce quartier, c’est celui des blacks. C’est leur domaine, leur territoire. Je m’entends bien avec eux.

    Peut-être parce que certains soirs, je suis aussi noir qu’eux.
    Peut-être parce que moi aussi j’attends mon sauveur.

    Ça me rappelle cette histoire, il y a 7 ans. Je vous raconte, ça devrait vous plaire.

    Il faisait un temps comme cette nuit : brouillard et pluie. En même temps. Il paraît que ce sont ces enfoirés d’Irlandais qui ont apporté cette saloperie avec eux. Bon, ils ont aussi apporté le whisky, alors il faut leur pardonner.

    Fallait sûrement inventer cette boisson pour supporter cette météo.

    Je marchais le long de la 143eme. La ou les entrepôts ressemblent plus à des ruines qu’à des usines. Il y a belle lurette que plus rien ne marche ici. Les grandes baies vitrées sont des bouches géantes qui dégueulent les lierres.

    Je longeais les anciens ateliers Salomon. C’était le temple du ski. Des centaines d’ouvriers, des apprentis, des compagnons travaillaient ici.

    Aujourd’hui, il ne reste rien de ce savoir-faire. Y paraît que ce sont des chinois, ou des indiens, je ne sais plus, qui ont racheté l’usine et les brevets.

    Puis ils ont fermé. Une nuit. Sans prévenir. Personne n’a rien dit.

    Bref, les bâtiments tombaient en ruine. Alors un groupe d’investisseurs, des maçons à ce qu’on dit, avaient racheté l’ensemble à la famille Salomon. Pour le rénover et en faire une école. Avec une bibliothèque et tout. Une seule condition au rachat de ces vieux bâtiments : que l’école porte le nom de la famille Salomon.
    Un temple du savoir pour remplacer un temple du sport. Un beau symbole.

    Ce soir-là donc, je longe le chantier de rénovation. Il est presque minuit. Une pâle lumière semble émerger de la grande salle. Des cris comme pour une bagarre. Moi, je suis curieux. Je pousse doucement une des planches de la palissade.

    4 hommes.
    Je suis habitué à ce genre de rencontre. C’est pas une réunion de chantier. Il y en a un qui me semble seul, face aux trois autres. Il est grand, et je reconnais tout de suite le chef du chantier. C’est un certain Hiram, un exilé libanais originaire de Tyr.

    Je l’avais déjà rencontré pour une sombre histoire. Des rumeurs entre lui et la fiancée du père Salomon, une certaine Irène, Irène Dessaba… Rien de bien sérieux. Enfin, je crois.

    Mais sur le chantier, Hiram était respecté. Les ouvriers reconnaissaient sa compétence, son sens de la justice. C’est lui qui décidait des rôles, des responsabilités, des augmentations de salaires, selon les mérites et les talents.

    Bref, voilà mon père Hiram bousculé par les trois merdeux. Crânes rasés, bombers. Des petits fachos qui veulent se payer un arabe. Classique. Ils sont armés, des bâtons peut être, ou des outils piqués sur le chantier. Je suis trop loin pour voir. Mais je les entends très bien : « donne le secret, parle, ou on te saigne » Ils veulent sans doute le code de sa carte bleue.

    Hiram court vers la sortie, mais un des gamins le rattrape et frappe un premier coup.

    Hiram chancelle, se redresse et fait face crânement. « Tu n’auras rien de moi ». Et il se précipite vers l’autre porte.

    Le deuxième mec chope Hiram et le frappe. Hiram est KO. Faut reconnaître qu’il a 30 ans de plus que les petits cons.
    C’est dur d’échapper à son destin quand on a 30 ans de plus.
    Mais Hiram se relève encore, et toise. « Rien, je te dis. Si tu veux quelque chose dans la vie, faut que tu travailles. »

    Puis Hiram court vers la troisième porte. Trop tard. J’entends clairement le bruit sec du coup sur le crâne, et vois le grand architecte s’écrouler. Aucun doute : ils l’ont buté.

