Prêtez-moi de la vertu, je rends avec les intérêts.
Le franc maçon est ami du riche comme du pauvre s’il est vertueux. C’est en substance ce que l’on entend et lit un peu partout. Mais c’est l’une des choses les plus difficiles à définir à mon sens : la vertu.
C’est d’autant plus difficile à définir que c’est le masque préféré de tous les vices. Et c’est aussi le drap de légèreté dans lequel s’enveloppe un peu tout ce qui a une communication moderne.
Je vais prendre l’exemple de la Française des jeux (oui oui, le truc qui veut nous faire gratter, cocher, et mutualiser notre apparente richesse matérielle. Nous dépourvoir de nos métaux sonnants et trébuchants en quelque sorte, si j’ose l’image).
La FDJ (l’exacte opposée du tronc de la veuve lorsqu’on y réfléchit) a depuis quelque temps, lancé une grande campagne de communication télévisuelle. Un spot publicitaire de 46 secondes qui, et c’est assez rare pour être signalé, ne fait pas la promotion d’un nouveau jeu (à gratter), ni d’une cagnotte exceptionnelle (c’est d’ailleurs intéressant cette fascination commune qu’exerce l’argent chez les riches comme chez les pauvres). Non ce spot ne promeut (difficile à placer comme verbe, mais tellement agréable dans une conversation) rien.
(Notoriété= rien donc… si « La culture, c’est ce qui demeure dans l’homme lorsqu’il a tout oublié. » Disait je ne sais plus qui, alors la notoriété dans la communication moderne c’est ce qui demeure lorsque le produit n’est pas recommandable)
Oui, on peut promouvoir le rien (et je ne fais aucune allusion à un porte-parole gouvernemental, d’aucune époque).
En marketing des médias, on dit : faire une campagne de notoriété.
Le but étant de simplement implanter la marque dans l’esprit du consommateur. Implanter la marque c’est s’assurer d’être bien vu et reconnu lorsque le consommateur passera devant.
Le produit vendu importe peu, la marque est plus importante que le reste dans ce type d’opération. Et puisqu’il n’y a aucun produit à mettre en avant, il faut faire du story telling.
Le story telling c’est le mot anglicisé pour faire plus “pro” du bon vieux conte pour enfants.
Haaa, on adore ça les histoires. C’est très humain d’aimer les histoires. On aime les histoires avec des rebondissements, des protagonistes qui luttent, une quête pour le bien, du courage, de l’abnégation, bref de la vertu par paquet de 12 sur le marché de notre cerveau.
Depuis les légendes pré antique, en passant par les quêtes arthuriennes, il faut que ça bouge un peu quand on nous raconte une histoire.
Et c’est là que nos amis de la « com » chez FDJ entrent en scène.
Sur un faux plan séquence, on suit deux protagonistes en 2019 et deux protagonistes en 1920 (environ). Les personnages évoluent dans des décors très cartes postales d’un Paris fantasmé (saint-germain des prés, Montmartre, un plan de la gare Montparnasse en 1920, c’est limite si on ne croise pas Amélie Poulain et Adèle Blanc Sec en train de boire un Spritz mangue dans un bistrot bobo du marais), qui se chevauchent passant d’une époque à l’autre, et de personnages modernes à ceux de l’entre-deux-guerres.
Le décorum est important dans ce spot, car c’est lui qui va justifier tout le message. En impliquant des éléments qui ressemblent à de l’histoire, on pousse le spectateur à valider la version de ce « conte », sans même chercher à savoir ce qu’il en est réellement. C’est une convention vieille comme le monde qui veut que l’illustration vaille pour preuve. Essayez d’imaginer Vercingétorix sans une moustache, ou Jules César sans laurier sur la tête…. merci les livres d’histoire de notre enfance (mention spéciale pour le Lavis).
Puis, lorsque le décor est bien planté, le communicant (le conteur) vient implanter son message. Le cerveau oppose moins de résistance lorsque le décor est crédible. En substance il dit ceci : la FDJ a été créée par des gueules cassées de la Grande Guerre, pour mutualiser une sorte de tronc commun, où il y aurait un grand gagnant à cette loterie d’un côté, et des petits gagnant d’un autre. Les fonds restants serviraient à aider les mutilées de guerre comme leurs familles.
L’histoire est très probable. Elle doit être certainement juste en un sens. Un bon communicant sait qu’il faut construire son mensonge avec des vérités. Et nous voilà donc en quelques secondes, avec notre loterie nationale, en entreprise philanthropique aux vertus les plus évidentes. La FDJ mériterait une petite statuette dans une grotte et quelques cierges si possibles. On raconte aussi qu’en présence d’un ticket vierge d’euro millions, des aveugles auraient retrouvé l’usage de la parole. C’est dire.
Paré des vertus qui siéent à telles entreprises, le spot fait son job de campagne de notoriété. Et, il insère à coup de marteau l’idée instantanée que cette « grande maison » (lucrative soyons certain de cela) est une entreprise philanthropique profonde (car inscrit dans son ADN historique). Et on dit merci qui ? (Aucun lien avec deux prénoms commençant par Jackie et finissant par Michel)
Là où le service de communication de la marque a, à mon sens, fait preuve de malhonnêteté intellectuelle, c’est lorsqu’ils font dire à la jeune femme (pour justifier la part historique et incontestable de l’histoire que l’on nous raconte) :
« Je n’invente pas (à son ami), c’est écrit là » (à 15 secondes dans le spot)
Haaaa ben oui, c’est écrit donc c’est vrai. On peut donc considérer que les promoteurs idéologiques d’une terre plate, sachant écrire, et ayant régulièrement écrit sur le sujet, ont, par le fait, obligatoirement raison. C’est écrit qu’on vous dit, n’allez pas discuter, c’est la vérité. Mais qui m’a collé des animaux pareils ?? On ne discute pas, c’est écrit, c’est vrai. Na. Et pis c’est tout.
Je me remémore donc cette phrase : « Bâtir des cachots pour les vices et élever des Temples à la vertu »
Et j’ai le sentiment que j’ai l’exact contraire face à moi. Sous prétexte de rendre quelque chose plus acceptable, on cherche par n’importe quel moyen à faire ressortir un petit bout de sa vertu pour la rendre plus “blanc que blanc”.
On green Wash les pétro sociétés, on rend le café éthique, on donne un visage à notre bouteille de lait (cf. les portraits des agriculteurs sur les packs de lait. Comme si on était un peu responsable du bonheur de cette personne en particulier. Mais pourquoi n’ai-je pas le visage du négociant et du grossiste aussi ? Et le cariste, il n’a pas le droit d’être sur la bouteille ?). Bref on story tell la vertu de surface à tout va. On nous raconte des histoires aux accents de vertus comme l’on saupoudre des herbes aromatiques sur un plat.
- On est là depuis 1886, donc on est une référence de sérieux. (Longévité=sérieux ?)
- On pense à vous avant toute chose. (Vous=notre priorité ?)
- Partageons le bonheur (Partage=Je te donne autant que je reçois ?)
Autant de belles histoires qui font appel à des valeurs que l’on pense être des vertus humanistes, fraternelles et bienveillantes. Mais qui n’en ont que la couleur et décidément pas le gout.
On peut trouver de la vertu en toute chose (les vertus curatives du lavement intestinal par exemple, et pourtant je doute sincèrement de l’agréabilité de l’action) alors je me pose la question : les temples à la vertu que les marchands nous présentent, sont-ils tous forcément vertueux ?
“La vertu, ça vend bien. Prêtez-m’en un peu, je rends avec les intérêts.”
Un communicant