Dans la Grèce comme dans la Rome antique, dans chaque maison était aménagé un espace privilégié où étaient placées les statuettes des Lares, les divinités protectrices du foyer. Qu’il s’agisse d’un édicule ou d’une surface plane comme un autel, cet espace pouvait être situé, selon la période, les usages locaux ou le goût du maître des lieux, dans différentes pièces, de la domus : le vestibule, l’atrium, la cuisine ou la chambre à coucher, par exemple.
Les images et les statuettes du laraire étaient soigneusement choisies et regroupées dans un cadre intime et domestique fusionnant culte et culture, car il racontait parfois une véritable « histoire », un peu comme la crèche dans la religion catholique, même si, en l’occurrence, il s’agissait là d’une histoire personnelle et non pas collective comme le salut de l’humanité.
Selon la fortune du propriétaire, les Lares pouvaient être en argent, en or ou en bronze ; il pouvait aussi s’agir d’images de marbre, de boîtes en métal précieux cachant quelques souvenirs personnels… Le laraire rassemblait une mémoire hétéroclite qui faisait cohabiter des divinités différentes, des figures illustres comme celles de philosophes ou d’édiles locaux que le maître de maison adoptait comme modèle et référence pour la conduite de sa vie. À travers ses choix il livrait ainsi une sorte de journal à la vue des habitués ou visiteurs de la domus.
Le laraire d’Alexandre Sévère, empereur romain qui régna de 222 à 235, est à cet égard représentatif. On y trouvait, comme le raconte son biographe, l’effigie des empereurs divinisés, mais choisis avec soin parmi les plus grands, dont les âmes étaient illustres pour leurs vertus, comme Apollonius, poète et grammairien, le Christ, Abraham, Orphée et d’autres figures éminentes à côté du portrait de ses ancêtres, autant de témoignages de la spiritualité du propriétaire et de son goût pour les lumières embaumantes des précieuses lampes à huile !
Aujourd’hui encore, ce type de bimbeloterie ou autres objets de porcelaine ou de laque fine, sans compter toutes sortes de mignonnettes, de soucoupes, de vide-poches ou autres, n’a pas vraiment disparu des lieux privés… mais seul le propriétaire en connaît la provenance !
Dès votre entrée chez vos hôtes, il y a fort à parier que vous saurez situer l’endroit qui collecte les objets de protection des lieux, soit du côté du salon sur une petite table juponnée, soit sur une commode rustique ou derrière les vitrines de la bibliothèque, ou encore plus en évidence en levant les yeux sur un mur bien en vue ou dans une niche bien proportionnée : cela va des compas de toutes tailles, des maillets au manche décoré ou à la belle tête d’ivoire blanche et, bien sûr, des presse-papiers portant des figures d’étoiles à cinq branches ou de pélicans affligés. Évidement dans le laraire maçonnique on rencontre fréquemment des piluliers de toutes tailles, décorés de bleu, de vert, de rouge, voire d’aigles bicéphales, ou bien des doigts de mains entrelacés qui évoquent une chaîne d’union, à moins que sur cette étagère d’angle on n’aperçoive des médailles rondes montrant les colonnades d’un temple précédé d’escaliers d’accès et surmonté d’un soleil éclatant sous le faîte triangulaire, et si ce n’est pas un soleil, des guirlandes de lauriers et d’oliviers ou une branche d’acacia au-dessus d’un seul œil fixe et inquiétant.
Qui ne connaît pas, non plus, dans ce laraire, le stylo d’écaille (eh oui, celui qui a sur le côté trois points sertis !) placé près du téléphone dans l’entrée, ou l’ouvre-bouteilles rutilant, à la superbe incrustation d’une équerre et d’un compas entrecroisés, négligemment posé sur le plan de travail de la cuisine ?
Mais, chut ! Soyez discret, à votre première question vous allez être tuilé !
Source : Histoire Auguste. Tome III, 2e partie: Vie d’Alexandre Sévère, notes de : Agnès Molinier-Arbo et commentaire de : Cécile Bertrand-Dagenbach (Les Belles Lettres, Collection des universités de France Série latine – Collection Budé N° 406).