    Je suis resté pétrifié, muet derrière ma palissade. Bien planqué derrière ma lâcheté.

    Les trois gugusses paniquent. Ils n’avaient pas prévu cette fin. C’est visiblement trop pour leur petite cervelle.
    Alors ils prennent le corps, l’enroule dans une bâche et le bascule dans une des tranchées qui borde le chantier. Quelques coups de pelles, et s’il n’y avait pas ce petit carré de terre remuée, on pourrait presque croire que rien ne s’est passé.

    Ce soir-là, je suis rentré directement.

    Des mauvais coups, j’en avais vu. J’en avais donné quelquefois, et reçus souvent. Mais là, c’était différent. Je ne sais pas pourquoi, mais ça ne collait pas.

    Le vieil Hiram, pourquoi avait-il tenu tête à ces gamins ? Il donnait son code, et basta ? Plaie d’argent n’est pas mortelle. Je le connaissais plus malin.
    Ou alors il y a autre chose. Un secret qu’il devait défendre ? Mais quel secret mérite de mourir pour lui ? Quelle cause est-elle aussi importante que la vie ne vaut plus rien ?

    Non, décidément, rien ne tient debout dans cette affaire.

    Le lendemain, j’ai appris dans le canard que les ouvriers du chantier avaient signalés la disparition de leur architecte. Un appel à témoin était lancé. J’ai appelé mon contact au New York Times, et indiqué que les recherches devraient se concentrer dans le terrain vague près du chantier.

    Pas très glorieux, mais le courage, ça n’a jamais été mon truc.

    Aujourd’hui encore, je ne sais pas pourquoi ils l’ont tué.

    Mais si vous vous promenez du côté de la 143éme, vous remarquerez certainement un grand bâtiment.
    Sur la façade, il est inscrit « Ecole Salomon, temple du savoir et de la tolérance ».
    Juste à côté des deux colonnes qui encadrent la porte d’entrée, une plaque de marbre rend hommage à son architecte Hiram, originaire de Tyr, et lâchement assassiné sur ce chantier.

    Et, tout au long de l’année, des inconnus déposent des bouquets d’acacia auprès de cette plaque.

    Alors Hiram n’est peut-être pas tout à fait mort, puisque son œuvre a été poursuivie, achevée, et son souvenir est immortel dans le cœur de certains.

    Peut-être en est-il ainsi de tous les héros, de tous les mythes.

    Pour devenir immortel, il faut d’abord mourir.

    Je ne suis pas d’accord avec Brassens quand il chante : « Mourir pour des idées, d’accord, mais de mort lente ».
    Les idées, les idéaux, germent et croissent autour des tombes. Encore faut-il que ce dernier moment soit lui aussi héroïque.
    Que seraient devenus Jean Moulin, Jean Jaurès, Martin Luther King, Jésus le Nazaréen, s’ils étaient morts au fond de leur lit, au crépuscule d’une vie centenaire ?

    Hiram est mort injustement, comme tous les héros, afin d’être la lumière des justes.

    J’ai dit, Très Vénérable.

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Gilbert Garibal
Gilbert Garibal
Gilbert Garibal, docteur en philosophie, psychosociologue et ancien psychanalyste en milieu hospitalier, est spécialisé dans l'écriture d'ouvrages pratiques sur le développement personnel, les faits de société et la franc-maçonnerie ( parus, entre autres, chez Marabout, Hachette, De Vecchi, Dangles, Dervy, Grancher, Numérilivre, Cosmogone), Il a écrit une trentaine d’ouvrages dont une quinzaine sur la franc-maçonnerie. Ses deux livres maçonniques récents sont : Une traversée de l’Art Royal ( Numérilivre - 2022) et La Franc-maçonnerie, une école de vie à découvrir (Cosmogone-2023).

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