Les personnages de l’union, le Compas et l’Équerre
Le Compas
Une légende raconte qu’à la suite du meurtre de Talos par son oncle Dédale (jaloux de sa découverte de la scie et du compas), « le compas se sauva sur ses jambes pointues », et tombe amoureux de la règle, d’origine céleste car « née des baisers du Soleil et de l’Ombre ». Pour la séduire car elle commence par le repousser, il lui tient ces propos : « toutefois nos amours produiront des enfants qui vaincront le trépas. De nous deux sortira la belle architecture et mille nobles arts pour polir la nature…. Le compas aussitôt sur un pied se dressa, et de l’autre, en tournant, un grand cercle traça. La règle en fut ravie, et soudain vint se mettre dans le milieu du cercle, et fit le diamètre. » Variétés historiques et littéraires, recueil de pièces volantes rares et curieuses en prose et en vers, Tome VII Les amours du Compas et de la Règle, et ceux du Soleil et de l’Ombre, p.293, 1637
Le Compas «conduit et mesure les choses». Il permet en effet de matérialiser les segments que l’on veut reporter ou multiplier, sans pour autant passer par la mesure abstraite des nombres. Si tu ne peux le calculer, montre le.
Le mot compas vient du verbe latin « compassare » qui veut dire : mesurer avec le pas. Cet instrument sert à prendre une mesure pour la reporter à l’identique, traçant ainsi un cercle dont l’ensemble des points se situent à égale distance d’un point appelé centre. Ainsi, le compas délimite le monde mais, aussi, définit ce qu’il contient. C’est ainsi que Dante, dans Le Paradis (XIX, 40-42), désigne le dieu créateur comme : «celui qui de son compas marqua les limites du monde et régla au-dedans tout ce qui se voit et tout ce qui est caché». Le compas est donc symbole de création du monde. Il combine le cercle qui est la figure de l’Infini, avec le point qui représente le début de toute manifestation. En latin, «centrum» est la branche fixe du compas autour de laquelle l’autre pivote. L’éternel et le contingent, l’Origine et l’actuel cohabitent donc dans le symbole du Compas.
Si le cercle est, dès la plus haute antiquité, associé à la création et/ou à un dieu créateur, le compas en Occident, et dès le Moyen Âge, se substitue au cercle : il est l’outil par excellence du créateur.
L’utilisation du compas implique une rotation, donc un mouvement, c’est pourquoi il est perçu comme l’activité dynamique de la pensée et de l’esprit ; la pointe du compas étant la décision, ce qu’il permet de tracer étant la réalisation. Il matérialise également ces vertus fondées sur la mesure que sont la prudence, la justice, la tempérance et la sagesse.
Le compas est au ciel ce que l’équerre est à la terre. En effet chacun de ces deux outils est muni de deux branches, celles du compas sont mobiles concrétisant l’universalité du macrocosme, ainsi capables d’exprimer l’ouverture d’esprit, alors que celles de l’équerre, fixes, sont là pour appeler à la rectitude. «Le compas, instrument majeur de la géométrie et de l’astronomie, permet de cerner les rapports entre macrocosme et microcosme et devient ainsi l’un des outils de l’adepte dans sa quête de la pierre philosophale» (Michael Maier, Atalanta fugiens, 1618).
Symbole maçonnique qui, croisé avec l’équerre, représente la Maçonnerie en général, le compas délimite le champ d’action de l’homme.
Sur le frontispice des Constitutions dites d’Anderson, on peut voir le duc de Montagu, Grand Maître descendant de charge (en 1722), qui transmet au nouveau Grand Maître, le duc de Wharton, lesdites Constitutions avec un compas. Sa présence met en relief l’importance des sciences, de la géométrie en particulier, pour la maçonnerie spéculative à ses origines. Le compas serait le cosmos, l’équerre la science et la raison qui permettent de l’approcher et de le comprendre.
