ven 19 avril 2024 - 21:04

Du bon usage du symbole (2)

Quelle est la meilleure manière de s’adresser à tous, et de faire passer un message au plus grand nombre ? Les plus pressés me répondront « un tweet », « une story insta » ou encore une « vidéo Tik Tok », l’idéal étant de rendre le médium viral. Il est vrai qu’un message en 280 caractères ou une vidéo de quelques secondes tournée sur un smartphone sont d’une pertinence frappante. Mais en fait, non. Tout le problème de la transmission réside dans cette équation : conserver la quantité d’information entre l’émetteur, les relais et le récepteur, avec une contrainte d’interprétation de ladite information. Je conçois que mon propos ait l’air un peu technique. Pourtant, quand je m’adresse à quelqu’un, en tant qu’émetteur, je transmets une certaine quantité d’informations, qui vont passer par les ondes acoustiques et être entendues par mon interlocuteur, qui ne recevra qu’une partie de l’information etc. C’est la base même de la théorie du signal : maintenir la bonne quantité d’informations pour transmettre le signal à un bon niveau d’intelligibilité au récepteur. Au-delà de ces considérations physico-mathématiques se pose le problème de la compréhension du message par le plus grand nombre. On parle ici de cohérence. Sans vouloir m’étendre sur les propriétés mathématiques ou physiques de la cohérence, on va dire que la cohérence consiste à délivrer un message intelligible et que les actions découlant de ce message sont en lien logique avec ledit message.

Comme nous ne sommes pas dans un cadre mathématique mais humain, il faut ajouter une composante non chiffrable : l’interprétation. C’est là qu’intervient le symbole. Un symbole n’est jamais que la donnée d’un signifiant, auquel on associe un signifié propre au récepteur du symbole. Le symbole est ainsi équivoque. A ne pas confondre avec un signe, où le signifiant et le signifié sont associés de manière unique et parfois arbitraire. On peut dire que le signe est univoque, contrairement au symbole. Ainsi, les panneaux routiers sont des signes, dont la signification est unique (et normalement simple à comprendre). De cette façon, on voit un feu de couleur rouge, on s’arrête. Bon, même ça, ça semble au-delà de la compréhension de certains, mais c’est une autre histoirei.

Pour en revenir à mon histoire de symbole, on donne un signe aisément identifiable, mais l’interprétation reste sujette à chacun. En un sens, un symbole ou geste symbolique est plus riche d’informations que de grands discours ou des grèves à n’en plus finir. Le geste très symbolique des avocats jetant leur robe aux pieds du Garde des Sceaux en dit plus sur leur rejet des réformes que des grèves ou des arrêts de travail plus ou moins suivis et plus ou moins couverts. De la même manière, nommer à la tête de ministères régaliens des personnalités médiatiques ou politiques contestées, qui pour leurs méthodes de travail, qui pour ses prises de position très rétrogrades voire homophobes, qui pour ses liens avec des milieux pas très recommandables, qui pour ses conflits d’intérêt, qui pour sa situation judiciaire (au hasard, une accusation de violii) envoie un message : l’éthique des vertus, l’exemplarité de l’Etat, visiblement, c’est pour les autres.

Le problème est que ce message est très mal perçu par la base qu’on appelle aussi le peuple (si, vous savez, ce groupe mal connu que nos élites n’aiment pas particulièrement et considèrent de manière dédaigneuse ou péjorative). Donc, le peuple peut y voir pas mal de choses. Ainsi, les féministes voient dans ces nominations un symbole de mépris envers la cause des femmes. D’autres y voient une apologie de la culture du viol… De même, les progressistes voient comme un crachat envers leurs combats dans ces nominations.

Vu sous l’angle symbolique, et ce, en dépit des déclarations des uns et des autres, il y a un symbole : celui, déjà dénoncé par Christopher Lasch dans La révolte des élites, de dirigeants, « touristes dans leur propre pays » déconnectés de la réalité. Le problème posé ici est celui de l’absence de cohérence entre les déclarations et les actions, et le message adressé. Je ne reviendrai pas sur le sens bien connu du symbole, comme élément qui rassemble, etc. D’ailleurs, ce qui risque de rassembler pas mal de monde avec cette histoire, c’est le ressentiment envers les institutions qui permettent à des personnalités contestées, voire dangereuses d’accéder à des postes à responsabilité. Le symbole employé ici est celui du « fait du Prince » ou encore celui de l’arbitraire du pouvoir. Malheureusement pour ceux qui l’emploient sans précautions, l’Histoire a montré combien ce symbole était très dangereux. Comme l’a expliqué Jung, les symboles s’adressent en effet à des parties profondes et non rationnelles de nous-mêmes. En ce sens, ils nous toucheront toujours plus que n’importe quel autre type de message ou de média (car « le média est le message », on le sait tous). Le symbole est bien le meilleur moyen de toucher durablement le plus grand nombre. D’où la nécessité de l’utiliser avec prudence.

« Ici, tout est symbole » nous dit-on lors de la cérémonie d’Initiation. C’est ainsi que nous apprenons à voir, écouter, ressentir le symbole.

J’ai dit.

Addendum: en Loge (du moins, dans mon Obédience), lorsqu’un Frère est mis en examen ou poursuivi en justice (pénale),il doit en faire part à son Vénérable. Selon les cas de figure, il lui est possible de se mettre en sommeil le temps que le jugement pénal soit établi, dans le but de préserver l’Ordre… Bien évidemment, tout doit être fait dans le respect de la présomption d’innocence.

i Voir mon billet sur la violence routière.

ii Il ne m’appartient pas de juger, ni de remettre en cause la présomption d’innocence. Mais comme l’a bien soulevé l’humoriste Tom Villa sur France Inter le 11 juillet 2020, qui irait dîner dans un restaurant soupçonné de problèmes d’hygiène et sous le coup d’une enquête des services vétérinaires ?

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Josselin
Josselin
Josselin Morand est ingénieur de formation et titulaire d’un diplôme de 3e cycle en sciences physiques, disciplines auxquelles il a contribué par des publications académiques. Il est également pratiquant avancé d’arts martiaux. Après une reprise d’études en 2016-2017, il obtient le diplôme d’éthique d’une université parisienne. Dans la vie profane, il occupe une place de fonctionnaire dans une collectivité territoriale. Très impliqué dans les initiatives à vocations culturelle et sociale, il a participé à différentes actions (think tank, universités populaires) et contribué à différents médias maçonniques (Critica Masonica, Franc-maçonnerie Magazine). Enfin, il est l’auteur de deux essais : L’éthique en Franc-maçonnerie (Numérilivre-Editions des Bords de Seine) et Ethique et Athéisme - Construction d'une morale sans dieux (Editions Numérilivre).
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