dim 24 novembre 2024 - 12:11

Trois points et puis c’est tout ∴

Pourquoi trois points ?

Dans les arcanes spirituelles, on trouve les trois points en kabbale où ils sont utilisés triangulés, en remplacement parfois du tétragramme (des 4 lettres, ils n’en retiennent que 3 primordiales, la lettre hé apparaissant deux fois, le targoum chaldaïque le rend  par trois yod, ייי). Dans l’alphabet hébraïque, le ségol est la voyelle «é» écrite par 3 points (אֶ se prononce [ɛ], comme brève). Cette structure qui n’est pas une lettre, symbolise par sa forme (un triangle dont le sommet se dirige vers le bas) le parfait équilibre de l’être au sein de l’harmonie universelle. Le Ségol inversé (un triangle dont le sommet se dirige vers le haut) est appelé le ségoltah, il forme avec le ségol la Maghen David, l’étoile ou le bouclier de David, symbole du libre-échange entre notre monde et les Mondes spirituels[1].

Pour Reuchlin, les trois points sont à mettre en relation avec les trois plus hautes séphiroth de l’Arbre de vie, Kéther, Hochmah et Binah. Le mysticisme maçonnique les identifie au ternaire Sagesse, Force, Beauté.

Cependant, Albert G. Mackey écrit dans son Encyclopédie de la Franc-MaçonnerieLes trois points  ne sont pas un symbole, mais simplement une marque d’abréviation. La tentative, donc, pour le faire remonter aux trois yods hébreux, un signe kabbalistique du Tétragramme, ou tout autre symbole ancien, est futile. Il est une abréviation, et rien de plus ; bien qu’il soit probable que l’idée était suggérée par le caractère sacré du nombre trois comme nombre maçonnique, et ces trois points pourraient faire référence à la position des trois officiers d’une loge française. Pourquoi pas ? Mais s’ils ne sont qu’abréviation, alors il y a contradiction dans le propos d’Albert Mackey qui suppose également qu’ils renverraient à un sens sous-jacent et donc symbolique ! On n’échappe pas en Franc-Maçonnerie au symbolisme ! Alors place des officiers, ternaire SFB, ou plutôt delta lumineux ?

Les trois points disposés en triangle équilatéral, ou triponctuation sont encore aujourd’hui employés pour identifier une signature comme celle d’un franc-maçon, ce qui a valu aux maçons d’être appelés «frères trois points».

Les trois points proviendraient du compagnonnage où ils paraissent avoir symbolisé le triangle. L’Union Compagnonnique a conservé l’usage des trois points en triangle, alors que la Fédération Compagnonnique utilise les trois points placés en équerre. Enfin, l’association Ouvrière a abandonné la triple ponctuation pour un point unique après chaque initiale.

La forme des trois points n’est pas toujours en triangle dans les signatures des francs-maçons, notamment on note trois points en ligne entre deux traits en 1760 (les deux traits représenteraient les 2 colonnes)[3]. Cependant dès 1701, à Brest, l’huissier René Le Corre signe avec trois points en ligne entre deux traits[4].

Ragon dit que la marque a d’abord été utilisé par le Grand Orient de France dans une circulaire du 12 août 1774, dans laquelle on lit “G∴O∴ de France.”[2]

En 1764, le 18ème jour de la 3ème semaine de mai, sur le Livre des registres de la respectable loge de la Concorde à l’Orient de Beaucaire, la triponctuation apparaît déjà pour abréger des mots[5]. Mais l’orientation de la forme triangulaire n’est pas fixée, le sommet est dirigé tantôt vers le haut, tantôt vers le bas. À la même époque, en Italie on utilise seulement deux points à cet usage[6]. Qu’importe la forme pourvu qu’il y ait des points !

En même temps qu’il devenait l’un des éléments de la  signature, ce ponctème fut fixé en forme triangulaire, sans doute pour des raisons d’ordre symbolique[7] (comme on le voit sur  la signature de Lafayette sur le tableau de la loge Les Trois Jours, 1832 ; on remarquera l’abréviation du mot loge  sous forme de rectangle)

Cette figure a été introduite dans les imprimés à partir de 1775, (après être apparue vers 1771 et sera généralisée à partir de 1820), pour marquer une abréviation de certains mots appartenant, certes, au vocabulaire profane mais qui sont utilisés de manière spécifique en Franc-Maçonnerie.