Dans la Confession d’un maçon (1727) le compas est lié au serment de l’initié qui le tient alors piqué sur sa poitrine ouvert à 90° (qui est la mesure de l’équerre). Dans le Régime Rectifié le Vénérable Maître dit à l’initié : «prenez ce compas ouvert en équerre et posez en la pointe avec la main gauche sur votre cœur à découvert… le compas sur le cœur est l’emblème de la vigilance avec laquelle vous devez réprimer vos passions et réguler vos désirs.»
Lié au serment de l’initié, alors ouvert, piqué sur sa poitrine, servant de mise en mémoire par un affect d’un contenu signifiant l’ouverture de conscience. Le Rituel de Swedenborg de 1870 explique : «Ainsi, vous êtes reçu à l’occident avec les pointes d’un compas non ouvert appuyé sur le côté ouest de votre poitrine gauche. La raison morale de cette empreinte sur votre poitrine est de vous enseigner comment ressentir une première impression et comment en produire une en présence de n’importe quel individu.» Le symbolisme moral du compas est aussi exprimé par Bernard Palissy, dans son ouvrage Dessein du jardin délectable : « Le Compas disait : II m’appartient l’honneur [d’être premier des outils] car c’est moy qui conduis et mesure toutes choses ; aussi quand on veut réprouver un homme de sa despense superflue, on l’admoneste de vivre par compas.» (Référence).
Le Compas symbolise ainsi les limites que le Maçon doit s’imposer à lui-même dans ses désirs et dans sa conduite.
Le Compas, après avoir été dominé par la matière, devient au cours du chemin initiatique dominant à son tour ; il a les pointes découvertes et n’est plus protégé. Selon une tradition du compagnonnage, attestée depuis Perdiguier, le compagnon est celui qui sait manier le compas, qui a donc dépassé le stade de l’équerre et acquis la maîtrise du trait. Le mouvement de l’équerre au compas est en fait la traduction du passage symbolico-cosmique de la terre au ciel ou, dit de manière plus maçonnique par le système Émulation, d’une surface horizontale à une vivante perpendiculaire. Notons également que l’Équerre, instrument du Maître de la loge, suggère l’espace, la rationalité et l’immanence, tandis que le Compas, outil du Grand Architecte, évoque le temps, la spiritualité et la transcendance.
Placé sur l’autel du travail, le Compas, parce que de métal, focalise les énergies de la loge vers le Vénérable qui les reçoit et les renvoie chargées de son énergie de sagesse.
Dans la Franc-maçonnerie universelle dite régulière, au premier degré le Compas est toujours associé à l’Équerre et à la Bible ouverte (volume de la Loi Sacrée), formant ensemble les « trois grandes lumières de la Franc-maçonnerie » et dont la présence sur l’autel ou sur le plateau d’orient est une condition expresse de la régularité des loges (un landmark).
Au deuxième degré le Compas marque symboliquement, et tout particulièrement, l’élargissement des cercles de pensée exprimant un franchissement progressif dans les degrés de la connaissance (dans certaines loges il est ouvert à 30° au premier grade, à 45° au deuxième, à 90° au troisième). L’approche ordinale des tracés des figures inscrites dans le cercle, par le compagnon franc-maçon, est une méthode visant à ce franchissement.
Les artistes disposent d’un compas spécial, instrument composé de deux branches fixées entre elles vers le milieu, chacune possédant une pointe à chacune des quatre extrémités. L’astuce est que les deux branches sont fixées de manière à ce que le point de fixage se trouve sur les points de proportion d’or des branches. Ainsi, par une simple utilisation du théorème de Thalès, si on écarte deux des pointes sur un segment, les deux autres pointes correspondront au segment considéré, multiplié ou divisé par le nombre d’or.
On trouve cet outil au 12ème degré de Grand Maître Architecte du REAA.
Le Rav Yehia dévoile avec humour la connaissance de soi avec un compas : L’homme ressemble à un cercle :
Les amateurs de compas s’appellent des circinusophiles.
L’Équerre
L’origine étymologique du mot vient du bas-latin exquadrare, dessiner des angles droits, rendre carré, équarrir (rendre quarré). En latin classique, l’équerre se disait norma, d’où le mot français norme. Outil d’origine compagnonnique, l’Équerre, croisée avec le Compas, forme le plus connu des symboles maçonniques.
