ven 19 avril 2024 - 22:04

I- Les Arts libéraux

Les Arts libéraux sont aussi appelés Sciences libérales (qui libèrent).

La Sagesse s’est bâti une maison, elle en a sculpté les sept colonnes (Proverbes ; 9,1).

« Gramm loquitur, Dia verba docet, Rhet verba colorat,
Mus canit, Ar numerat, Geo ponderat, Ast colit astra.
»

« La Grammaire parle, la Dialectique enseigne, la Rhétorique colore les mots,
La Musique chante, l’Arithmétique compte, la Géométrie pèse, l’Astronomie s’occupe des astres
»

Pour les Grecs neuf muses, filles de Mnémosis, présidaient aux arts libéraux (qui rendent libres) : Histoire (Clio), Musique (Euterpe), Comédie (Thalie), Tragédie (Melpomène), Danse (Terpsichore), Elégie (Erato), Poésie lyrique (Plymnie), Astronomie (Uranie) et Eloquence (Calliope). Ce sont les muses qui auraient donné le qualificatif du synthème Pavé mosaïque. Pour Ilsetraut Hadot (philosophe et historienne, spécialiste de philosophie antique), lorsque Cicéron parle d’artes liberales, il ne s’agit absolument pas pour lui d’une liste de sciences en nombre déterminé : en principe, ces arts libéraux comprennent toutes les sciences qui sont dignes d’un homme libre. En fait, Cicéron fait un certain choix entre ces sciences ; ce choix ne coïncide pas du tout avec les sept arts libéraux qui nous sont connus par le Moyen Âge […]. Pour  Cicéron, ce qui compte, c’est l’étude de la littérature grecque et latine, de l’histoire, de la philosophie (la dialectique comprise), de la rhétorique et du droit romain.

Le premier tome de l’architecture de Philibert de L’Orme conseillier et aumosnier ordinaire du Roy, début XVIe sévoque la nécessaire connaissance d’un certain nombre d’arts pour être architecte :


Christofle de Savigny publie en 1587 Tableaux accomplis de tous les arts libéraux, livre dans lequel il en  répertorie 18 : arithmétique, géométrie, optique, musique, cosmographie, astrologie, géographie, physique, médecine, métaphysique, éthique, jurisprudence, chronologie, théologie, grammaire, rhétorique, poésie, dialectique. On en trouve davantage encore comme base de la connaissance.  

Conformément à un usage remontant à l’Antiquité et tout particulièrement à un texte fondamental, Les Noces de Mercure et de la Philologie de Martianus Capella (début du Ve s. de l’ère chrétienne), les Arts libéraux sont presque toujours personnifiés sous des traits féminins. Cependant, à la cathédrale de Clermont (vers 1270), au lieu que les arts libéraux soient représentés par des personnifications féminines accompagnées des grands savants de l’Antiquité, comme il est habituel, ils le sont par ces hommes eux-mêmes. «À la cathédrale de Clermont, l’idée de Martianus Capella est présentée en un raccourci assez original : science et savant ne font plus qu’un. C’est Aristote, Cicéron, Pythagore, qui, assis sur la cathedra des docteurs, portent les attributs que nous avons vus aux mains des sept Arts libéraux».

Au Moyen Âge, on distinguait 7 Arts Libéraux : Grammaire, Rhétorique, Logique, Arithmétique, Géométrie, Astronomie et Musique. Les trois premiers formaient le cercle d’études appelé Trivium, l’Intelligence, les arts de la parole. Les quatre autres, le Quadrivium, conduisent à l’approfondissement de la connaissance de la terre et du ciel. Toutes ces disciplines sont utilisées dans un seul but : aider à comprendre Dieu (leur rapide présentation par Christopher Perrin.

La planche XI, La philosophie et les arts libéraux du Hortus Deliarum par Herrad de Landsberg (XIIe siècle) est peut-être l’image la plus emblématique de l’enseignement des arts libéraux. Autour de la philosophie de la reine, sous des arcs ronds séparés par des colonnes, se trouvent les Sept Arts Libéraux. «Ces arts sont toujours aux ordres de la Philosophie dans la direction suprême qu’elle exerce sur le trivium et le quadrivium des études profanes». Ces mots sont exprimés par l’inscription circulaire qui encadre la Philosophie: arte regens omnia quae sunt ego philosophia subjectas artes in septem divido partes (moi, la Philosophie divine, je gouverne toutes choses avec sagesse; je présente sept arts qui me sont subordonnés) :

La figure principale est surmontée de trois têtes identifiées comme étant l’Éthique, la Logique et la Physique. Elle tient dans la main droite une inscription où l’on peut lire Omnis sapientia a Domino Deo est (« Toute sagesse vient de Dieu »), phrase par laquelle débute le texte biblique de l’Ecclésiaste. Sept fontaines de sagesse s’en écoulent, correspondant aux allégories des Sept Arts Libéraux : Grammaire, Rhétorique, Dialectique, Musique, Arithmétique, Géométrie et Astronomie.

