lun 14 octobre 2024 - 03:10

Savoir et barbarie

La culture, le savoir, la qualité de la réflexion sont désormais des valeurs has been. Tout ce qui permet d’élever l’esprit semble désormais marginalisé, voire proscrit. Et les politiques ont une responsabilité dans l’émergence de cette nouvelle barbarie.

Il paraît que le savoir, l’instruction et la culture sont désormais des apanages élitistes, et que donc, c’est pas bien. Il paraît aussi que tous les avis, toutes les opinions doivent se valoir. Tout doit être donc être mis au Niveau. Mais quelle bonne idée ! Allons demander à un vrai géographe ou un vrai marin ce qu’il pense de la Terre plate. Ou un épidémiologiste ce qu’il pense des positions anti-vaccinales. C’est un peu dans cette idée que la Sorbonne a donné le titre de Docteur à l’astrologue Elisabeth Teissier pour sa thèse relative à l’astrologie comme, je cite, « science secrète » ou millénaire. Il ne m’appartient pas de porter un jugement sur la délivrance d’un titre de docteur, mais j’avoue avoir du mal à comprendre la démarche. La thèse d’est avant tout une accumulation d’élucubrations vaguement ésotéristes, sans réel travail empirique ni théorique. Mais bon, l’Académie et la Faculté ont jugé bon de lui accorder le doctorat. Un des arguments utilisés pour la défense de la position du jury est qu’il ne faut hiérarchiser le savoir ni les connaissances. En fait, c’est une position dite « de gauche », née dans le sillage de Mai 68 : tous les savoirs doivent se valoir, sans hiérarchie et l’avis de l’amateur doit valoir autant que celui qui a étudié un sujet toute sa vie. Le même phénomène que lors du confinement du printemps 2020 et que la crainte de l’écrivain Umberto Eco : n’importe quel clampin a autant, voire plus de portée qu’un Prix Nobel (et j’entends déjà les esprits chagrins m’expliquer que les Prix Nobel ne connaissent rien à leur discipline etc.). Certes. Sauf que pour éviter le chaos, un minimum de hiérarchisation est nécessaire, ne serait-ce que pour distinguer la croyance de la connaissance. Ainsi, dans mon exemple, la Terre plate n’a pas de sens, la rotondité de la Terre ayant été établie. Et ce n’est pas de l’irrespect de croyance que de rappeler des vérités et des faits scientifiquement établis. C’est juste de la salubrité publique. Mais la recherche, la démarche de contribuer au savoir humain, faire avancer la civilisation ne font pas partie des priorités publiques. On préfère le football à la recherche. Un très intéressant article du Monde Diplomatique fait un bien triste état des lieux, en proposant un étalon : l’équivalent Messi (salaire annuel : quarante millions d’Euros). Le savoir et sa qualité, l’instruction et la culture ne font plus partie des valeurs essentielles. Seul compte le fait du « respect », qui permet à n’importe qui d’affirmer n’importe quoi n’importe où.

De la même manière, la crise sanitaire a été un prétexte pour fermer tous les lieux de culture, autrement dit, les lieux où l’on pouvait réfléchir, se rencontrer, s’enrichir et partager. Par contre, les cabinets de traders, entreprises « sérieuses » et autres officines au mieux inutiles, au pire nuisibles, ont pu rester ouverts. Choix de société et choix politiques, tout simplement : le business, la finance sont « essentiels », la culture et le soin ne le sont pas. C’est le risque de voter pour des technocrates incompétents.
Si je remonte plus loin, quand j’étais gamin (et nul doute que ce ne se soit arrêté), ceux qui avaient le malheur d’être un peu plus instruits ou cultivés que la moyenne étaient rejetés, moqués ou harcelés par leurs petits camarades menés par les caïds n’aimant pas les « sales premiers de classe ». La barbarie et la bêtise crasse ont des arguments plus percutants sur le coup que la culture et l’intelligence… Et elles sont encore plus dévastatrices quand elles s’incarnent en cols blancs. Il suffit de regarder certains de nos politiques voulant jouer les intellectuels pour s’en rendre compte.

Pire encore, une vedette d’une émission de téléréalité a récemment déclaré que « Molière, c’est chiant »… Elle a le droit, bien sûr. Mais ce faisant, elle montre sa limite en tant que comédienne.
Il semblerait que les références contemporaines soient désormais un animateur vedette amateur du jeu du « kicékapété », des joueurs de jeux vidéo s’enregistrant en train de regarder des conneries autres que les leurs ou encore un duo de vidéastes grimaçants héritiers des Jackass de mes années estudiantines… Bon, de mon temps, c’étaient les Nuls, les Inconnus ou le Club Dorothée qui tenaient lieu de références. Est-ce que tout cela valait mieux ? Pas forcément. Toutefois, apprécier les Nuls ou les Inconnus requérait un certain nombre de références communes, et donc un peu de culture.

D’où une certaine inquiétude : la culture est considérée comme non essentielle, voire comme socialement inacceptable. Désormais, pour être bien dans notre société, il convient d’être ignorant, fanatique et ambitieux. Ou de faire des vidéos débiles à poster sur les réseaux sociaux et laisser s’exprimer ce que l’humain a de pire en lui.

Petit rappel historique (et désolé pour le Point Godwin) : Goebbels disait « quand j’entends le mot culture, je sors mon révolver ». Bon, maintenant, c’est un écrivaillon réactionnaire et haineux qui fait « de l’humour » en pointant une arme de guerre sur des journalistes pendant un salon réservé aux professionnels de l’armement et de la sécurité… Avec un peu de connaissance de l’histoire et un peu de culture, on a les moyens de réaliser qu’opposer une arme à la culture porte un nom : la barbarie.

Petit rappel utile: la menace est sanctionnée par l’article 222-17 du Code Pénal, qui dit clairement : « La menace de commettre un crime ou un délit contre les personnes dont la tentative est punissable est punie de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende lorsqu’elle est, soit réitérée, soit matérialisée par un écrit, une image ou tout autre objet. La peine est portée à trois ans d’emprisonnement et à 45 000 Euros d’amende s’il s’agit d’une menace de mort ».

Et moi, fidèle à mon Frère Pierre Dac, non content de signer Furax, je suis de ceux qui, lorsqu’ils entendent le mot révolver, sortent leur culture. Et vu la crise de folie collective qui nous attend en 2022, on va vraiment en avoir besoin, de la culture.

Je vous embrasse.

Josselin
Josselin
Josselin Morand est ingénieur de formation et titulaire d’un diplôme de 3e cycle en sciences physiques, disciplines auxquelles il a contribué par des publications académiques. Il est également pratiquant avancé d’arts martiaux. Après une reprise d’études en 2016-2017, il obtient le diplôme d’éthique d’une université parisienne. Dans la vie profane, il occupe une place de fonctionnaire dans une collectivité territoriale. Très impliqué dans les initiatives à vocations culturelle et sociale, il a participé à différentes actions (think tank, universités populaires) et contribué à différents médias maçonniques (Critica Masonica, Franc-maçonnerie Magazine). Enfin, il est l’auteur de deux essais : L’éthique en Franc-maçonnerie (Numérilivre-Editions des Bords de Seine) et Ethique et Athéisme - Construction d'une morale sans dieux (Editions Numérilivre).

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