mer 01 mai 2024 - 23:05

Singuliers pluriels

Dans les Traditions, le pluriel intervient de façon prépondérante dans le nombre de présents indispensables pour effectuer certains rituels : 7 francs-maçons  rendent une loge juste et parfaite. 10 hommes (miniam) attestent la suffisance d’un groupe d’hommes de bonnes mœurs pour pratiquer certaines prières, représentant un niveau de pureté suffisante. 36 justes est l’ouverture minimale de l’humanité à l’accueil du Messie.

Jusqu’environ 1726, la régularité d’une Loge dépendait à la fois d’une situation particulière et d’un quorum qualifié. Ainsi trouve-t-on, à la question  «qu’est-ce  qu’une  vraie  Loge  parfaite ?», différentes réponses dans les catéchismes traditionnels de l’époque (true prefect lodge) : Les statuts de 1670 de la loge d’Aberdeen prescrivent que les tenues aient lieu «au milieu des champs», et que les réceptions d’apprentis se fassent «dans l’ancienne loge des champs» sur une paroisse rurale des environs (Miller, Notes on the early history and records of the Lodge Aberdeen, 1 ter) ; à une journée de marche (de voyage) d’une localité, hors (de portée) de l’aboiement d’un chien ou du chant d’un coq (Manuscrit Édinburgh Register  House 1696) ; sur la plus haute colline ou la plus profonde vallée du monde,  hors (de portée) du chant d’un coq ou de l’aboiement d’un chien (Manuscrit Sloane 1700) ; sur les montagnes les plus hautes ou (dans) les vallées les plus profondes du monde (The Grand Mystery of Free-Masons Discovered 1724) ; le centre d’un cœur vrai (Manuscrit Graham 1726).

Le quorum, quant à lui, était le nombre exigé de maçons ayant divers degrés maçonniques. Les différences retrouvées dans les divulgations tiennent comptent d’une époque où il n’existait encore que deux degré, puis d’une graduation sur le qualificatif de la loge : simple, formée ou composée ; juste, composée ou gouvernée ; parfaite ou juste et parfaite. Le plus souvent comme aux RÉR, RF, REAA : – Qu’entendez-vous par une loge juste et parfaite ? –  Trois la forment, cinq la composent (ou l’éclairent) et sept la rendent juste et parfaite. Mais on trouve aussi : n’importe quel nombre impair de 3 à 13 (Graham) ; ou encore 5 compagnons et 7 apprentis (A Mason’s Confession).

Le Manuscrit d’Edimbourg, 1696, dans le dialogue d’allumage des Feux ou de consécration de Loge pratiqué par le REAA de l’Ordre du Royal Secret enseigne : «Le TIF Grand Orateur : Pour qu’une loge soit juste et parfaite, il faut sept Maîtres, cinq Apprentis entrés, à un jour de marche d’un bourg, là où on n’entend ni un chien aboyer, ni un coq chanter. T.P.S.G.C. Un nombre plus petit ne peut-il rendre une loge juste et parfaite ? Le TIF Grand Orateur : Oui, Très Puissant Souverain Grand Commandeur : Cinq Maîtres maçons et trois Apprentis entrés. T.P.S.G.C. Et à moins encore ? Le TIF Grand Orateur : Plus on est nombreux, plus on est joyeux, moins on est de convives, meilleure est la chère ![1]»

Des variations existent cependant sur les degrés de chacun de ces groupes : en quoi consistent-ils ? Trinity  College  (1711)  : Trois  maîtres,  deux Compagnons et  trois apprentis (8  membres)  A Masons ‘s Examination (1723) : Un maître, deux surveillants, quatre compagnons, cinq apprentis (12 membres). The Grand Mystery of Free-Masons Discover’d (1724) : Cinq ou sept droits et parfaits maçons (5 ou 7 membres). Graham MS (1726) : N’importe quel nombre impair de 3 à 13 ; l’explication est donnée : «à  la référence à la Trinité bénie, à la venue du Christ avec ses 12 apôtres». Willkinson MS (1726) : Un maître, deux surveillants, deux compagnons et deux apprentis (7 membres). Masonry Dissected (1730) et apparition d’un 3e Degrés structuré : Un maître, deux surveillants, deux compagnons et deux apprentis (7 membres). On remarquera qu’à l’approche d’un 3e Degré depuis 1724 le nombre de membres pour constituer une Loge Juste et Parfaite passe à 7 en maçonnerie anglaise. Rapporté en 1736 dans Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde: sept personnes, à savoir le maître, deux inspecteurs, deux frères et deux apprentis forment une loge2.

La Maçonnerie française reprendra les mêmes ingrédients.

