Ce qui est agaçant avec la pensée occidentale, c’est la dérive du 3e axiome d’Aristote, le principe du tiers-exclu. Ce principe, qui est la base de la logique, stipule que si un énoncé est vrai, son contraire est forcément faux. Bon, ce principe est à l’origine de paradoxes. Ainsi, en raisonnant en termes de vrai et faux, on peut aboutir à des conclusions amusantes. Si j’affirme : « je mens », est-ce vrai ou faux ? Je vous laisse méditer sur la question… Ce principe du tiers-exclu serait à l’origine des mécaniques de conflits. Ainsi, si j’attribue la valeur logique « vrai » à mon propos, tout le reste est forcément « faux ». On a alors un glissement : ce que je dis est « vrai », donc « j’ai raison », et par conséquent l’autre en face de moi « a tort », puisque ce qu’il dit n’est pas « vrai » mais « faux ». Ou plus simplement, ceux qui ne pensent pas comme moi sont dans le faux, et tout sujet qui pense autrement est un ennemi. C’est le fameux : « si tu ne penses/fais pas comme moi, tu es contre moi ». Après, on peut dériver encore un peu : si je suis dans le vrai et que l’autre est dans le faux, je dois amener l’autre dans le vrai, de gré ou de force. Abstrait ? Hum, les Guerres de religion, les évangélisations forcées, l’adoption par la force de modes de vie, le néolibéralisme, ça vous dit quelque chose ? Car c’est là le nœud du problème, quand la croyance supplante la connaissance, et pire, quand la croyance aveugle devient politique. En homme de raison, je ne puis plus accepter que des décisions politiques affectant notre quotidien puissent être basées sur des croyances infondées, sans débat. Et j’accepte encore moins certains comportements, basés sur le fait d’être croyant, sur la croyance ou l’idéologie dominante. Prenons une de celles du moment, l’écologie. A partir du moment où l’on est écologiste, autrement dit, qu’on fait ses achats en vrac, qu’on trie ses déchets et qu’on roule à vélo ou à trottinettei, on est forcément du côté de La Vérité autoproclamée, ce qui se traduit par certains comportements individuels socialement inacceptables de vainqueur, comme l’irrespect du code de la route à vélo… C’est ainsi que j’ai vu une cycliste portant la panoplie de la parfaite écolo, griller un feu rouge, renverser une personne âgée et s’enfuir sans demander son reste. De la même manière, on ne doit pas remettre en cause ni même débattre des principes des écologistes, sous peine d’être catalogué comme appartenant au clan des boomers/climatosceptiques/méchants en tout genre. Non, la moraline ne passe pas, même bio.
A propos de Nietzsche, petite généalogie amusante de la morale verte : l’écologie est née en Allemagne. L’Allemagne, berceau du Romantisme, avec l’idée de la Nature, cet infini que l’Homme, doit chérir et contemplerii ? Euh, pas vraiment. En fait, l’écologie politique (gestion des rejets polluants, préservation de l’environnement etc.) est née dans les années 30, sous le nazisme, avec la théorie du Lebensraum, le fameux « espace vital de la race aryenne ». En effet, selon les théoriciens de la chose, il fallait pour le peuple aryen un espace grand et propreiii. Sans mauvais jeu de mots, au sens propre. On connaît la suite.