Il est d’usage, dans l’échange écrit, d’utiliser, pour les mots symboliques, des abréviations, écrites avec majuscules et suivies de trois points disposés en triangle. Les initiales doivent être réservées aux mots symboliques. Pour marquer le pluriel, on double la lettre initiale : Frères, Sœurs : FF∴, SS∴Ainsi, les officiers apparaissent dans les textes comme : Vén∴ (Vénérable), Orat∴ (Orateur), Secr∴ (secrétaire), Surv∴ (Surveillant), Gr∴ Exp∴ (Grand expert), M∴des Cér∴ (Maître des Cérémonies), Très∴ (Trésorier), Hosp∴ (Hospitalier), Couv∴ (Couvreur). En signe de grand respect envers les dignitaires, on triple les premières  lettres, exemple : Très Puissant Grand Commandeur : TTT∴ PPP∴GGG∴CCC∴

On trouve même la triponctuation associée avec  l’abréviation du mot Loge (sous forme de rectangle) comme sur la tombe de Théodore Verhaegen[8]

Au «Rite Moderne d’Adoption» les trois points sont remplacés par cinq points.


[1] Éric Daniel El-Baze, Les Racines de l’existence, La Kabbale du dévoilement, à partir de la p.55 :  idoc.pub/documents/idocpub-klzoo5d15g4g

[2] P. 785 : archive.org/details/MackeyAGEncylopediaOfFreemasonryVols121914_201705/Mackey A G – Encylopedia Of Freemasonry Vol 2

[3] à partir de la page 283 de La franc-maçonnerie en France des origines à 1815 de Gustave Bord : gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57547726/f315.item

[4] André Kervella, Aux origines de la Franc-Maçonnerie française, 1889-1750 : persee.fr/doc/dhs_0070-6760_1997_num_29_1_2208_t1_0618_0000_4

[5] P. 5 : archives-pierresvives.herault.fr/ark:/37279/vtaa740c6ab547f24cf/daogrp/0 .  

[6] Ibid, p. 39

[7] Probablement issues du delta lumineux.

[8] mvmm.org/c/docs/verhaegenf.html

2 Commentaires

  1. Me permettez-vous une remarque en deux points (en trois points, ce serait trop facile !) :
    -les trois points peuvent ainsi symboliser la Trinité : mon père m’a souvent raconté que dans sa jeunesse à Paris il y avait (entre 1925-1928) un administratif de l’école Turgot qui passait pour FM car il ajoutait toujours trois point (en triangle, comme “les nôtres”). Rencontré après guerre, il n’utilisait plus les trois points. Mon père (FM depuis 1932) lui en demanda “naïvement” la raison. L’autre lui dit qu’il faisait alors partie un organisme catholique d’évangélisation, et les trois points symbolisaient leur attachement à la Trinité.
    -Pour le carré voulant dire “Loge” sur la stèle du F:. Théodore Verhaegen, il s’agit tout simplement de la lettre “L” (L pour Loge) de l’alphabet maçonnique – (un carré avec un point au centre) – Au pluriel, “loges” s’écrit avec 2 carrés entrelacés … et le carré devient parfois un “carré long”… comme c’est le cas ici…. -Pour la clef de cet alphabet maçonnique, voir tout simplement “La symbolique maçonnique de Jules Boucher.

    • Le “L” n’est pas toujours codé par un carré avec un point. Différents alphabets de cryptage ont été utilisés à des époques différentes et dans des pays différents. Certes, dans certains écrits, l’abréviation du mot “Loge” est la lettre L codée en alphabet dit français de 1804 (dans lequel on remplace l’absence de lettres j par le i ; k par le c ; v et w par le u), figurée par carré (ou un rectangle) avec, ou pas, un point en son milieu. Mais il existe des variantes.
      450.fm/2021/09/02/le-chiffrage-de-lalphabet-maconnique/

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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