lun 14 octobre 2024 - 05:10

Gloire au Travail ? Mon œil ! De l’aveuglement idéologique

Avertissement (ou trigger warning pour nos contemporains) : ce billet contient des éléments de politique susceptibles de heurter la sensibilité des plus réactionnaires. Si vous êtes dans l’un des cas de la liste (non exhaustive) suivante, je vous invite à passer votre chemin pour préserver votre santé : abonné du Figaro, militant du parti républicain ou de partis affiliés, adhérent aux paroisses traditionalistes de type Saint-Nicolas du Chardenet, adepte du néo-libéralisme, soumis à la tentation de l’extrémisme ou boomer investi d’idéologie ordo-libérale.

Je rentrais de Loge hier soir quand je décidais d’écouter la radio avant d’aller me coucher. Ah Seigneur mon Dieu, quelle erreur ! Il a fallu que je tombe sur l’analyse politique des discours des candidats à l’investiture du grand parti de droite. Les discours des deux finalistes étaient mis en perspective et, ô surprise, c’étaient les mêmes propos, le même fond. Seul l’emballage différait. Et évidemment, le fonds est celui de la droite réactionnaire néo-libérale : travailler plus (du moins pour ceux qui ont encore un emploi), détruire encore plus les services publics, réformer une nouvelle fois les assurances sociales, réduire la fameuse « dette », et faire du travail une valeur…

Ces candidats peuvent se prévaloir d’études dans les grandes écoles de commerce ou d’économie, on n’en disconviendra pas. Mais visiblement, ils n’ont pas fait usage de leur droit à la formation continue (droit que leurs équivalents au pouvoir en politique ou que leurs adeptes aux commande en entreprise écornent très grossièrement). Les idées présentées ne sont pas neuves, loin de là. Je dirais même, mais ceci n’engage que moi, qu’il s’agit d’idées particulièrement d’arrière-garde.

Prenons par exemple la promesse de « supprimer les 35 heures ». Bon, s’il s’agissait de réduire le temps de travail, ce qui ferait du bien à tout le monde, et encore plus à la civilisation et son environnement, ça se comprendrait. Mais non, il s’agit de revenir à la semaine de 40 heures voire plus et de supprimer des jours de congé. Je vois ici trois choses qui posent problème.

Premièrement, cet acharnement à prononcer cette antienne, « supprimer les 35 heures » est à placer non sous l’angle économique, mais plutôt sous l’angle symbolique : il s’agit de supprimer un héritage du dernier vrai gouvernement socialiste. Ce qui amène alors mon deuxième point. Des études très sérieuses ont montré que travailler moins était non seulement possible mais souhaitable. Un article récent paru dans le Courrier International fait justement le point dessus. Par ailleurs, un petit calcul simple montre que travailler moins est nécessaire pour endiguer l’épidémie de chômage : le pays a été désindustrialisé par les mêmes que ceux qui prônent la « vile maxime » d’Adam Smith : « Tout pour nous, rien pour les autres » (je vous invite à lire l’ouvrage de Noam Chomsky Requiem pour le rêve américain à ce propos). Ce qui fait donc moins de postes disponibles et moins d’heures à travailler pour la population. Donc mathématiquement, si on augmente le nombre d’heures à travailler pour un nombre d’heures disponibles en baisse, on aboutit à une grave impasse : ceux qui auront un emploi travailleront plus, mais leur nombre diminuera, augmentant le chômage. D’où le troisième point gênant : ces gens qui prônent le « travailler plus pour gagner moins » sont soit mal conseillés, soit dans un aveuglement idéologique : leurs décisions seront au service d’un ordre du monde mensonger. Ou au service d’intérêts socio-économiques particuliers, ce qui serait plus grave. Dans tous les cas, doit-on laisser à des gens aveuglés notre destin commun ? Je n’en ai pas vraiment envie.

Toujours dans les discours emprunts d’idéologie néo-libérale, on a le traditionnel « réduire le nombre de fonctionnaires ». Mais quelle bonne idée ! Réduisons le nombre de soignants hospitaliers, en cette période de pandémie ! Réduisons le nombre d’enseignants. Encore que le comportement des dirigeants de l’Education Nationale y contribue déjà énormément, les enseignants français étant parmi les plus mal payés selon les classements de l’OCDE. Réduisons le nombre de militaires, ça coûtera moins cher et le beau matériel neuf acheté à grand frais par l’État ne sera pas trop usé ! Et réduisons le nombre de policiers et de magistrats, tant qu’on y est, ça fera toujours moins de blessés à l’hôpital.