Dure quête que celle du Franc-maçon, toujours en quête de la vérité… En attendant, je me méfie toujours un peu de ce mouvement, même si je considère qu’il est plus que nécessaire d’arrêter de rejeter des polluants, d’utiliser des engrais et pesticides toxiques, de consommer des terres rares dont l’extraction requiert des esclaves dans les pays d’Afrique, d’épuiser les ressources ou encore de consommer comme des abrutis. Certes, certaines mesures impopulaires sont prises au nom de l’environnement (avec ce qu’elles peuvent engendrer de révoltes), mais jamais n’ont été remis en cause les modèles socio-économiques en vigueur : temps de travail, fabrication à bas coût en Asie au détriment de l’homme ou de l’environnement, utilisation abusive de l’avion, développement de l’agro-alimentaire industriel, etc. L’industrie reste le plus grand pollueur, plus que la population qu’on sanctionne pourtant sans cesse, et qui, au fond n’a guère de choix. En même temps, ce modèle reste favorable aux classes dominantes. Elles ne vont donc pas remettre en cause une structure leur garantissant pouvoir et profit. En attendant, je continue de passer pour le dernier des salopards en soutenant que le nucléaire est moins polluant (en termes d’émission de gaz à effet de serre) que l’éolien ou le solaire…
Le travail maçonnique nous fait souvent prendre conscience de choses dérangeantes, voire très désagréables. L’Initiation nous amène à mieux voir, mieux comprendre mais aussi, à mieux agir. L’outillage symbolique dont nous disposons nous aide à nous défaire des idées fausses et appréhender le monde avec une certaine lucidité. Peut-être est-ce l’œil que nous voyons sur le Delta lumineux ? En tant que franc-maçon, je ne puis accepter pour vraie une idée ou une hypothèse que je n’ai pas testée ou validée. De la même manière, j’ai appris en Loge à me méfier de ceux qui prétendent connaître La Vérité, même quand ce sont des Frères. Mon parrain m’exhortait toujours à chercher l’esprit derrière la lettre, et je conserve précieusement cet enseignement comme héritage. En fait, à y bien réfléchir, le monde n’est pas fait de blanc et de de noir, mais bien de nuances multiples et infinies. Mais il est très difficile d’adopter une position nuancée dans un monde toujours plus manichéen, polarisé et clivé. C’est d’ailleurs pour cette raison que les régimes autoritaires ne nous aiment pas.
Restons vigilants.
J’ai dit.
i Et si on faisait le bilan environnemental d’un vélo ? Pas très écolo, en fait. Je préfère le cheval, plus écologique, ou les transports en commun, quitte à « faire pitié » aux prétendus nouveaux riches des réseaux sociaux.
ii Ca se voit, que je suis un adorateur de l’œuvre de Caspar David Friedrich ?
iii Je vous invite à lire La vengeance de Gaïa, roman de Jean-Luc Aubarbier, ayant pour cadre les milieux écologistes extrémistes, dans lequel il synthétise les origines sombres de l’écologie politique.
Ah zut pardon Josselin, j’ai précisé dans mon dernier message “Franck” sans faire gaffe que c’était toi l’auteur, pardon pardon 🙂
J’aime vraiment beaucoup la citation de Guy Debord que je ne connaissais pas, je suis allé lire dessus et j’ai trouvé une explication de sa signification, mise en rapport avec Hegel (que je mets à la fin de ce post pour ceux qui aiment se triturer l’esprit avec des critiques de textes philosophiques)*****
Je rejoins l’analyse en question sur le fait qu’il serait intéressant de ne pas même employer les mots de “vrai” ou “faux”… au moins dans notre démarche maçonnique ou tout support, écrit, verbal qui s’y rapporterait.
Bien entendu si sur le plan personnel tu considères que le Platisme (pour ceux qui ne connaissent pas, c’est le fait que les gens pensent que la Terre est plate) est dangereux pour notre société et que laisser des gens penser de cette manière peut amener à des dérives sanguinaires et abominables pour le bien être commun… on peut bien entendu décider d’adopter une position ancrée, unilatérale et binaire combattant cette idée.
Sur le plan personnel je le comprends par contre sur un blog maçonnique ou lors d’échanges en loge, je saisis moins l’idée de dire que certaines idées “sont fausses” et d’autres “sont vraies” (binaires amenant au ternaire ?)
Pour aller dans le sens de ton argumentation, nous pourrions prendre certains penseurs politiques actuels qui prônent le fait de donner la parole à chaque avis, fut-il jugé par la société comme extrême ou délictueux.
Ceux-là argumentent que c’est justement en ne donnant pas la parole, en censurant d’une certaine manière ces discours qu’ils trouvent une racine profonde dans les milieux complôtistes, frustrés et en recherche d’un bouc-émissaire pour canaliser la violence qu’ils ont envie d’exprimer : “on nous empêche de parler, c’est donc la preuve même que nous touchons du doigt la vérité” (même argumentaire que l’antimaçonnisme).
Ces penseurs politiques disent qu’en faisant s’asseoir sur une chaise et devant une caméra un raciste (qui est un délit en France) et en parlant avec lui devant caméra pendant 2h et en le diffusant… on verrait rapidement le fond de ses arguments et en discutant il est possible que le raciste voit d’autres réalités que la sienne… tout en constatant que ses “adversaires” ne sont pas si intransigeants ou diabolisés voire l’écoutent réellement, le considèrent et demandent même à être convaincus si les arguments qu’il amène portent.
