mer 11 décembre 2024 - 23:12

Jazzmen Francs-maçons – épisode 4

De gauche à droite les frères Milt Hinton (contrebasse), inconnu, Cab Calloway et Keg Johnson (trombone)

Cab Calloway 25/12/1907 – 18/11/1994 – Le Fernandel de Harlem

C’est ainsi que les critiques français nommèrent Cab lors de sa tournée en Europe en 1934. Heureusement pour nous, le public n’en tint pas compte et le « Hi-De-Ho Man » ira de succès en succès jusqu’à l’orée des années 40. Il était membre de la Pioneer Lodge N°1 Prince Hall.

Comme de nombreux musiciens, Cabell Calloway III, aura une enfance et une jeunesse marquées sous le sceau de l’école buissonnière et du refus de se conformer aux désirs de leurs parents. Pour Cab, ces derniers voulaient en faire un avocat. Mais, bien que né à Rochester (état de New-York) c’est à Baltimore que la famille déménage et que Cab devient vendeur de journaux, promeneur de chevaux (il en garda une passion pour les courses), basketteur, cireur de chaussures etc. Mais sa mère l’ayant pincé un jour à jouer aux dés sur les marches de l’église, l’envoya dans une école agricole qui était dirigée par un de ses oncles.

En 1922 il prend des cours privés de chant et étudie la musique en dehors de l’école. Malgré l’opposition de ses professeurs, de sa famille, son amour du jazz se traduit rapidement par des prestations dans des clubs de Baltimore sous la bienveillance du batteur Chick Webb (également franc-maçon à Prince Hall, et premier employeur d’Ella Fitzgerald) et du pianiste Johnny Jones. A la fin de ses études il commence également une carrière de basketteur professionnel dans une équipe noire, les Baltimore Athenians. Finalement il obtient son diplôme de l’école Frederick Douglass en 1925.

De 1927 à 1929 Cab va rejoindre sa sœur Blanche, qui était une cheffe d’orchestre réputée, pour la tournée d’une revue noire, Plantation Days. A la fin de la tournée, sa mère ayant toujours en tête d’en faire un avocat comme l’était son père, l’inscrit de force au Crane College de Chicago. Petite anecdote, c’est dans ce collège qu’il refusa de jouer au basket avec les Harlem Globetrotters pour continuer sa carrière de chanteur.

Mais comme les cours ne lui plaisaient pas, on le vit plus souvent dans les clubs chicagoens comme batteur, chanteur et MC (maître des Cérémonies). C’est pendant cette période qu’il rencontre la chanteuse Adélaïde Hall et Louis Armstrong qui lui apprend à chanter en scat. Il quitte alors le collège et devient chanteur de l’orchestre les Alabamians. C’est avec ce groupe qu’il part pour la « Grosse Pomme » (New-York) et fait l’ouverture du célèbre club la Savoy Ballroom le 20 septembre 1929. Lorsque l’orchestre se dissout, car pas assez professionnel en ayant perdu des batailles musicales, c’est Louis Armstrong qui le recommande comme chanteur pour la comédie musicale Connie’s Hot Chocolate. Enfin parallèlement l’orchestre les Missourians, qui avait battu les Alabamians, demande à Cab de devenir leur chanteur, reconnaissant déjà son talent indéniable.

De 1930 à 1955, le succès sera au rendez-vous

Une chance va arriver très vite car le fameux Cotton Club de Harlem va demander à l’orchestre de Cab, rebaptisé dès 1930 Cab Calloway And His Orchestra, de faire l’alternance avec Duke Ellington. En fait c’est sous l’insistance « amicale » mais ferme de la maffia, que Cab acceptera. Cela dit, ce ne sera pas la première, ni la dernière fois,  que Cosa Nostra aura rendu service au jazz. Remplacer le Duke déjà célèbre également, lorsqu’il s’absente en tournée, va consolider sa popularité. Comme pour le Duke, la radio va également jouer un rôle considérable dans ce pays d’entre les deux guerres. Il se produira deux fois par semaine sur la chaîne NBC dans les programmes de Walter Winchell et Bing Crosby. Il sera le premier africain-américain à avoir une audience nationale à la radio. Pendant la grande dépression il gagnera à l’âge de 23 ans, 50 000 dollars par an.

