Initier, c’est commencer. Le mot vient du latin initium, qui signifie commencement, sens que l’on retrouve par exemple dans le mot français « initial ». Le dictionnaire de l’Académie française donne pour le verbe initier le sens d’amorcer, engager, mettre en œuvre la phase initiale d’un processus.
L’initiation est donc un commencement.
C’est de ce sens premier, primordial, que dérive le sens particulier qui signifie, comme le précise encore le Dictionnaire « Admettre à la connaissance de mystères religieux et à la célébration du culte sacré ». Celui qui est initié entame une nouvelle phase, accède à un nouveau statut.

Dans de très nombreuses sociétés, l’initiation marque encore de nos jours le passage de l’irresponsabilité de l’enfance aux droits et devoirs de l’âge adulte. On connaît ainsi les rites et les épreuves, les cérémonies, qui marquent l’initiation des jeunes membres de la plupart des tribus du continent africain. Leur initiation fait d’eux des membres à part entière de la société.
Bien qu’il y ait presque toujours une part spirituelle, au cours d’un rituel fondé sur des archétypes mythiques auxquels s’associe l’évocation du divin et du sacré, l’initiation est avant tout un rite de passage profane, qui a ici une fonction d’intégration sociale.
Plus proches de nous non seulement par la géographie mais aussi par le jeu des influences philosophiques et historiques, on peut évoquer ici les initiations de l’ancienne Egypte ou de la Grèce antique.

Les Mystères d’Eleusis étaient les plus importants de ces rites. Le culte sacré se déroulait dans le secret du temple de Déméter, déesse de la fécondité et du cycle des naissances et des morts.
Tout hellène présenté par un parrain pouvait être initié, sous réserve de ne pas être souillé par un meurtre ou toute autre faute grave et notoire. On connaît l’essentiel des rituels de ces initiations, basées sur la symbolique de la mort et de la résurrection.
Surtout, bien qu’il fût possible à tout citoyen grec d’être initié à ces Mystères, ils devaient conserver leur caractère à la fois sacré et secret.
La Grèce antique pratiquait aussi les initiations tribales, ou plutôt civiques. On retrouve également des rites d’initiation parmi les artisans et bâtisseurs admis dans les Collegia fabrorum romains.

Comme leurs devanciers égyptiens et grecs, ils se transmettaient, selon un mode progressif, les secrets des justes dimensions et de la juste orientation des sanctuaires qu’ils érigeaient et décoraient à la gloire des dieux. Ils s’efforçaient de créer le beau et l’harmonieux en respectant les proportions, les angles, les rapports de la Nature elle-même, telle que la divinité les avait déterminés.
Ainsi ce qui était en bas était comme ce qui était en haut. Le microcosme était homothétique au macrocosme.
Quelques siècles plus tard, même si la continuité historique n’est pas parfaitement établie, les bâtisseurs des cathédrales du Moyen-âge ont sans nul doute hérité de ces connaissances sacrées. Ils ont aussi hérité de leur mode de transmission, en en conservant en particulier le caractère progressif.
La transmission se faisait sous le sceau du secret car il convenait que ces connaissances liées à l’essence même du projet divin ne soient pas divulguées à qui n’aurait pas eu qualité pour les connaître. De nombreux documents attestent que ces bâtisseurs, charpentiers, tailleurs de pierre et autres maçons appartenaient à des associations pratiquant des rituels d’initiation, respectant le secret et faisant vœu de solidarité.

Peu à peu, des membres n’appartenant pas au métier furent co-optés au sein des Loges. Clercs, érudits, membres de la noblesse des villes où s’érigeaient les cathédrales et basiliques, ils avaient à cœur de partager la Connaissance qui gouvernait la construction de l’édifice qu’ils avaient commandité. Ainsi les Loges s’enrichirent-elles de membres « acceptés« .
Dans tous les cas, l’essentiel est ce que l’on nomme le rite, c’est-à-dire un ensemble cohérent constituant un enseignement traditionnel, dispensé de manière progressive et discontinue, formant ainsi, palier après palier, un système à degrés.
La méthode initiatique telle qu’elle est par exemple pratiquée dans toutes les loges maçonniques du monde transmet ainsi graduellement à la fois le fond de l’enseignement – son contenu – et la forme traditionnelle qui véhicule cet enseignement – son contenant -.
Cette forme pluri-centenaire, pluri-millénaire même pour certains de ces composants essentiels, est constituée par les rituels correspondant à chaque degré, à chaque grade. Ainsi, le mode de transmission de la Tradition est lui-même inscrit dans la tradition, et le Rite se pérennise.