On passe du sentiment à la logique et comme beaucoup de ces discours sont basés sur des réactions, des passions, des élans infondés… par la logique ils se désamorcent tout seuls. Et même les embrigadés qui regarderaient ce type d’émission avec l’intervention d’un raciste ne pourraient s’affranchir de certains arguments de la partie “adverse”…
Car une fois que le doute est ancré dans l’esprit et qu’il n’y trouve pas de réponse satisfaisante… il commence à faire son oeuvre et remettre en question la totalité du raisonnement… Même chez les personnes qui n’aiment pas réfléchir, quand on se pose une question restée sans réponse, elle nous travaille et on y pense tout le temps pour peu que celle-ci soit un des piliers de notre façon de voir le Monde.
Et c’est justement en qualifiant “d’idées fausses”, en étiquetant, en combattant sans chercher à comprendre que je pense que l’on donne du bois au feu auxquels ils se chauffent, à la passion qui les entretient.
Psychologiquement le racisme est beaucoup plus profond que le premier degré de lecture qui est : “je trouve que si une dame est noire elle n’est pas intelligente et doit faire de basses oeuvres”. Nous franc-maçons sommes amenés à affûter notre esprit critique, notre fraternité, notre compréhension de l’autre (fût-il raciste) et savoir déceler les deuxièmes, troisièmes, quatrièmes… degrés de lecture…
Bien sûr que je considère le racisme comme une idée fausse, personnellement. Mais je sais aussi que toute personne sensée le comprendrait. Pourtant elles le pensent. Alors pourquoi ?
Une des raisons pourrait être le fait que la personne raciste ne se sent pas considéré dans son entreprise par sa hiérarchie. Que les temps sont durs. Et qu’un jeune venant d’un autre pays, sortant d’une grande école (alors que le raciste n’a pas fait d’études) vient lui ravir ce qu’il considère être “sa place”.
Dire à ce raciste : “tu es bête, tu te bases sur des idées fausses qui ont été démontées scientifiquement il y a des centaines d’années” ne pourra que renforcer le raciste dans sa position. Et c’est faire l’erreur de ne voir (ou considérer) que le premier degré. Quelque part, le raciste il en a rien à foutre du jeune de l’autre pays. Ce qu’il cherche à communiquer, c’est son mal être et toutes les raisons sous-jacentes qui l’ont amené sur cette chaise, dans cette émission, à soutenir des idées racistes.
J’ai l’espoir que les maçonnes et maçons mettent un point d’honneur à non seulement ne pas juger, mais aussi voir les différents degrés de lectures et ne pas céder à la simplification du binaire, détenteurs de qui a la vérité et qui ne l’a pas.
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***** extrait de “8. Le spectacle du passé : Guy Debord et alii” https://books.openedition.org/pum/9141?lang=en
Prenons, presque au hasard, telle citation de Guy Debord thématisant cette question du renversement : « Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux. » (§ 9) Il n’y a pas là que Debord à parler, mais aussi Hegel et Marx, la préface à la Phénoménologie de l’esprit et la postface à la deuxième édition du Capital. En effet, lorsqu’il tente d’expliquer le mouvement spécifique de la dialectique, Hegel montre que vrai et faux s’excluent l’un l’autre, mais trouvent dans leur dépassement une forme d’identité qui en modifie radicalement la teneur, au point de ne faire du faux un moment du vrai qu’à condition de renverser totalement le sens du faux : « Pour désigner le moment de l’être-autre complet, ces termes de vrai et de faux ne doivent plus être utilisés là où leur être-autre est supprimé […] dans leur unité ils n’ont donc plus le sens que leur expression énonce ; c’est justement ainsi que le faux n’est plus comme faux, un moment de la vérité4. » Par conséquent, énoncer comme principe dialectique que le faux est un moment du vrai ne vaut que dans la mesure où faux et vrai prennent un tout autre sens dans leur unité que celui qu’ils possédaient dans leurs « moments » propres. Au sens strict, il faudrait même éviter de les utiliser. Guy Debord, en renversant la formule pour en faire « le vrai est un moment du faux », fausse donc profondément le sens du texte hégélien. En fait, il en renverse même la portée implicite, pour mieux faire saisir la transformation radicale que suppose notre monde du spectacle, « monde réellement renversé ».