Minnie The Moocher

Cette chanson est enregistrée en 1931 et sera un de ses plus grands succès, y compris pendant sa période de retour à la scène jusqu’à sa mort en 1994. Ce succès est important car dans ce pays ségrégué, vendre des millions de disques, représente pour un noir états-unien, une victoire sans commune mesure pour asseoir sa légitimité. Sa popularité est si grande à cette période qu’il prêtera sa voix dans le fameux personnage de dessin animé Betty Boop, ainsi que St James Infirmary Blues et The Old Man Of The Moutain en 1932, 1933.

La légende veut qu’un soir ayant perdu les paroles d’une chanson alors qu’il chantait à la radio, il improvisa le fameux Hi-De-Ho et l’orchestre eut le génial réflexe de lui donner la réponse. Là, c’est la gloire immédiate et tout le monde veut entendre cette chanson et son système de Call & Response (appel/réponse). Cab et le public créent une complicité inégalée avec ce thème, y compris (et peut-être surtout) par les sous-entendus salaces qu’elle contient.

Il faut également préciser que dans tous ces clubs de Harlem à cette époque, seul le public blanc avait le droit d’entrer. Avec ses décors en carton-pâte évoquant le Sud, ce public venait s’encanailler en admirant aussi les Chorus Girls quasiment nues.

Toujours au milieu des années 30, on verra Cab, ainsi que Duke, dans de nombreux films, et on pourra remarquer à quel point un certain Michael Jackson se sera inspiré de Cab pour son MoonWalk.

Cab fera également sa première apparition dans un film hollywoodien avec le TCF :. Al Jolson (Asa Yoelson de son vrai nom et fervent militant antiraciste), The Singing Kid en 1936. Ce film aura une importance considérable dans le fait « d’effacer les différences entre blancs et noirs », vœux pieu s’il en est à cette époque.

Autre élément d’importance sera la signature tout au long de ces années, de contrats avec les maisons de disques célèbres du moment, comme la firme Brunswick, ARC, Variety, Okeh, et surtout RCA Victor.

Cab publiera également en 1938 le premier dictionnaire afro-américain intitulé : the Cab Calloway’s Cat-ologue qui est en fait un dictionnaire du « jive », c’est-à-dire l’argot des jazzmen de l’époque.

Durant cette période Cab très précurseur va engager des « pointures » tels que le TCF :. Ben Webster (sax ténor qui jouera aussi, chez Duke, Count et tant d’autres), Illinois Jacquet (sax ténor lui aussi chez Count), le TCF :. Milt Hinton (contrebasse), Danny Barker (guitare), Doc Cheatam (trompette) le TCF :. Cozy Cole (batterie) et Dizzy Gillespie (qui avait fait sa demande pour entrer en FM, mais a été refusé pour cause de « mensonge » sur sa vie maritale !!!). A noter que l’orchestre se constituera également en équipe de basket pendant les tournées et jouèrent souvent contre des équipes semi-professionnelles lors des étapes, ou pour des matchs de charité. Cab et son orchestre firent également les premières parties d’ouverture du film « Strike Up The Band » dont les vedettes étaient Judy Garland et Mickey Rooney.

Avec Dizzy les choses ne se passèrent pas très bien à partir des années 40. Dizzy était jeune et écoutait le Be-Bop naissant. Cab lui reprochait sans-cesse de faire sa musique « chinoise », à tel point qu’il ne pouvait plus jouer en solo, Cab reprenant tous ses arrangements pour ne plus lui donner la parole. Mais la goutte d’eau qui fit déborder le vase, fut quand Diz lui lança une boulette dans le cou pendant une chanson romantique. Cab furieux le vira sur le champ après une bagarre au cours de laquelle Diz planta un petit coup de couteau dans la jambe de son chef. Ce qui fit dire plus tard, lors de sa collaboration avec Charlie Parker, que c’était la meilleure chose qui ait pu lui arriver.

Pendant la deuxième guerre mondiale, Cab fit de nombreux concerts pour les soldats en partance pour le front et enregistra également des discours de propagande antinazie.

En 1943 il apparaît dans un film important pour la communauté noire, « Stormy Weather », dont Hollywood avait « osé » recruter des acteurs uniquement noirs. Il y avait également dans ce film des célébrités comme le TCF :. danseur de claquettes Bill « Bojangles » Robinson, l’actrice et chanteuse Lena Horne, les géniaux Nicholas Brothers, véritables hommes élastiques, et le pianiste Fats Waller (mentor du TCF :. Count Basie).

En 1953 il accepte enfin de jouer le rôle du personnage Sportin’ Life dans l’opéra du TCF :. G. Gershwin « Porgy & Bess », qu’il avait pourtant refusé en 1935. On dit même que c’est Cab qui aurait inspiré Gershwin pour créer le personnage de Sportin’ Life.