En fait, en Franc-Maçonnerie les trois premiers, Apprenti, Compagnon et Maître, tirent leur origine de la tradition initiatique du Métier. Les trente degrés suivants, qui permettent la poursuite du cheminement initiatique au Rite Ecossais Ancien et Accepté, ,sont placés sous la direction d’un Suprême Conseil et empruntent davantage aux traditions spirituelles de l’Orient et de l’Occident, et à la tradition chevaleresque.
Quel que soit le degré qu’il est atteint dans son cheminement, le Franc-maçon progresse selon une démarche initiatique qui est une quête spirituelle lui ouvrant, progressivement, la voie vers la Connaissance.
De quelle connaissance s’agit-il ici ?
De la connaissance de soi et du rapport du soi aux autres et au monde, d’une compréhension, d’une perception à la fois intime et profonde, d’une conscience.
C’est aussi la conscience de l’ordre universel, de l’unité de la Création, du caractère absolu du Un – Tout fondamental que les Francs-maçons appellent la Vérité. C’est la Lumière vers laquelle ils s’efforcent de progresser et qui éclaire leur chemin.
Chaque initiation est un passage, l’ouverture à un nouvel espace de la conscience, de la pensée et de l’action.

Mircea Eliade a pu écrire que philosophiquement, l’initiation équivaut à une modification ontologique du régime existentiel. « Ontologique » signifie « essentielle », « fondamentale » : la modification ontologique qu’évoque Mircea Eliade correspond à une transformation de l’être même dans sa façon de voir, de penser et d’agir le monde.
Ce qui est une manière de dire qu’il y a un avant et un après, que l’initiation est bien un passage, un tournant, une mutation. Elle est une mort à l’état antérieur, immédiatement suivie d’une renaissance à un état nouveau. Chaque initiation transforme celui qui la vit.
Le Grand Architecte de l’Univers à la Gloire duquel travaillent les loges traditionelles est confondu avec Dieu pour les uns, considéré comme un principe métaphysique placé hors du champ des religions pour d’autres, ou encore assimilé à l’Ordre cosmique. Mais en tout état de cause, ce principe unique, universel, intemporel, dépourvu de tout caractère anthropomorphique, est créateur de l’ordre universel, organisateur d’un équilibre, d’une harmonie, qui assurent la cohésion et la cohérence de l’Univers, par-delà les désordres contingents, les agitations locales, les soubresauts et les accidents ponctuels.
C’est de cet Ordre universel que prend peu à peu conscience l’initié, en même temps que de son rôle, de sa mission.
L’initiation est ainsi au cœur même de l’éthique, c’est-à-dire relative aux conduites humaines et aux valeurs qui les fondent.
L’initié s’est un jour résolu à se mettre en chemin.
Le chemin de l’initié demeure un chemin individuel, s’il ne saurait être un chemin solitaire.
Peut-être, si l’on donne à cette expression le sens d’une démarche délibérée, volontaire, d’une détermination à se remettre en question, à aller à la recherche de soi.

