mer 24 avril 2024 - 06:04

La Voie maçonnique : méfie-toi du 2 meurtrier

Les « Frères trois points », voilà comment, dans ma jeunesse, on nous appelait. Nos poignées de main, nos triples baisers, nos trois degrés, l’âge de l’Apprenti, la signature de certains Frères, enlacées des points en question, frappaient les profanes et les politiques nous surnommèrent ainsi ; sans mépris d’ailleurs mais avec humour. Cette coutume s’est estompée avec le recul de l’influence de l’Ordre.Même si le précédent Président de la République ne cacha pas son passage au Grand Orient de France. Ç’est maintenant l’anti-maçonnisme qui retrouve un regain de forme sur les réseaux sociaux. La paranoïa, péché pas mignon de l’être humain, trouve, avec nous, de quoi faire exploser la théorie du complot. Bof ! C’est, à mes yeux, une manière de saluer notre sérieux et un peu aussi notre influence. Et cela nous réveille dès qu’il faut réagir officiellement. Tant que nous resterons en démocratie, avec notre liberté d’opinion et de son expression, ce n’est pas bien grave.
Les initiations de tous poils, hier et aujourd’hui, aiment bien faire chanter les nombres et l’arithmologie se porte bien dès les âges anciens. La Voie maçonnique ne pouvait s’en exonérer. Car les nombres ont un pouvoir évocatoire en chacun, qui n’a pas besoin de grandes explications érudites. Demander à un profane ami : « Qu’évoque pour toi le nombre 5 ? » et il vous produira sa réponse. Je dis bien SA réponse. Car au-delà des sens convenus, comme les âges de chaque degré, chacun folâtre dans son imagination et personne n’a rien à redire à cela. Dussent les maître maçons en symbolisme se fâcher au nom de la tradition (Ah, cette tradition !) et de la régularité. Et les dictionnaires de symboles se rapetisser au rôle de boute-en-train. Certains en ont besoin d’ailleurs pour enflammer leur imagination et leur intuition sur eux-mêmes. Car l’essentiel est dans la recherche et la production personnelles.

Ainsi les nombres que nous aimons bien, après notre chouchou, le 3, sont impairs : le 5, le 7. Et cela continue dans les degrés de perfectionnement :9, 27, 81 ans…Alors que le 4 est mollement mobilisé avec la forme de la loge. Quant aux 6 et au 8, ils ne vivent, le cas échéant, que dans le cœur de ceux et celles qui les ressentent vraiment comme porteurs de message pour eux. Nous avons donc, avec le choix de l’impair, une piste sérieuse de réflexion. Pourtant, me diras-tu, je n’ai pas évoqué le premier nombre impair, l’1 (L’Un serait plus seyant) et le premier nombre pair, le 2. C’est volontaire car ces nombres posent de sacrés questions dans notre développement personnel maçonnique.

Je vais commencer par le 2 car c’est le plus dangereux dans l’emploi que nous en faisons. L’Un, tu le verras, est, à mon sens, une extension envisageable pour demain, dans l’évolution du rituel. Le 2, est, en fait lourd de sens dans nos rituels : les deux colonnes Jakin et Boaz , les deux colonnes d’adeptes, héritières de la disposition de la Chambre des Lords. Mais avec un sens maçonnique qui dépasse, et de loin, la racine historique. Et puis le soleil et la lune qui brillent à l’Orient, au vu et au su de tous. Enfin, l’inévitable pavé mosaïque avec deux couleurs, le blanc et le noir. Il ne figurait pas sur le Tuileur de claude André Vuillaume (1820) pas plus que sur celui de son «  concurrent » François Henri Stanislas Delaulnaye (1813). Une prémonition du gâchis symbolique dont sera et est toujours ce pavé mosaïque.
L’idée simple découle en bonne part de la religion, avec ses fidèles et ses infidèles, ses élus et ses réprouvés . Les mille ans médiévaux ont incrusté dans les têtes cette croyance : tout est d’un côté, le bon ou d’un autre, le mauvais. À partir de là, la découpe de la réalité extérieure et de celui des valeurs devient une évidence. Et l’individu qui fuit la complexité des mondes, trouvent le confort. Ne se range-t-il pas parmi les bons ? Et le confessionnal est prêt à le tirer vers le bien. Laid ou beau, utile ou superflu, profond ou léger, méchant ou gentil, égoïste ou aidant…La liste est interminable : on dérive vite du jugement sur les idées ceux qui portent sur les humains : il y a les amis et les ennemis Mais pourquoi donc ce travers est-il encore si fréquent même si l’époque actuelle est beaucoup plus retenue. Voici mon hypothèse : L’agressivité forte est constitutive à l’hominidé mâle. Mais souvent elle le gêne pour vivre dans un minimum de bonnes relations. Alors la société convient, dans un accord tacite de diviser le monde en deux. Elle est épaulée par le fait qu’il existe deux sexes, que l’on a tôt fait de réputer complémentaires. Pourquoi pas d’ailleurs.