Les années 60

Cab va enregistrer avec sa fille Lael des chansons, et Clarence Robinson producteur des revues du Cotton Club et de l’Appolo, va lui proposer de devenir l’attraction principale d’un projet d’un Cotton Club à Miami avec une troupe de 48 personnes, incluant déjà des chanteuses comme Abbey Lincoln (qui épousera le batteur de Be-Bop Max Roach), Sallie Blair et George Kirby, ainsi que la troupe de danse de Norma Miller. Pour la seconde saison les futurs célèbres et géniaux danseurs de claquettes Maurice et Gregory Hines firent partie du show.

En 1958 enregistrera un album intitulé Cotton Club Revue Of 1958 dans lequel figure le TCF :. Nat King Cole et Eartha Kitt.

Cette revue tournera jusqu’en 1960 en Amérique du Sud et en Europe.

Les dernières années

Les grands orchestres n’ayant plus la cote, le jazz ne faisant plus danser le public, Cab disparut peu à peu des radars médiatiques, apparaissant de temps en temps dans quelques films, des séries TV, quelques émissions mais c’est en 1980, grâce au film « The Blues Brothers », que sa popularité refait surface. Il va rejouer et chanter lors de tournées aux USA, mais également lors de celle d’un mois en Europe en 1992 (dont le concert de Paris où j’ai eu la chance de le voir avec mon père, qui lui-même me l’avait fait découvrir quand j’étais enfant !).

Héritage et autres anecdotes

Comme beaucoup (trop !) d’autres, Cab et son ami Felix H. Payne furent battus par la police et emprisonnés à Kansas City, alors qu’ils allaient simplement rendre visite au TCF :. Lionel Hampton lors d’un concert. Ils furent accusés de toxicomanie, de résistance à la force publique et envoyés à l’hôpital pour blessures. Lionel Hampton en apprenant cette nouvelle interrompit son concert et refusa de jouer. Finalement la NAACP (National Assosiation For The Advancement Of Colored People) et cinq autres organisations pour les droits civiques demandèrent la révocation de l’officier Todd qui les avait arrêtés. Les charges furent abandonnées, mais Todd ayant pris sa retraite ne fut pas inquiété.

Cab est devenu une légende et influença bon nombre de choses et de musiciens. Les Zazous français pendant l’Occupation se sont inspirés de ses costumes, de sa gestuelle, et de son art visuel. James Brown et Michael Jackson s’en inspireront très largement. Surtout M. Jackson avec son « Moon Walk » (marche lunaire). Il fut un pionnier en matière de musique et contribua énormément pour faire reconnaître la légitimité de l’art afro-américain dans une Amérique raciste.

En 1998, son petit fils prit la direction de l’orchestre et en 2012 son héritage musical fut célébré dans un épisode de PBS’s American Masters intitulé « Cab Calloway : Sketches ».

En 2020, la maison de son enfance de Baltimore fut démolie et remplacée par un parc nommé « Cab Calloway Legends Park » en son honneur.

Sa fille fut la première professeure noire à enseigner dans une école blanche en Virginie.

Récompenses

1985 Cab Calloway Day à Greenburgh, New York

1990 Beacons in Jazz Award from The New School in New York City. Le Maire de NYC proclame Cab Calloway Day.

1992 La Cab Calloway School Of Art est créée à Wilmington Delaware.

1994 Camay Calloway Murphy, sa fille, fonde le musée Cab Calloway au Coppin State College à Baltimore, Maryland

1967: Best Performance, Outer Critics Circle Awards (Hello, Dolly)

1987: Inducted into Big Band and Jazz Hall of Fame[82]

1990: Beacons in Jazz Award, The New School[80]

1993: National Medal of Arts[83][5]

1993: Honorary Doctorate of Fine Arts, University of Rochester

1993: Cab Calloway School of the Arts dedicated in his name in Wilmington, Delaware[84]

1995: Inducted into International Jazz Hall of Fame[85]

1999: Grammy Hall of Fame Award for “Minnie the Moocher

2008: Grammy Lifetime Achievement Award[86]

2019: “Minnie the Moocher” added to the Library of Congress National Recording Registry[87]

Cab a une discographie assez faible curieusement, malgré sa longévité et le nombre de concerts donnés tout au long de sa vie. A peine une trentaine sans compter les quelques compilations. Il apparaît dans une quinzaine de films ainsi que dans une dizaine de courts métrages.