Il s’agit d’une pièce, à l’origine uniquement en bois, qui sert à tracer des angles droits ou élever des perpendiculaires. Les traces de cet outil et de sa valeur symbolique peuvent être retrouvées dans la plus haute Antiquité : sur les monuments chaldéens (4500 av J.C.), dans les plus anciens livres sacrés de la Chine, sur les portes des temples en Inde centrale.
Les équerres romanes et du premier art gothique, se présentent comme de fausses équerres, c’est-à-dire qu’il leur manque le côté de l’hypoténuse, ce qui est parfaitement classique, mais les plus anciennes d’entre elles possèdent une particularité remarquable : leurs bras sont de largeurs inégales, et, fait plus étrange encore, les bords n ‘en sont pas parallèles deux à deux, ils convergent et divergent, créant un angle droit interne, situé sur un axe différent de l’externe : ainsi sous l’apparence d’un seul instrument fixe, il y a deux équerres. 1) Équerres à branches de largeur différente et à bords parallèles deux à deux : Ce sont les plus anciens instruments. Ex : Équerre de la construction de la Tour de Babel, dans le Manuscrit Hortus delicorum d’Herrade de Lamberg (1175-1185), Équerre du cloître de la cathédrale de Gerone. 2ème moitié du Xlle siècle. 2) Équerres à bords divergents 2 à 2 : Ce sont les plus intéressantes car les plus inattendues par leurs formes. Elles s’étendent de la fin du Xlle au premier quart du XlVe siècle. Ex : Carnets de Villard de Honnecourt, 1220-1235, B.N., Tombe de Hue Libergier – Reims (après 1263). (cf. Alain Sené. Un instrument de précision au service des artistes du moyen âge : l’équerre. In: Cahiers de civilisation médiévale, 13e année (n°52), Octobre-décembre 1970. pp. 349-358).
L’équerre est devenue l’outil de tout métier de construction. Marquant l’angle droit, l’équerre opérative est un outil de vérification de la taille cubique de la pierre, elle symbolise la perfection fondamentale du carré pour les bâtisseurs. «l’Escarre dit : c’est à moy à qui l’honneur appartient, car, pour un besoin, on trouvera deux reigles en moy ; aussi c’est moi qui conduis les pierres angulaires et principales du coin, sans lesquelles nul bâtiment ne pourroit tenir.» (Bernard Palissy, Dessein du jardin délectable, p.92)
L’équerre ne sert pas pour les tracés qui ne se font qu’avec règle et compas.
Il existe de nombreuses formes d’équerre professionnelle : équerre à épaulement ; équerre d’ajusteur ; équerre à chapeau ; équerre optique équipée de prismes ; double équerre ou té ; équerre graduée ; équerre de charpente dite équerre alsacienne ; fausse équerre ou sauterelle ; équerre à double onglet qui: permet d’obtenir directement les angles ou équerre à pans ; équerre à pinule et à prisme, équerre d’arpenteur. (référence)
Dans la Franc-maçonnerie spéculative, le symbole de l’Équerre est attesté dès 1725.
Portée en bijou mobile, en particulier par le Vénérable Maître gardien de la tradition, elle symbolise le droit, la rectitude de la raison. L’Équerre est considérée comme étant l’emblème de la perfection des travaux d’une loge dont le Vénérable Maître doit diriger toutes les orientations. Elle indique au maçon que s’il remplit avec exactitude tous ses devoirs, il pourra espérer parvenir à la vraie lumière.