Cher Le Coyote,
Les “idées fausses” sont des croyances, dont on a démontré l’invalidité. Il ne m’appartient pas de juger de la pertinence de telle ou telle idée, mais si celle-ci a été démontrée comme fausse, ce n’est pas un jugement de valeur de la considérer comme telle. A l’inverse, dans notre démarche, nous n’approuvons pour vraie que des idées dont nous avons testé la validité. Ce qui implique bien sûr de ne pas juger, mais toujours de questionner ou de s’interroger. Et bien sûr de nuancer.
Pour le racisme, les préjugés et le ressentiment, c’est une autre histoire et un autre registre. Mais qui fait aussi appel à la nuance et à la maîtrise du bouillonnement des passions. Le racisme est aussi une idée fausse, mais le ressentiment que tout un chacun peut ressentir est une réalité non rationnelle, mais qui existe. La responsabilité de chacun est alors de comprendre ce ressentiment, vers qui il s’adresse (ce qui constitue un travail très difficile).
Pour aller plus loin, je t’invite à lire le Syndrome du Pachyderme, de Franck Fouqueray, qui expose les biais de pensée et autres idées fausses auxquels nous sommes tous exposés.
A bientôt!
Bonjour Franck, merci pour le Lebensraum et l’origine de l’écologie politique, je l’ignorais. J’aimerai proposer ma compréhension de deux passages de ton texte, le premier : “L’outillage symbolique dont nous disposons nous aide à nous défaire des idées fausses […]”
J’aime à dire qu’il n’y pas “d’idées fausses” et plutôt les considérer comme une “réalité ponctuelle” (qui n’est pas fausse) perçue par un individu et sans le juger, qu’il ait la totale liberté de penser et comprendre la chose comme il l’entend. Je trouve que la maçonnerie montre avec le damier qu’une vérité ne se trouve ni dans le blanc, ni dans le noir mais à la jonction… grise (ou bleue à l’OITAR) contenant une infinité de couleurs, changeantes à chaque instant, représentant toutes ces versions de la Vérité que nous recherchons.
Et le second passage “C’est d’ailleurs pour cette raison que les régimes autoritaires ne nous aiment pas.”
Quid des implantations GLNF et Gldf en Afrique ou en Asie… particulièrement favorisées par les castes violentes et autoritaires de certains de ces pays où pour réussir il faut forcément “en faire partie” ?
Je te rejoins sur l’écologie bobo-entendue-mode… je trouve d’ailleurs intellectuellement intéressant de s’intéresser au fait que la grande peur actuelle est la Fin du Monde par cataclysme écologique… et qu’à la génération précédente, qui elle aussi polluait à plein régime… La grande peur était toute autre : ce qui ne faisait plus dormir les gens c’était qu’un dirigeant un peu énervé appuie sur un bouton rouge, déclenchant une guerre nucléaire détruisant toute vie sur terre en quelques heures… (et pas dans 12 ans comme l’écologie). Pourtant ces ogives nucléaires et les boutons rouges sont toujours là… Intéressant le comportement humain !
Cher Le Coyote,
Content que mon billet vous ait un peu éclairé.
Je reviens sur les “idées fausses”. Doit-on penser que le créationnisme ou le platisme sont des “idées alternatives” bien qu’elles aient été réfutées depuis longtemps (et qu’elles persistent dans les esprits)? Je sais bien que le vrai n’est qu’un moment du faux (Guy Debord), mais il me paraît hasardeux de ne pas chercher à rectifier ou combattre avec la raison une croyance réfutée.
Pour ce qui est des régimes autoritaires, en Amérique du Sud ou en Europe de l’Est (e.g la Roumanie), les Francs-maçons ont été interdits, persécutés, voire exterminés par les régimes en place. Autant certains utilisent la fraternité comme réseau d’influence (sans travail maçonnique), autant tout ce qui peut représenter un danger pour l’ordre établi comme la remise en cause de l’idéologie du régime en place (donc le travail maçonnique) est éliminé par ledit régime. L’intérêt de la maçonnerie est la liberté de parole. Je me demande ce qu’il en est dans ces loges.