Le charme discret de la bourgeoisie

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Pas très Covid friendly, tout ça!

Bon, nous avons tous suivi cette affaire navrante de restaurant clandestin caché dans le Palais Vivienne, à Paris. Quoi de maçonnique, me direz-vous ? Pas grand-chose, le spectacle navrant des élites et dirigeants faisant n’importe quoi étant désormais bien connu. J’étais tenté de me joindre au concert des voix indignées, de rappeler dans quel contexte impossible nous vivions alors que d’autres peuvent, au prix d’un loyer, se payer une bonne soirée entre amis dans un restaurant clandestin. Les tensions auxquelles le peuple est soumis doivent s’accompagner d’un minimum de dignité, ou à défaut, de discrétion. Car il n’est pas concevable que des jet-setteurs se paient du bon temps dans un restaurant clandestin quand des restaurateurs peinent à toucher les aides d’État pourtant promises et que de plus en plus de personnes souffrent de la faim en France. Et leur défense, digne des regrettés Guignols de l’Info, est désormais indiscernable de unes de sites satiriques comme le Gorafi. D’autres crient leur indignation mieux que moi, je vous invite à les découvrir (un indice, c’est une radio de gauchistes…).

Je me contenterai de rappeler qu’un peu après la prise de la Bastille, le 5 octobre 1789, précisément, les femmes de Paris se sont réunies pour exiger du pain, alors qu’une pénurie faisait rage à Paris et ont fait plier Louis XVI (voir ici).Et c’est ce parallèle qui m’intéresse.

D’aucuns évoquent la « haine anti-riches » en France, alimentée par le « populisme ». Je pense que l’histoire est un peu plus compliquée que ça. Nous autres, Francs-maçons, avons l’habitude de dire que nous sommes « les amis des riches comme des pauvres, s’ils sont vertueux ». Et c’est ce terme qui me paraît le plus intéressant. L’une des plus grandes vertus est le partage, ou plus précisément, la solidarité. Or, de cette valeur de solidarité découlent un certain nombre d’inventions sociales bien pratiques : le mutualisme et les assurances santé, l’assurance chômage, les équipements publics, bref, tous les services publics. La Déclaration des Droits de l’Homme, dans son article 13, nous dit que : Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. Or, si j’en crois les travaux des sociologues Michel et Monique Pinçon-Charlot, la riche bourgeoisie française a fait de l’évasion fiscale (ou son pendant aussi légal qu’immoral, l’optimisation fiscale) son sport de prédilection. Ce qui signifie clairement qu’ils se refusent à contribuer à l’effort général laissant les autres, toutes proportions gardées, payer pour eux. Je pense que c’est ce refus de contribuer à l’effort collectif qui engendre le ressentiment qu’éprouvent les classes moyennes et populaires envers la bourgeoisie dominante. Ressentiment aggravé par l’image désastreuse des puissants se vautrant cyniquement dans les plaisirs élémentaires quand le reste de la population en est privée et que les plus fragiles meurent de faim. Et c’est avec une joie mauvaise, le Schadefreude allemand que nous suivons la chute de dirigeants, grands bourgeois, personnes politiques etc. quand ils sont pris la main dans le sac.

Du point de vue de l’éthique, on serait tenté de dire qu’il n’y en a pas. Mais ce serait faire une erreur. Par exemple, en ces périodes de privation des libertés élémentaires, on attend de nos dirigeants un minimum d’éthique des vertus pour les prendre au sérieux. Car sans exemplarité, il me semble vain d’espérer que la population accepte encore longtemps cette peine collective.


Quant à nos bons bourgeois occupés à leur repas gastronomique, ils se parent de l’éthique de conviction minimaliste: ils s’estiment dans leur bon droit, et pensent ne faire de mal à personne. De ce point de vue, certes, ils n’ont fait de mal à quiconque (si tant est qu’ils n’aient contaminé personne, y compris et surtout le personnel, mais c’est un autre débat). Mais, le média étant le message, leur présence à ce dîner et leurs actes font passer plusieurs messages préjudiciables à la société entière :

-on est riche, on fait ce qu’on veut, les lois c’est pour les pauvres !
-on refuse de participer à l’effort collectif !
-on insulte l’intelligence des gens en faisant appel à des excuses loufoques.

Ces messages constituent leur éthique de conviction : ils estiment que leurs vies valent mieux que le reste et ne sauraient souffrir la moindre contrainte. Et ce sont ces messages de mépris qu’ils nous font parvenir à tous, messages qui alimentent un grand ressentiment, tel que le décrivent la psychanalyste Cynthia Fleury et l’académicienne Danielle Salenave.

Ces gens-là, qui se vautrent dans leur luxe, ne sont visiblement pas vertueux, malgré leur richesse. Ils ne méritent l’amitié d’aucun Franc-maçon, et certainement pas la mienne. Ils ne méritent que notre mépris.

Ne nous laissons plus faire.

J’ai dit.

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Josselin Morand est ingénieur de formation et titulaire d’un diplôme de 3e cycle en sciences physiques, disciplines auxquelles il a contribué par des publications académiques. Il est également pratiquant avancé d’arts martiaux. Après une reprise d’études en 2016-2017, il obtient le diplôme d’éthique d’une université parisienne. Dans la vie profane, il occupe une place de fonctionnaire dans une collectivité territoriale. Très impliqué dans les initiatives à vocations culturelle et sociale, il a participé à différentes actions (think tank, universités populaires) et contribué à différents médias maçonniques (Critica Masonica, Franc-maçonnerie Magazine). Enfin, il est l’auteur de deux essais : L’éthique en Franc-maçonnerie (Numérilivre-Editions des Bords de Seine) et Ethique et Athéisme - Construction d'une morale sans dieux (Editions Numérilivre).

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