Au niveau de la gestuelle, on trouve dans de nombreuses gestuelles la mise à l’équerre. Le signe, après la mise à l’ordre, rappelle au frère ou à la sœur l’obligation de respecter son serment lors de son initiation, il invite à la droiture. Par ailleurs, mettant les pieds en équerre, un frère (ou une sœur) doit toujours avoir en vue l’équité, la justice, la fidélité et l’irréprochabilité dans ses mœurs. Se mettre à l’ordre est l’incarnation même de l’équerre. En effet le maçon se tient droit, il est en équerre par rapport au sol, ses pieds sont en équerre et son pouce forme une équerre par rapport aux autres doigts de la main. L’équerre apparaît dans les signes d’ordre qui doivent tracer l’horizontale puis la verticale, marquant ainsi l’union des complémentaires. Elle représente l’action de l’homme sur la matière comme sur lui-même ; elle est reconnue comme symbole de bonnes mœurs.
Le maniement de l’équerre permet d’approfondir les concepts de droiture, d’équité et d’équilibre. L’utilisation mentale de l’équerre permet de donner aux mots leur sens propre afin qu’ils expriment des idées précises suivant des raisonnements droits. Grâce à l’équerre, le travail des maçons, pierre qu’il est, pourra lui faire bénéficier d’une juxtaposition parfaite sans laquelle la construction du temple serait impossible pour un vivre ensemble harmonieux.
L’équerre, moyen d’établir des figures géométriques d’une parfaite rectitude, est une indication pour la vie de l’adepte ; il se doit d’être d’une droiture sans faille. S’il n’a pas pour ses propres actions cette implacable exigence, il n’obtiendra rien de durable au point de vue moral et moins encore au point de vue initiatique.
Le niveau est constitué par une équerre au sommet de laquelle est suspendu un fil à plomb. Pour cette raison, l’équerre est souvent choisie comme symbole de l’équité. L’équerre qui concilie le symbolisme du niveau du premier surveillant (horizontale = égalité) et celui de la perpendiculaire du deuxième (second) surveillant (verticale = hiérarchie) est donc en maçonnerie l’instrument primordial car elle dirige le dégrossissement de la pierre brute. Autrement dit, elle dirige la formation de l’individu en vue de l’exact accomplissement de sa fonction humanitaire et sociale.
Sur la poitrine du Vénérable Maître la branche la plus longue de l’équerre pythagoricienne se trouve du côté droit ; ceci marque la prépondérance de l’actif (côté droit) sur le passif (côté gauche). L’hypoténuse n’est pas matériellement représentée parce que, du fait de la mort de l’Architecte, le Temple n’est pas et ne sera jamais terminé. Une autre équerre d’origine égyptienne, construite sur le nombre d’or dans les proportions de la grande pyramide, serait un bijou plus authentique pour le vénérable.
C’est parce que son rôle est de former de parfaits maçons que le Vénérable Maître porte l’équerre, outil indispensable pour transformer la pierre brute en pierre cubique.
L’équerre forme avec le compas et le volume de la Loi Sacrée les trois grandes lumières de la Franc-maçonnerie dite régulière.
Remarquons que l’équerre peut symboliser le fanatisme. Le compagnon qui attaque Hiram avec l’équerre est un sectaire, il détient l’outil qui permet de vérifier l’équerrage de la pierre taillée et l’applique à tous oubliant sans doute de se l’appliquer à lui-même.
Les relations d’union de l’Équerre et du Compas
La réunion des formes des outils équerre et compas tracent le carré dans le cercle, la matière entourée du spirituel. Les retrouvailles du corps et de l’esprit peuvent s’appuyer sur la quête de la quadrature du cercle.
Dans la mythologie chinoise, il y a deux personnages Nüwa et son frère Fúxī, «leur queue de serpent formant la partie inférieure de leur corps s’enroulant l’une autour de l’autre. Ils se font face ou se tournent le dos, tenant en main l’équerre (Fuxi) et le compas (Nuwa) qui pourraient symboliser la création du monde.» Les instruments peuvent être remplacés par la lune et le soleil, symboles du Yin et du Yang :
Le Ms Dumfries N° 4 (1700) stipulait que la Maçonnerie était «un travail d’Équerre». Mais n’omettons pas non plus l’importance du Compas qui fut assimilé au Maître de la Loge dans la Maçonnerie anglaise : « Le Compas appartient au Maître » indique le Prichard de 1730. Sur les vieux tracés de loge on peut trouver soit l’équerre seule à l’orient, soit le compas à l’orient et l’équerre à l’occident. Ainsi, sur certains Tableaux de Loge (comme sur celui de Pérau 1745) l’Équerre est représentée seule sans les luminaires. Pas de présence de compas. Le compas fera son apparition ultérieurement. Comme l’Équerre est représentée originellement à l’Orient, en opposition, le Compas sera représenté à l’Occident. D’abord séparés, en les rassemblant on obtient la configuration contemporaine.