Il est plus difficile aujourd’hui de cisailler le monde en deux. De plus en plus, on admet la complexité ; comme les Chinois l’ont fait depuis longtemps. Mais j’observe que , plutôt souvent, en tenue, la tentation est forte de ce dualisme meurtrier, N’est-il pas un mets de choix pour les belligérants qui se font la guerre. C’est pour cela que je ne suis pas d’accord avec le pavé mosaïque qui fait croire à nos yeux, en permanence que nous sommes comme ceci ou comme cela. Bien sûr j’entends des Sœurs, des Frères me rétorquer « Mais entre les carrés, il y a le liseré bleu ; il montre bien qu’il y a un juste milieu ; puis-je rappeler que dans le Yi Jing, on dénombre 64 situations de vie ? Réduits bien souvent par les Occidentaux au Yin et au Yang, qui, en fait, ne sont que des possibilités extrêmes. La dualité existe certes mais elle doit rester un repère et ne pas s’avachir dans un système de pensée dualiste qui nous emprisonne. Et je me méfie un peu de la citation attribuée à Saint Exupéry et balayant en grand le bas de l’escalier du Grand orient : « Si tu diffère de moi, Frère, loin de me léser, tu m’enrichis ». Certes, certes mais n’avons-nous pas d’abord le devoir de rechercher les ressemblances que nous avons avec des personnes très différentes de nous : un lapon, un animiste, une médium, un zimbabwéen, un croyant orthodoxe ou un anarchiste convaincu. Ce dualisme est entretenu par notre rituel et j’ai entendu comme toi, des déclarations que j’ai trouvées stéréotypées et dangereuses. Je vais prendre un seul exemple en le détaillant pour bien te montrer en quoi ce dualisme qui rôde dans nos loges peut être dangereux.

Si on demande de quel sexe est le soleil, qui ne répondra pas : « mâle » ? Pas beaucoup. Même si en allemand, on dit « La soleil » (Die Sonne). Et la lune, alors devient évidemment féminine. Et de de faire une relation avec les deux officiers qui siègent benoîtement sous les deux astres. C’est évident : l’Orateur, c’est la Loi comme le soleil régit la vie. Quant au Secrétaire, il est le « reflet » de ce qui se dit en tenue comme la lune qui est, selon cette interprétation, soumise au soleil et reflète son éclat. Là le dérapage commence dans le dualisme dur : un supérieur et un inférieur. Alors qu’il y a tout à parier que nos anciens sentaient les deux corps comme égaux. Mais le dérapage dualiste, sans possibilités d’une infinité de positions intermédiaires, va encore s’alourdir. On passe alors à une autre question, qui, comme par hasard, semble en harmonie avec les lectures précédentes : « Du soleil et de la lune, qui est actif, qui est passif ? » Et la boucle inconsciente et solide fait rayonner le maçon, de plaisir symbolique. Bien sûr c’est le soleil qui est mâle (donc) actif et la lune qui est femelle dominée, (donc) passive.
Avec « actif et passif », nous arrivons là à l’acmé du dualisme : une jugement social justifié par une lecture erronée. Depuis des millénaires, les hommes ne cessent d’affirmer qu’ils sont actifs et leurs femmes, passives. Avec les débordements machistes si souvent inscrits dans nos neurones. Voilà le dualisme. Alors que la dualité, la réalité s’expriment autrement, à l’initiative entre autres de Françoise Dolto : la plupart des femmes sont réceptives mais pas toutes ; une majorité d’hommes sont émissifs, mais pas tous. Ce dualisme tend à reculer au profit d’une reconnaissance des « genres ». La dualité homme-femme accueille dans l’espace entre les deux sexes bien définis, les LGBTI. Ouf, quelle respiration. Nous ne sommes plus tenus à nous couvrir des oripeaux des stéréotypes sociaux. Du moins dans les pays moralement ouverts. « Bien sûr, penses-tu, les Francs-maçons n’ont jamais été victime de ce dualisme sur le plan social ; ils sont à la pointe de tous les combats sociaux. Eh bien, non, tu te trompes : jusqu’en 1980, selon l’amendement Mirguet voté en 1960, les homosexuels furent considérés comme des « fléaux sociaux ». Et la question à l’étude des loges du GODF, montrent sans ambages que la moitié des Frères étaient d’accord. Alors soyons prudents en évoquant les progrès sociaux dont nous serions co-auteurs.
Voilà donc un des méfaits du dualisme : le machisme, l’homophobie encore latente. J’ai développé sur une page l’exemple frappant de l’ « actif » et du « passif »car il débouche sur la sexualité, sujet toujours révélateur de nos mœurs. Ce dualisme sert de support de pensée dans tous les domaines : économique, social, politique, scientifique…Cela ne signifie nullement que nous n’ayons pas de convictions bien ancrées en nous. Certes mais à la condition de savoir, par empathie, écouter ce que les autres ont à dire.
Ma Sœur lectrice, rends service à notre communauté : arrache le pavé mosaïque !
Car le 2, chanté dans nos loges, fait trop souvent le lit du dualisme, clivant, cisaillant, intolérant dans le climat bienveillant d’une tenue. En sois-tu remerciée !