Le Secret des Francs-Maçons (1742), Le catéchisme des Francs-Maçons (1744), L’Ordre des Francs-Maçons trahi (1745), le Sceau rompu (1745), La Désolation des entrepreneurs modernes du Temple de Jérusalem (1747), Le Nouveau catéchisme des Francs-Maçons (1747) indiquent : Le Grand-Maître, le premier et le second Surveillant, deux Compagnons et deux Apprentis (7 membres). Mais ici, nous avons la progression 3,5,7 : Trois la forment, cinq la composent et sept la rendent parfaite. Même chose avec Le recueil précieux de la Maçonnerie Adonhiramite de1786 (- Quels sont les trois Maçons de la Loge simple ?- Un Vénérable et deux Surveillants.- Quels sont les cinq de la juste ?- Ce sont les trois premiers et deux  Maîtres. – Quels sont enfin les sept qui rendent la Loge parfaite ? – Un Vénérable, deux Surveillants, deux Maîtres, un Compagnon et un Apprenti).

Au Rite Écossais Rectifié on retrouve les mêmes dispositions. Au Rite Français (1785-1786) qu’on retrouve dans Le Régulateur du Maçon de 1801, de même, au REAA, nous avons : – Trois la dirigent, cinq l’éclairent, sept la rendent juste et parfaite. -Expliquez cette réponse. – Les Trois sont le V\M\et les deux surveillants. Ces Officiers avec l’Orateur et le Secrétaire sont les cinq Lumières de la Loge. Mais il faut que Sept membres de la Loge, au moins, soient réunis pour pouvoir procéder à des Travaux réguliers. Dans cette nouvelle progression 3,5,7, les 5 qui éclairent et dirige la Loge sont invariablement des Maîtres, les deux autres membres sont donc 1 Apprenti et 1 Compagnon si l’on suit la logique des premiers catéchismes. Dans le Manuel du Vénérable des 6 premiers grades de l’Ordre Illustre de la Stricte Observance, p.104, il est écrit : «9 la rendent parfaite lorsqu’elle a été légalement constituée par la Grand Maître Provincial et que son Vénérable a été dûment installé».

En conclusion, s’il n’y a pas d’Apprentis ou de Compagnons sur les Colonnes, la Loge ne  peut être ouverte, même s’il y a 7 Maîtres. Par contre s’il y a 5 Maîtres, 1 Apprenti et 1 Compagnon, les Travaux peuvent être ouverts.

On retiendra, dans la définition d’une loge juste et parfaite, que l’exigence de la présence de sept (7) maçons est générale3.

Cependant, si un quota autorise les tenues en loge, l’isolement par lequel passent les impétrants est tout aussi indispensable en Franc-Maçonnerie : cabinet de réflexion, bandeau des ténèbres, et surtout silence de l’apprenti. La quête se fait à la fois par des méditations solitaires et à travers le groupe initiant. Les étapes de l’initiation font alterner des périodes appartenant à l’horizontalité (dans la recherche de savoir et de rencontres) et des périodes de verticalité où s’effectuent les transformations qui aboutissent à la connaissance.

Nous avons conscience de venir d’ailleurs et d’être poursuivis par cet ailleurs qui complète l’ensemble de nos références. L’initiation qui est un effort vers le haut, vers le Soi, vers un changement d’état, ne s’accomplit pas pour tous au même rythme, mais va faire interférer la modification avec les autres membres du groupe. Cela montre que l’homme n’est jamais un individu, il est le noyau d’un ensemble, celui du passé et celui du présent. La chaîne d’union, par le tissage des bras et des mains, nous fait vivre l’achronie dans le torrent de la réciprocité de la présence, unis par un lien ineffable. À la rupture de la chaîne, ne reste-t-il que  la  solitude ? Dans le voyage initiatique ou les 33 degrés de la sagesse, Christian Jacq nous répond : «Tu seras seul, mais pas isolé comme quelqu’un qui ne connaît rien d’autre que lui- même. Tu seras seul face au Principe. Seul, tout en étant habité par la communauté des hommes avec lesquels tu voyages sur le chemin de l’initiation».

Le symbolisme est l’instrument par excellence de l’intégration, de la rupture d’avec l’isolement. Il ne peut y avoir de solidarité qu’entre individus partageant un système symbolique qui rend possible un consensus sur le sens du monde. Le symbolisme est interprétation en reprenant au passé ce que d’autres avaient déjà sédimenté et en  l’embellissant par la spécificité de l’intuition de celui qui le complète. Cette recherche, de ce que nous sommes au plus profond de l’être, le moi dépouillé du vieil homme et re-né en Soi, requiert les autres mais aussi la solitude; solitude qui nous protège de tous les totalitarismes.

1 rudyard-kipling.fr/Textes-archives-edimbourg.html

2 p.252 : sur gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1511257f/f301.item

3 p. 21,47, 77, 103, 134, 154, 160, 166sur : theeducator.ca/wp-content/uploads/2018/02/The- Early-Masonic-Catechisms-by-Harry-Carr.pdf

Illustration : sculpture de Nicola Rosini Di Santi


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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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