Pour Michel Koenig, Newton a voulu «qu’au symbole du Grand Architecte cosmique, symbolisé par le compas, réponde en miroir la figure humaine du petit architecte maniant l’équerre, symbolique de la construction matérielle». Leur alliance se retrouve dans l’entrecroisement de leurs branches, ce qui donne son identité, depuis près de trois siècles, à la Franc-maçonnerie symbolique.
Les deux éléments principaux de la géométrie sacrée, le cercle et le carré, dans leur action de se subdiviser, donnent naissance aux trois racines sacrées. Les racines sont considérées comme des puissances génératives ou des puissances dynamiques à travers lesquelles des formes apparaissent et changent en d’autres formes.
Dans les rites les plus courants, sauf au RER traditionnel, parfois ouvert à 90°, au grade de maître, le compas est placé sur l’équerre. En se libérant de l’équerre, le compas fait passer le franc-maçon de la matière à l’esprit tout en exprimant l’équilibre entre la matière et l’esprit.
Si la Grande Loge des Anciens a représenté les outils du métier dispersés sur le frontispice d’Ahiman Rezon, le Three Distincts Knocks de 1760 rassemble l’équerre et le compas sur la Bible.
La variation de position de l’équerre par rapport au compas, au fil des degrés, est spécifique des formes maçonniques dites anciennes.
L’équerre est souvent en bois et rappelle les forces telluriques. Le compas est en métal et rappelle les forces électriques. En général sur les tapis de loge, les pointes du compas sont dirigées vers l’occident, celles de l’équerre vers l’orient. Mais là aussi, on trouve des variantes. Au Rite émulation, contrairement au rite REAA, l’autel des serments étant placé sur le bureau du vénérable et dirigé vers le lui, équerre et compas sont positionnés vers le regard du Maître de Loge.
L’équerre indique le carré, le compas indique le cercle. De leurs positions respectives, découlent des enseignements sur les relations de prégnance entre le matériel et le spirituel propre à chaque grade. «L’Homme est sa propre règle, il s’identifie à l’équerre.C’est pourquoi les 3 modes d’enlacement de l’équerre (image de l’Homme) et du compas (symbole du Grand Architecte) expriment la triple étape de l’identification du premier au second» (Robert Ambelain, Symbolique maçonnique des outils, Scala Philosophorum).
L’équerre, c’est la terre, le monde matérialisé, ce qui correspond à tout ce qui va et doit disparaître. Le compas, pour les rites déistes, représente la divinité ou le GADLU, le principe créateur universel (si clairement illustré par William Blake avec la représentation gnostique d’Urizen, l’Ancien des jours mesurant et repoussant l’obscurité), tout ce qui échappe à l’homme comme le ciel qui est imposé à l’homme. L’entrelacement de ces outils au grade de compagnon, icône du degré recouvrant des valeurs humanistes et universelles, montre, cependant, l’insuffisance de sa perfection à celui qui n’a pas encore réalisé en lui l’Homme universel, but de son travail. Le compagnon doit accomplir la pierre cubique à pointe et devenir, par cela même, un compagnon fini, un maître. D’un point de vue géométrique, l’entrecroisement met l’accent sur le fait que ce sont les intersections des lignes tracées par l’usage alterné de ces deux instruments qui produisent le tracé servant de base à toute œuvre. Le compas ferait alors référence à l’unité qui contient tous les possibles et l’équerre à la réalité déterministe et duale que nous produisons.
