ven 19 avril 2024 - 07:04

Du mal, le bien

Soyons poètes un instant : Imaginons-nous, nés d’un arc-en-ciel. L’humanité devient ainsi une grande boîte de crayons de couleur. Chacune, chacun de nous en est un. Droit comme le « » de l’innocence, symbole même de candeur en notre premier matin du monde.

Nous sommes en arrivant, ni bons, ni mauvais, ni gentils, ni méchants. Si nous ne pleurons pas la nuit, nous sommes le plus doux, le plus adorable des bébés. Si nous montrons quelque agitation le jour, nous affirmons un caractère. Son excès nous vaut l’étiquette de rebelle. Que nous soyons crayon bleu ou crayon rouge, s’impose l’apprentissage de la communauté : Moi et l’autre, les autres. Nous devons faire mine d’être à l’aise en entrant dans le théâtre de la comédie humaine.

Sans en avoir vraiment conscience au départ, nous voici graphistes du bien et du mal, ces deux « valeurs » entremêlées dont les applications vont occuper notre temps de vie. Il s’agit, au fil de notre écriture – suite de scènes vécues – d’être reconnus, considérés même, dans un jeu pas toujours distinctif. Au gré de nos pleins et déliés, un trait d’humour peut être fin pour l’un et épais pour l’autre.

Filant la métaphore, nous passons ainsi dans les taille-crayons successifs de la culture. Ils nous donnent, selon les jours, bonne ou mauvaise mine ! Nous devenons affinés ou cassants, pointus ou « arrondis ». Pour continuer de tracer notre sillon sur le grand livre de la vie…

Nous sommes des êtres d’imitation et de répétition. Jusqu’à calquer notre comportement sur des modèles idéalisés, parents, proches ou médiatiques. Au risque de reproduire et non produire, de notre propre raisonnement, adolescents puis adultes devenus. Le bien et le mal ne sont pas innés. L’influence, bonne ou mauvaise, elle, est acquise.

« Dessine-moi un mouton… » dit le Petit Prince à l’aviateur en panne dans le désert. Nous avons besoin de rêves…et d’un crayon, nous confirme Saint-Exupéry. La franc-maçonnerie ne nous dit pas autre chose : le mythe, la légende, l’allégorie, le conte, autant de fables nous sont nécessaires – comme de pain et d’eau – pour vivre. Le bon et le méchant se côtoient dans la mythologie personnelle que nous constituons progressivement. Car l’un ne va pas sans l’autre. Pas d’aventure, pas de récit ! Pas de danger, pas de héros. Et pas d’identification possible. D’où le succès des « illustrés » hier, des « bandes dessinées » aujourd’hui. Le crayon, prolongement de la main, offre souvent des croquis bien plus réalistes qu’une photographie.

Sans réponse au « pourquoi » de notre existence sur terre, nous cherchons sans cesse à lui donner du sens. La fiction rend possible cette addition : ajouter au sempiternel « Qui suis-je ? » un pertinent « Que suis-je ? ».

L’identification, le fait de se confondre avec la personnalité choisie, en l’occurrence à travers un dessin, est à même de permettre de s’auto- construire, de tenir debout seul. De trouver sa place au sein de la société humaine. « Dis-moi quel est ton conte de fée préféré et je te dirai qui et ce que tu es ! » affirme le psychologue Bruno Bettelheim.

Imaginons encore : un matin ensoleillé d’avril, dans l’allée d’un marché aux fleurs. Un mendiant assis sur un cageot, à côté de l’étalage d’un fleuriste, agite tristement sa sébile vide, devant les badauds distraits. Près de lui, par terre, une pancarte précise : « Aveugle de naissance ». Un passant, ému par l’infirme, s’arrête, dépose son obole et saisit discrètement l’écriteau en carton. Il le retourne, sort de sa poche un crayon, et écrit quelques mots en lettres capitales, avant de s’éloigner, le carton reposé. Dès cet instant, l’aveugle stupéfait, ravi, entend une succession de pièces tinter dans sa sébile soudain alourdie…

…A la fin du marché, son voisin le fleuriste lui explique la raison de cette générosité inespérée. Le passant a juste marqué sur la pancarte : « C’EST LE PRINTEMPS ET JE NE LE VOIS PAS ! ».

Cette simple phrase née de la créativité généreuse de ce passant, a rappelé aux promeneurs leur bonheur de voir.

En les rendant conscients dans un environnement floral du plaisir de la vue – dont l’aveugle est privé – cette simple phrase n’a pu que les émouvoir. Elle a aussitôt provoqué en eux, empathie, compassion et élan charitable.

Quatre mots qui figurent la conquête de l’homo sapiens, notre qualificatif d’aujourd’hui. Grâce à l’évolution puis à la civilisation, un homme doté d’une conscience de lui-même et des autres. Un homme respectueux qui peut choisir de pratiquer le bien plutôt que le mal. En l’espèce, grâce à un crayon. Mine de rien !

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Gilbert Garibal
Gilbert Garibal
Gilbert Garibal, docteur en philosophie, psychosociologue et ancien psychanalyste en milieu hospitalier, est spécialisé dans l'écriture d'ouvrages pratiques sur le développement personnel, les faits de société et la franc-maçonnerie ( parus, entre autres, chez Marabout, Hachette, De Vecchi, Dangles, Dervy, Grancher, Numérilivre, Cosmogone), Il a écrit une trentaine d’ouvrages dont une quinzaine sur la franc-maçonnerie. Ses deux livres maçonniques récents sont : Une traversée de l’Art Royal ( Numérilivre - 2022) et La Franc-maçonnerie, une école de vie à découvrir (Cosmogone-2023).

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