En effet, la méthode initiatique va conduire le Maçon à découvrir non seulement l’importance de l’écoute de l’Autre, en invitant l’Apprenti à garder le silence, à se taire pour mieux écouter et mieux entendre, mais aussi et peut-être surtout le silence intérieur, qui loin d’être une attitude passive et inerte, permet d’être à l’écoute de l’Etre à l’intérieur de soi. Ce silence actif, cet éveil, cette écoute, conduit à l’Etre intérieur, d’où l’on peut percevoir le Tout, le Un, l’Universel. La démarche initiatique est donc une démarche de l’homme en lui-même, pour lui-même. Elle est en même temps une ouverture aux Autres, à leurs différences, à leurs particularités. Et cette progression, qui lui fait prendre conscience de lui-même, l’améliore, le transforme progressivement et transforme en même temps son rapport à l’autre, aux autres, à l’univers entier.
L’initié, étape après étape, degré après degré, va se construire et contribuer avec d’autres à construire le monde autour de lui, bâtir son temple intérieur et participer au Grand Œuvre, concourir à l’édification du temple de l’humanité, et à l’accomplissement du projet que les Francs-maçons attribuent au Grand Architecte de l’Univers.
La démarche initiatique est donc à la fois individuelle et universelle.
En pleine liberté de conscience, en pleine responsabilité, les Francs-Maçons vont travailler sur eux-mêmes, à leur propre perfectionnement en même temps qu’ils vont contribuer au perfectionnement de l’humanité. Ils œuvreront inlassablement, sans avoir besoin de bannière ni de mot d’ordre, sans espérer de récompense ni dans le présent ni dans une hypothétique vie future. Ils travailleront à créer davantage de justice et d’équité, davantage de vérité, davantage de respect de l’autre, de tolérance et d’Amour.

Ils feront vivre ces valeurs qui ne sont hélas pour beaucoup que des paroles vides de sens gravées au fronton de nos édifices publics et auxquelles nous nous vouons solennellement dans nos Loges : Liberté – Egalité – Fraternité.
Nous pouvons faire ensemble, assurément, le constat que le monde contemporain est en quête de repères, en quête de sens.
Le monde dans lequel nous vivons court le risque de perdre l’essentiel, que sont les valeurs de l’humain. Il est aussi, ce qui n’est peut-être qu’une manière de dire la même chose, en quête de spiritualité, en comprenant bien que ce principe que nous nommons Grand Architecte de l’Univers nous offre le champ infini d’une spiritualité ouverte, qui ne nous interdit ni ne nous impose aucune appartenance, aucune croyance ni aucune pratique.

Il ne s’agit pas d’arriver à un consensus, plus ou moins sincèrement partagé. Il ne s’agit pas davantage de recevoir une vérité qui aurait été conçue par quelque puissance supérieure. Au contraire, il s’agit, en faisant usage d’une méthode partagée, de donner à chacun l’occasion de progresser vers sa vérité, dans ce qu’elle a d’intime, comme dans sa vision de la vérité universelle. Une telle quête, un tel projet, un tel engagement, dont l’objet est le véritable humanisme compris comme une spiritualité universelle, n’a rien de contingent. Elle est émancipation, conquête progressive de la liberté intérieure. La voie maçonnique est aussi la voie qui permet en effet à mesure que l’initié progresse, de conquérir sa pleine liberté de conscience, sa pleine liberté de pensée.
Le Franc-maçon n’est pas asservi à une idéologie mais fondamentalement libre, pour créer davantage de liberté donc de responsabilité, et s’approcher de l’homme réalisé, en harmonie avec la Vérité éternelle et universelle. L’initiation, c’est une longue quête qui amène le Franc-maçon, par une démarche progressive, à la recherche du Bon, du Beau, du Vrai et du Juste. Nous sommes donc Maçons pour cultiver en nous et faire rayonner autour de nous des valeurs, des principes moraux susceptibles d’inspirer et de guider nos choix, nos pensées et nos actes.
La Franc-Maçonne ou le Franc-Maçon, au motif que le rituel, les décors, les appellations des Officiers ou les outils de la Loge perpétuent d’antiques traditions, ne saurait être le défenseur d’un passéisme nostalgique, d’un conservatisme poussiéreux. La Franc-Maçonne ou le Franc-Maçon doit inlassablement œuvrer au progrès de l’homme et de la société. Il doit être un homme de son temps, partager les interrogations de son époque, comme par exemple sur la pollution, l’énergie, mais aussi le respect de la différence et de la dignité de chacun. La Franc-Maçonne ou le Franc-Maçon doit être le gardien de l’éthique, le gardien des valeurs de l’humain dans tout ce que le progrès technologique peut apporter qui facilite, démultiplie, voire rend possible ce qui jusque-là semblait impossible.
il y a des principes fondamentaux dont nous avons choisi d’être, à notre place et à notre office, les défenseurs et les garants.