Plus sérieusement, j’ai l’impression que nos candidats n’ont pas compris qu’un service public de qualité est un facteur important de redistribution des richesses et de luttes contre les inégalités, voire de cohésion nationale… Sauf s’ils veulent contribuer au creusement des inégalités par aveuglement idéologique. A ce stade, je me dois de rappeler que dans sa Politique, Aristote expliquait qu’une société inégalitaire était vouée à l’instabilité. Mais je suppose que les écrits d’Aristote sont trop compliqués pour des néo-libéraux. En attendant, cette posture confirme bien le vrai projet de ces gens-là : « tout pour nous, rien pour les autres ». Et la fameuse rigueur a la même pertinence que la saignée comme remède. Mais les Diafoirus de l’économie politique ne connaissent visiblement rien d’autre que la rigueur pour soigner la dette…

Quitte à faire des économies, peut-être pourrait-on réduire le train de vie de l’État comme cela se fait en Scandinavie ? Ou cesser de subventionner des entreprises qui versent des dividendes après avoir reçu des aides d’État ? Ou mieux, lancer un cercle vertueux : augmenter les salaires, surtout ceux des femmes, pour augmenter les cotisations sociales ?

Quant au travail comme valeur, c’est une fichue imposture. Surtout qu’il s’agit ici non pas de travail mais bien d’emploi, et l’emploi n’est qu’une nécessité, souvent mal reconnue particulièrement quand l’emploi est indispensable. Je vous invite à voir ou revoir le dernier documentaire de François Ruffin, Debout les femmes, pour vous faire une idée sur la question.

A écouter ces gens, on a l’impression que les Français, leurs électeurs donc, sont des gens paresseux, des profiteurs de l’État-providence à l’instar de la Welfare Queen de Ronald Reagan et qu’ils choisissent de ne pas contribuer à la société et que leur échec à s’insérer est de leur faute. On a aussi l’impression que ces candidats veulent défendre une société à l’américaine ou à l’anglaise : inégalitaire, inefficace et instable. Cette vision est renforcée par des médias peu scrupuleux, plus préoccupés de vendre des passions tristes que de rechercher la vérité, au service d’intérêts douteux. La vision que nous offrent ces candidats est décidément très sombre, outre les mensonges sur lesquels elle est basée. Devoir travailler toujours plus, toujours plus longtemps quand d’autres cherchent à s’insérer sans espoir pour une société qui se basera sur des principes inégalitaires, dans laquelle la richesse produite sera confisquée par quelques uns avec la complicité d’un Etat dévoyé, tel est le monde que ces gens veulent nous offrir. Est-ce ce monde que nous voulons offrir à nos enfants ? Un monde dans lequel les perspectives d’une vie humaine digne seraient désormais bien minces ?

Pour enrichir votre réflexion sur ces thèmes, je partage avec vous une source remarquable : l’enquête dessinée Le choix du chômage de Benoît Collombat et Damien Cuvillier (voir ici), un ouvrage remarquable, qui, sans complaisance, retrace l’histoire des quarante années de choix politiques et idéologiques, qui nous ont menés à ce que nous vivons aujourd’hui. C’est passionnant et ça fait un beau cadeau à mettre sous le sapin. Mais ça dégoûte des personnes politiques, mais ça, c’est une autre histoire, que l’Histoire jugera…

J’en entends déjà râler, m’expliquant que mon billet est politique et pas maçonnique. La réponse est : oui et je l’assume (et puis, je vous ai prévenus). Toutefois, quand nos valeurs maçonniques et humanistes à l’origine des valeurs fondatrices de la République sont ainsi menacées par des forces réactionnaires et obscurantistes, je crois qu’il est temps de se lever, de se questionner et surtout d’agir. Nous ne devons pas laisser ces sombres forces nous emporter. Préparons-nous à être de vrais Hospitaliers et à recueillir et soigner les blessés de cette salve réactionnaire à venir, car en ces temps sombres, nos serments chevaleresques d’amour du prochain et d’assistance aux plus démunis vont prendre tout leur sens.

Je vous embrasse.

Josselin
Josselin
Josselin Morand est ingénieur de formation et titulaire d’un diplôme de 3e cycle en sciences physiques, disciplines auxquelles il a contribué par des publications académiques. Il est également pratiquant avancé d’arts martiaux. Après une reprise d’études en 2016-2017, il obtient le diplôme d’éthique d’une université parisienne. Dans la vie profane, il occupe une place de fonctionnaire dans une collectivité territoriale. Très impliqué dans les initiatives à vocations culturelle et sociale, il a participé à différentes actions (think tank, universités populaires) et contribué à différents médias maçonniques (Critica Masonica, Franc-maçonnerie Magazine). Enfin, il est l’auteur de deux essais : L’éthique en Franc-maçonnerie (Numérilivre-Editions des Bords de Seine) et Ethique et Athéisme - Construction d'une morale sans dieux (Editions Numérilivre).

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