« Il aimait les fringues, les voitures, les chevaux et les femmes. Il aura tout eu et il appelait ça : vivre ! »

Un regret personnel concerne sa sœur Blanche, qui était une musicienne renommée. Les orchestres féminins eurent beaucoup de succès aux Etats-Unis jusqu’aux années quarante où le jazz faisait encore danser le public. Mais avec la guerre, l’économie en berne et l’arrivée du Be-Bop, musique savante avec des orchestres réduits en quartet, quintet ou sextet, les grands orchestres ne purent résister. Même Duke et Count durent réduire leur voilure et l’Histoire oubliera totalement ces orchestres féminins. Le conservatisme états-unien est très oublieux et il serait temps de rendre justice à ce pan également occulté de cette musique.

Yves Rodde-Migdal

A lire

Le Jazz Et Les Gangsters par Ronald L. Morris et traduit par Jacques B. Hess

Dans l’excellente série « BD Jazz 2 CD + une BD », par le regretté Cabu : Cab Calloway

« Jazz et Franc-Maçonnerie une histoire occultée » par Yves Rodde-Migdal.

« Playing The Changes » par Milt Hinton

« Of Minnie The Moocher & Me » par C. Calloway & Bryant Rollins « The Hi-De-Ho Man : The Life Of Cab Calloway » par Alyn Shipton

Sur la toile

www.thehidehoblog.com blogue français

https://www.youtube.com/watch?v=DSdLsAUFL8s&ab_channel=OldFilmsandStuff

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Yves Migdal
Yves Migdal
Yves Rodde-Migdal né le 02-11-1954 à Paris, a travaillé comme graphiste, directeur artistique, dans la presse et l’édition depuis 1975 (diplômé de l’école Estienne) et enseigné au CFPJ - Centre de Formation et de Perfectionnement des Journalistes - pendant plus d’une dizaine d’années. À la libéralisation de la bande FM au début des années 80, il a travaillé un an à RVS (Radio Vallée de la Seine), et anime depuis 2011 l’émission Jazzlib’ sur radio libertaire 89,4 FM Paris, dans laquelle il accorde une grande place à l’histoire du jazz et invite de nombreux prestigieux musiciens, preuve que le jazz est toujours vivant. Parallèlement à ces activités, il a étudié le piano classique et s’est tourné vers le jazz dès l’âge de 16 ans. Il a étudié avec le pianiste Michel Sardaby, et Marc Berkowitz de la Berklee School Of Music. Il a composé des musiques de films, génériques, pièces de théâtre, et a régulièrement tourné avec son quartet et trio dans les années 90, 2000. Il a écrit de nombreux portraits de musiciens et sur l’Histoire du jazz dans diverses revues. Il a également rédigé, dans le cadre du devoir de mémoire en tant qu’ancien élève d’Estienne, deux longs articles dans le troisième tome de l’histoire de l’école. Auteur du livre Jazz & Franc-Maçonnerie, une histoire occultée, sortie en 2017, préfacé par Philippe Foussier (ancien Grand Maître du GODF 2017-2018, et « postfacé » par Alain de Keghel, passé souverain Grand Commandeur du Suprême Conseil du REAA - GODF 2002-2008). Editions Cépaduès Toulouse. Initié au GODF en février 1990 au rite français, Vénérable Maître de 1998 à 2001, et de 2015 à 2018, Officier du Congrès de Paris 3 du GODF depuis 2014, Membre du Jury Fraternel du Congrès de Paris 3 du GODF de 2014 à 2017, puis président du JFR de 2019 à 2021, reçu dans les grades de perfection du rite français du GCG (Grand Chapitre Général du GODF Rite Français) en 2002, Chevalier d’Orient (4e Ordre du rite français des grades de sagesse). Rédacteur et rapporteur du texte final de la Commission travail au Colloque de Strasbourg du Parlement Européen en 1993 qui portant déjà la réflexion sur le « Revenu d’existence ». Membre fondateur d’un atelier à la GLMF (Grande Loge Mixte de France). Fils de déporté, il a collaboré à la rédaction et rédigé la postface du livre de son père, « Les Plages de Sable Rouge, André Migdal » éd. NM7/Jean Attias. (André Migdal fut un des 314 rescapés d’un épisode catastrophique peu connu de la fin de la 2e Guerre Mondiale : la tragédie de la Baie de Lübeck du 3 mai 1945 qui a fait plus de 8 000 morts en une heure.)

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