dim 21 décembre 2025 - 18:12

Londres : quand la discrétion devient soupçon, la Metropolitan Police impose la déclaration, la GLUA riposte en justice

À Londres, la lumière institutionnelle se fait projecteur. En ajoutant la franc-maçonnerie à la liste des “associations à déclarer”, la Metropolitan Police prétend renforcer la transparence ; la Grande Loge Unie d’Angleterre (GLUA), elle, dénonce une mesure discriminatoire et ouvre le front judiciaire. Entre exigence d’impartialité et liberté d’association, le bras de fer révèle une question plus vaste : quand la discrétion devient-elle, aux yeux de la cité, un soupçon ?

Il y a, dans cette affaire, une scène très londonienne : d’un côté la police, qui veut regagner la confiance du public en élargissant son arsenal de transparence ; de l’autre, la franc-maçonnerie, qui y lit une stigmatisation moderne, une lumière braquée comme un interrogatoire sur une appartenance licite. Et, entre les deux, la presse britannique – tantôt torche, tantôt loupe – animant un vieux débat sur les “réseaux”, la loyauté et l’impartialité.

Les faits, au cordeau des dates

Tout démarre publiquement fin septembre 2025, quand la Metropolitan Police (la Met) ouvre la porte à une évolution de sa politique dite des declarable associations : les organisations dont l’adhésion devrait être déclarée, parce qu’elle pourrait créer des conflits de loyauté, ou nuire à la perception d’impartialité. La discussion prend feu dans l’espace médiatique, notamment après une charge très hostile publiée par The Spectator (« There’s something vulgar about Freemasons »), qui plaide explicitement pour que les policiers déclarent leur appartenance.

Freemasons’ Hall

Le 11 décembre 2025, la Met tranche : la franc-maçonnerie est formellement ajoutée à la liste des « associations à déclarer ».

Désormais, les policières, policiers et personnels (présents ou passés) doivent déclarer toute appartenance à une organisation « hiérarchique », à « adhésion confidentielle », et dont les membres sont supposés « se soutenir et se protéger ». La Met insiste : ce n’est pas une interdiction d’être franc-maçon ; c’est une obligation de transparence, intégrée aux procédures (notamment de vetting). Elle s’appuie sur une consultation interne : environ deux tiers des répondants jugent que cette appartenance affecte la perception d’impartialité et la confiance du public.

Le 17 décembre 2025, la réponse maçonnique change de registre : on passe du communiqué au prétoire

The-Order-of-Women-Freemasons-Womens-Freemasonry-Nationwide

L’UGLE (United Grand Lodge of England), agissant aussi pour l’Order of Women Freemasons et la Honourable Fraternity of Ancient Freemasons – les deux obédiences féminines –, envoie une letter before claim : étape formelle avant une judicial review (contrôle juridictionnel) si la Met ne suspend pas sa décision. L’UGLE qualifie la mesure d’“illégale, injuste et discriminatoire” et vise notamment le droit des données (protection des données), l’égalité, et l’atteinte aux droits des membres.

Notons que la Met Police Federation (syndicat représentatif) s’est aussi publiquement opposée à la décision, la jugeant “inutile” et “erronée”, et invoquant un risque d’atteinte aux droits protégés par la Convention européenne des droits de l’homme (vie privée et liberté d’association).

Le rôle de la presse : du vieux soupçon à l’actualité brûlante

L’élément décisif, ici, n’est pas seulement la décision administrative : c’est la manière dont la figure du franc-maçon redevient, dans certains titres, un personnage de roman judiciaire – le “frère” qui “protège”, le réseau qui “pèse”, l’entre-soi qui “corrompt”. The Spectator cristallise ce vieux réflexe culturel : rendre l’Ordre responsable, par nature, d’une possible déviation de quelques-uns.

En face, la riposte est collective et structurée : le Council for Freemasonry (créé en juin 2024 pour répondre plus vite et plus fermement aux attaques publiques, en incluant la maçonnerie masculine et féminine – mais pas les mixtes ! – en Angleterre et au Pays de Galles) conteste les “déformations” et rappelle la stratégie d’ouverture engagée depuis des décennies.

On voit donc une mécanique médiatique classique : un article “d’opinion” agit comme étincelle ; la consultation policière devient sujet national ; puis la décision du 11 décembre transforme la controverse en affaire de droits – et enfin la judiciarisation du 17 décembre installe durablement le conflit dans le calendrier.

Ce que veut la Met, et ce que redoute l’UGLE

Côté Met : l’argument central est celui de la confiance. La Met explique viser les “organisations hiérarchiques” susceptibles d’influencer l’impartialité ou de créer des conflits de loyauté. Elle affirme que d’autres organisations pourraient être ajoutées à l’avenir si l’information le justifie.
Dans les articles britanniques, cette logique est souvent reliée à l’arrière-plan des scandales et enquêtes qui ont entamé la crédibilité de la Met : l’institution veut montrer qu’elle traite aussi les soupçons “structurels”, y compris ceux qui flottent depuis longtemps autour des réseaux maçonniques.

Côté UGLE : la ligne est inverse : la mesure “colle une présomption” sur une appartenance licite, et crée un fichier de fait. L’UGLE insiste sur le caractère disproportionné et discriminatoire de l’étiquetage “hiérarchique et secret”, conteste la méthode de consultation, et affirme que la décision peut contrevenir à des principes d’égalité et de protection des données.