1 COMMENTAIRE

  1. Pourquoi arracher le pavé ? Ce sont les interprétations qu’il conviendrait de faire évoluer. Par exemple si les cases étaient énergie et matière ? (en plus deux mots féminin!).
    Faire du réceptif un féminin et du don un masculin, ce n’est pas les rendre l’un inférieur à l’autre, puisque nous sommes les deux et qu’il ne peut en être autrement dans toute relation ; nous le montrons par nos mains en supination et en pronation dans la chaîne d’union !
    Je crois plutôt qu’il faut arrêter de réduire les principes apparemment opposés à la seule différence des sexes biologiques, anecdote destinale. L’espace de la Loge n’est pas un salon où l’on discute, mais le lieu de l’amélioration de chacun vers la compréhension du Réel.
    Le Secrétaire n’est pas le reflet du soleil, cet officier est le reflet des travaux, Il est la mémoire de la loge. Si Moïse n’avait pas été le reflet des Paroles de YHWH, que serait la Bible ? Bien plus, chaque procès-verbal adopté par la Loge après avis de l’Orateur signé par le Vénérable, l’Orateur et le Secrétaire est un recès. …
    Bien fraternellement

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Jacques Fontaine
Jacques Fontaine
Jacques Fontaine est né au Grand Orient de France en 1969.Il se consacre à diffuser, par ses conférences, par un séminaire, l’Atelier des Trois Maillets et par une trentaine d’ouvrages, une Franc-maçonnerie de style français qui devient de plus en plus, chaque jour, « une spiritualité pour agir ». Il s’appuie sur les récentes découvertes en psychologie pour caractériser la voie maçonnique et pour proposer les moyens concrets de sa mise en œuvre. Son message : "Salut à toi ! Tu pourrais bien prendre du plaisir à lire ces Cahiers maçonniques. Et aussi connaître quelques surprises. Notre quête, notre engagement seraient donc un voyage ? Et nous, qui portons le sac à dos, des bagagistes ? Mais il faut des bagagistes pour porter le trésor. Quel est-il ? Ici, je t’engage à aller plus loin, vers cette fabuleuse richesse. J’ai cette audace et cette admiration car je suis un ancien maintenant. Je me présente : c’est en 1969 que je fus initié dans la loge La Bonne Foi, à Saint Germain en Laye, au Rite Français. Je travaille aussi au Rite Opératif de Salomon. J’ai beaucoup voyagé et peu à peu me suis forgé une conviction : nous, Maçons latins, sommes en train d’accoucher d’une Voie maçonnique superbe : une spiritualité pour agir. Annoncée dès le début du XXème siècle. Elle est en train de se déployer et nous en sommes les acteurs plus ou moins conscients mais riches de loyauté.

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