sam 27 avril 2024 - 07:04

De l’autre côté du miroir, le monde du silence

J’aimerais partager avec vous le monde du silence. A ces mots, vous vous revoyez en flash back, apprenti sur la colonne du Nord.

Et bien, pas tout à fait. J’aimerais vous faire découvrir le monde des sourds ! Si un jour, vous franchissez le pas de l’apprentissage de la langue des signes, tel Alice vous passerez de l’autre côté du miroir.

La doxa perçoit les sourds comme des handicapés, voire des oreilles à réparer. Une partie de la communauté sourde se considère comme une minorité culturelle et linguistique. Certains revendiquent la fierté d’être sourd. Nous pouvons parler d’identité sourde, sans pour autant perdre de vue que chacun est différent, à la fois culturellement, familialement, professionnellement, dans son parcours, dans ce qu’il est, dans sa surdité et le rapport qu’il entretient avec elle. Difficile donc de parler des sourds comme d’une masse compacte et homogène. Elle se divise elle-même en courant de pensées, de vie et de positionnements. En voici quelques exemples : sourd parlant, sourd pratiquant la LSF (langue des signes française, qui ceci dit en passant a été interdite dans l’éducation des enfants sourds, dans les écoles en France de 1880, jusqu’aux années 1970 ! Et oui !), le LPC (langage complété parlé) ou encore ceux cumulant différents types de communication.

Les sourds s’adaptent constamment à nous, entendants, nous qui formons la majorité et qui sans nous rendre compte, avons créé un monde sans eux, ou du moins pas adapté à eux.

Et bien, maintenant changeons les rôles. Nous entendants, allons rendre visite aux sourds. N’est-ce pas une mise en pratique de nos valeurs ? Allons en dehors du temple, répandre la fraternité universelle et l’ouverture à l’autre. Vous pouvez le faire par le biais  des cafés signes, des événements organisées par des associations de sourds dans votre région, la Journée Mondiale des Sourds, les pôles Pi Sourds des bibliothèques de la ville de Paris, l’IVT (théâtre) …

Vous retrouverez quelques aspects familiers pouvant être mis en parallèle avec la franc-maçonnerie. Au début, vous ne comprenez pas la langue, ni les codes. Vous avez tout à apprendre. Vous êtes silencieux. Vous observez. Vous essayez de comprendre.

Progressivement vous appréhendez les relations et les comportements des locuteurs. Vous regardez comment ils utilisent leurs mains, leurs regards, leurs visages et leurs corps.

Plus le temps passe, plus vous vous familiarisez avec la langue. Vos repères habituels sont bouleversés. Vous vous raccrochez à vos cours d’anglais, d’allemand ou d’espagnol de vos lointaines années d’études, mais qui ne vous servent à rien. Il faut repartir à zéro. Votre corps devient un outil de langage. Il faut apprendre à l’utiliser autrement, dans un environnement où les codes sont différents. Vous ressentez à la fois la sensation de vide et de liberté.

Vous intégrez la pensée en images, typique de la langue des signes. Vous redécouvrez un nouveau sens à chacun des mots que vous avez l’habitude d’utiliser. Automne : la feuille qui tombe de l’arbre, été : on transpire du front, septembre : période des vendanges, amour : deux bouches qui s’embrassent en tournant ensemble. Tout cela sonne un peu comme des noms indiens.

On vous observe attentivement. Un jour, on vous baptise. Vous recevez un prénom signaire, un prénom en langue des signes, qui vous caractérise. Si vous repensez au film Rrrr où ils s’appellent tous Pierre, aucun souci en langue des signes, chacun aura un prénom signé différent. Impossible de confondre deux personnes ayant un même prénom. Le prénom signaire peut être un élément physique, par exemple les cheveux longs et bouclés, une habitude : celle qui rigole, celui qui remet tout le temps son écharpe, un jeu de mots avec votre nom : Barette, Ducasse. Vous pouvez aussi vous appelez le chauve, le gros, le mono sourcil, ou encore celui qui boite, ce n’est pas méchant en langue des signes, ni dans la culture sourde. Il ne faut pas le prendre mal, même si pour nous entendants, cela nous semble parfois de mauvais goût, voire violent.

Le monde des sourds est un univers presque initiatique lui aussi, qui mérite toute notre attention. Il nous oblige à changer d’angle de vue sur le monde, c’est le pas de côté. Nous revenons sur notre axe, enrichi afin de tailler notre pierre.

En attendant de pouvoir rencontrer des sourds et échanger avec eux, compte tenu de la situation sanitaire, je vous invite à regarder l’émission l’œil et la main. (1) Elle vous donnera déjà un aperçu de cette communauté bien trop méconnue et d’une grande richesse.

Ils font des pas vers nous au quotidien. A nous de faire un pas vers eux, dans l’espoir qu’un jour nous puissions regarder notre devise Liberté, Egalité, Fraternité en face, non plus de manière utopique, mais bien en arrêtant d’exclure des catégories de population, d’humain.

(1)L’œil et la main – Replay et vidéos en streaming – France tv

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Julie le Toquin
Julie le Toquinhttp://base.ddab.org/julie-le-toquin
Julie Le Toquin est artiste plasticienne, guide conférencière, formatrice, brodeuse de décors maçonniques. Formée à l'EESAB à Lorient, à l'université Paris III en théâtre, à l'école de théâtre Auvray-Nauroy, à l'université de Lille, au CNAM, au lycée Octave Feuillet et au près de Pascal Jaouen. Elle s'intéresse tout particulièrement aux questions liées à la mémoire dans son travail d'artiste. Comme guide conférencière, elle s'est spécialisée dans les publics en situation de handicap (sourds, aveugles, sourds-aveugles ...) et la franc-maçonnerie.

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