Au Rite Français Traditionnel dit de Roettiers de Montaleau, le compas n’est pas avec l’équerre : le compas est ouvert à 90° sur le plateau du Vénérable et l’équerre est sur le coussin bleu au pied de la chaire où s’agenouillent les impétrants.
Aux rites égyptiens, la règle est toujours associée, dans différentes positions, aux deux autres outils ; ce sont les «vivants symboles» [joyaux de la Loge] comme dit dans le contenu du serment que doit prêter l’apprenti entrant. «Et en cela, que le Grand Architecte de l’Univers me soit en aide et les vivants symboles que je touche de ma main.»
Rite Émulation. Quand vous avez été reçu apprenti les deux pointes étaient cachées. Dans le deuxième grade, l’une était découverte. Dans celui-ci les deux sont exposées pour signifier que, dorénavant, vous êtes libre de travailler avec les deux pointes afin de compléter le cercle de vos devoirs de maçon.
Dans les catéchismes maçonniques antérieurs (Rituels du Mot de maçon), le compas symbolisait YHVH (Éternel) qui était apparu à Jacob au sommet de l’échelle céleste (Genèse 28,13), échelle céleste à laquelle Jésus de Nazareth avait précisément comparé, par avance, la croix sur laquelle il mourrait (Jn 1,51 et Genèse 28,11-13) ; et l’équerre symbolisait cette croix.
Oswald Wirth en parlant de son frère Albert Lantoine : «L’instrument de vérité, qui trace des cercles et mesure avec minutie, le maintient dans le domaine du strict positif et lui interdit de sacrifier au rêve des légendes. L’équerre lui prescrit, d’autre part, l’équité la plus rigoureuse : aucune partialité, ni complaisance pour les amis, ni prévention à l’égard des adversaires » (Lettre au souverain pontife / Albert Lantoine ; préface par Oswald Wirth).
Entre Équerre et Compas, c’est là où se retrouve tout maître maçon comme il est dit dans le catéchisme de maître : Si un maître était perdu où le retrouveriez-vous? Entre l’équerre et le compas, lui étant impossible de s’en écarter, car c’est le chemin de la vertu et de la probité ou encore parce que l’un et l’autre sont les symboles de la sagesse et de la régularité. Lire le texte de René Guénon La grande triade, p.118 . On ne peut nier qu’il existe un conflit entre le sacré et le profane dans les approches initiatiques. L’homme accompli est au milieu. Il serait dangereux de tout vouloir sacraliser, l’histoire des religions en livre de tristes exemples. Mais aller jusqu’au bout du profane est une autre forme de totalitarisme, alors le sacré revient de manière destructrice par des manifestations d’intégrisme. C’est pourquoi l’homme, et le franc-maçon tout particulièrement, doit être au milieu du profane et du sacré, au centre du conflit sacré-profane, il doit réussir une alliance d’univers et une alliance d’humanité dans ce que Mircea Eliade appelle une kratophanie et que les francs-maçons appellent entre-équerre-et-compas.
L’équerre définit le plan géographique, le compas celui du ciel. À partir de là, les espaces sacrés s’offrent sous deux perspectives, tantôt de profil (pyramide, montagne, axis mundi, ou toute verticalité spirituelle), tantôt comme variété planaire (temple excluant l’illimité profane, lieux saints, autel, tapis de Loge, ou toute enceinte réservée). Vu en plan, l’espace sacré croît en sainteté au fur et à mesure que l’on y pénètre. Cette pénétration projette simplement la montée vers le sacré (pour mieux comprendre cette convergence, lire Michel Serres, Les origines de la géométrie, entre autres p.130 et 131, éd. Champs Flammarion, 1993).
À remarquer qu’un compas peut remplacer une équerre pour le tracé d’un angle droit, une équerre ne tracera jamais un cercle.
En Alchimie, bien avant la Franc-maçonnerie spéculative, l’équerre (la rectitude, le travail sur la matière) est associée au compas (l’esprit) comme on peut le voir sur une gravure de Basile Valentin illustrant en 1659 l’androgynie dans son traité Azoth, ou le Moyen de faire l’Or caché des Philosophes (qui a servi d’illustration de l’article).