Dans le Ms Cooke (envir. 1400) on lit : Vous devez savoir qu’il y a sept sciences libérales ; grâce à elles, toutes les sciences et techniques de ce monde ont été inventées. L’une d’elles, en particulier, est à la base de toutes les autres, c’est la science de la géométrie. Les sept sciences ont les noms suivants : La première, qu’on appelle fondement des sciences a pour nom grammaire, enseigne à parler correctement et à bien écrire. La deuxième est la rhétorique, elle enseigne à parler avec grâce et beauté.  La troisième est la dialectique qui enseigne à distinguer la vérité du faux et on l’appelle communément l’art de la sophistique. La quatrième s’appelle l’arithmétique, elle enseigne l’art des nombres, comment calculer et faire des comptes de toutes choses. La cinquième, la géométrie, enseigne toutes les dimensions et mesures, et le calcul des poids de toutes sortes. La sixième est la musique qui enseigne l’art de chanter selon des notes par la voix, l’orgue, la trompe, la harpe et tout autre instrument. La septième est l’astronomie qui enseigne le cours du soleil, de la lune et des autres étoiles et planètes du ciel. Seul le Dumfries n°4 (de 1710) retient la théologie comme un des Sept Arts Libéraux.

On trouve, déjà énumérés dans les Old Charges (Régius, Cooke, Grand Loge, William Watson, etc) une description des Sept Arts Libéraux accompagnant le récit d’Euclide. Ainsi, dans le Régius (envir. 1390) : «Grammaire est bien la racine pour qui s’instruit par la lecture ; mais le Savoir-faire est supérieur, ainsi que le fruit de l’arbre vaut plus que la racine. Rhétorique est la beauté du rythme, et la Musique un chant suave ; l’Astronomie dénombre et l’Arithmétique établit l’art des preuves ; la Géométrie est la septième science qui permet de montrer le vrai du faux. Ce sont là les sept sciences, dont l’usage conduit au ciel.»

Les The Old Constitutions belonging to the ancient and honourable Society of free and accepted Masons de Roberts de 1722 commencent par l’évocation de 7 arts libéraux : 1- It’s Grammar that teaches a Man to speak truly, and write truly. 2- It’s Rhetorick that teaches a Man to speak fair, and in subtle terms. 3- It’s Logick that teaches a Man to discern Truth from Fashood. 4- It’s Arithmetick that teaches a Man to accompt, and reckon all manner of numbers. 5- It’s Geometry that teaches Mett and Measure of any thing, and from thence cometh Masonry. 6- It’s Musick that teaches song and voice. 7- It’s Astronomy that teaches to know the course of sun, and other ornaments of heaven : <freemasonry.bcy.ca/history/old_charges/roberts_constitutions_1722.pdf>.

«Le goût des arts libéraux est la troisième qualité requise pour entrer dans notre Ordre, la perfection de ce goût fait l’essence, la fin et l’objet de notre union» (Discours de M. le chevalier de Ramsay prononcé à la loge de Saint-Jean le 26 Xbre, 1736).

Les arts libéraux sont rapprochés des sept vertus de la Franc-maçonnerie: Espérance/Musique, Prudence /Astronomie, Justice/Rhétorique, Force/Géométrie,  Charité/Grammaire, Foi/Arithmétique, Tempérance /Dialectique.

Le symbole de l’escalier rappelle le parcours ardu de l’aspirant à la Connaissance, sa montée du bas vers le haut ne se faisant pas d’un mouvement continu, mais par degrés ou paliers successifs, séparés par des temps d’arrêt. Ce symbole d’ascension par paliers représente le passage d’un plan à un autre, un itinéraire spirituel comportant divers états de conscience, les Sept Arts Libéraux en constituant les dernières marches avant de se trouver sur le parvis du Temple de Salomon (15 marches y menaient).

Si les Arts libéraux sont présentés sous forme d’une énumération semblant les border, leur connaissance nécessite leur évidente intrication. «À l’aide des arts libéraux, la géométrie, entendue comme agent informateur pur et abstrait, serait le lieu privilégié d’une métonymie où figures et raisonnements -d’un ordre purement métaphysique- s’assemblent pour former  un canevas support de l’ensemble des modes représentation matériels (qui ont  recours, pour la plupart d’entre eux à un langage iconique et  métaphorique), enchevêtrant simultanément les arts abstraits et figuratifs, l’architecture et l’orfèvrerie, en se prolongeant jusqu’aux rituels liturgiques et symboliques. Il se pourrait que la géométrie du monde médiéval réside en un lieu  – un nœud – où se croisent les axes du langage, là où les termes linguistiques associent les plans syntagmatique et paradigmatique) avec un troisième axe déterminant : le plan physique.» (Patrizio Ceccarini-Cappuccini, p. 61)

Vous trouverez dans les semaines qui suivent 3 articles pour compléter cette approche qui aborderont le trivium, le quadrivium et la géométrie qui mérite un article à part entière.

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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