Et c’est là que le symbole prend la main : la Met dit “transparence”, l’UGLE entend “marquage”. La Met parle d’“impartialité”, l’UGLE répond “liberté d’association”. Dans le langage initiatique, on dirait que l’on confond la discrétion – vertu du silence juste – avec le secret – soupçon d’ombre. La nuance est morale avant d’être administrative.

Le précédent historique : ce retour n’est pas neuf

Le Royaume-Uni a déjà connu, dans la sphère police/justice, des tentatives de déclaration ou d’enregistrement de l’appartenance maçonnique.

  • En mars 1997, le Home Affairs Committee publie un rapport sur la franc-maçonnerie dans la police et la justice, recommandant une forme de registre (dans une logique de transparence).
  • Vers 2000, le débat se durcit autour de la faible réponse des policiers aux dispositifs volontaires (la presse de l’époque, dont The Guardian, évoque explicitement l’hypothèse de mesures plus contraignantes).
  • Dans la magistrature, on retrouve l’idée de déclaration : le gouvernement britannique confirmera plus tard qu’à partir de 1998, les nouveaux candidats retenus pour des fonctions judiciaires/magistrature devaient déclarer s’ils étaient francs-maçons – dispositif finalement abandonné après réexamen (annonce de 2009).

Donc oui : la controverse actuelle a la forme d’un éternel retour

La question n’est jamais “les francs-maçons sont-ils partout ?” (question fantasmatique) ; elle est “comment une démocratie règle-t-elle le conflit entre apparence d’impartialité et droits individuels ?” Et comment éviter que la politique publique se fasse sur une silhouette d’épouvantail ?

Ce qui se joue maintenant : un bras de fer juridique… et un test philosophique

La judicial review annoncée par l’UGLE est un moment-clé, car elle force l’État (via la police) à justifier la proportionnalité de la mesure : pourquoi la franc-maçonnerie, à quelles conditions, selon quelles preuves, avec quelles garanties de traitement des données, quels accès, quelle durée, quels recours ?

Et surtout : quel message politique cela envoie-t-il ? Dans l’imaginaire collectif, déclarer une appartenance peut vite basculer du registre “conflit d’intérêts” au registre “suspicion morale”. Autrement dit : on croyait protéger l’institution, on risque de fabriquer une catégorie de personnels “à risque”, par étiquette.

La franc-maçonnerie – qui travaille précisément la rectitude (l’équerre), la mesure (le compas), et l’exigence d’une loyauté supérieure à soi – ne peut pas ne pas entendre le paradoxe : on lui reproche, en bloc, ce qu’elle demande à chacun de surveiller en lui-même. Mais la police, elle aussi, se tient sur une ligne de crête : dans une institution fragilisée, la moindre zone d’ombre devient une rumeur qui ronge.

Ce dossier n’est pas un fait divers !

C’est une épreuve de balance, une pesée des âmes institutionnelles autant que des procédures. Si la justice valide l’obligation, la franc-maçonnerie devra apprendre à vivre sous déclaration sans perdre son intériorité, c’est-à-dire sans laisser le regard administratif réduire une voie de transformation à un simple “lien d’influence”. Il lui faudra rappeler, sans se crisper, que la discrétion n’est pas le secret, et que l’engagement fraternel n’abolit ni la conscience ni la loi. Si, au contraire, la justice censure la mesure, la police devra trouver d’autres chemins pour retisser la confiance sans créer de catégories suspectes par principe, sans confondre prévention et stigmate, sans nourrir l’idée qu’une appartenance licite équivaut à une présomption.

UGLE

Dans les deux cas, Londres renvoie à une vérité initiatique que nos sociétés oublient volontiers.

On ne gagne pas la clarté en désignant des ombres, on la gagne en se rendant digne de la lumière. La transparence n’est pas une chasse, c’est une méthode ; elle ne vaut que si elle s’accompagne de garanties, de proportion, de discernement. Car le danger, ici, n’est pas seulement juridique : il est symbolique. Dès qu’une institution publie une liste, elle fabrique un imaginaire. Dès qu’elle exige un aveu d’appartenance, elle installe, même malgré elle, un soupçon de nature. Or la vraie question demeure la seule qui vaille : non pas “à quoi appartiens-tu ?”, mais “comment agis-tu ?”.

C’est à l’aune des actes, et non des cercles, que se mesure l’impartialité ; c’est dans l’épreuve quotidienne, et non dans la rumeur, que se prouve l’intégrité. Et c’est peut-être cela, finalement, que ce bras de fer oblige à redire : la loyauté au bien commun – patiemment, humblement, vérifiable – doit l’emporter sur toutes les appartenances, y compris les plus respectables.

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Charles-Albert Delatour
Charles-Albert Delatour
Ancien consultant dans le domaine de la santé, Charles-Albert Delatour, reconnu pour sa bienveillance et son dévouement envers les autres, exerce aujourd’hui en tant que cadre de santé au sein d'un grand hôpital régional. Passionné par l'histoire des organisations secrètes, il est juriste de formation et titulaire d’un Master en droit de l'Université de Bordeaux. Il a été initié dans une grande obédience il y a plus de trente ans et maçonne aujourd'hui au Rite Français philosophique, dernier Rite Français né au Grand Orient de France.

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