De notre confrère algerie360.com
Dans les ruelles discrètes du quartier de Jendel, à Aïn Defla, wilaya centrale de l’Algérie, une affaire aux relents de superstition et de lucre a secoué la quiétude locale. Une femme septuagénaire, âgée de 70 ans, a été interpellée par la brigade judiciaire de la localité pour pratique de sorcellerie et d’activités occultes. Présentée devant le parquet compétent, elle fait face à un dossier pénal accablant, révélant un commerce clandestin mêlant rituels mystiques et gains financiers substantiels.
Cette arrestation, survenue fin novembre 2025, met en lumière un phénomène persistant en Algérie : la sorcellerie comme business occulte, où la détresse humaine se monnaye en talismans et en potions. Explorons les contours de cette affaire, ancrée dans un contexte socioreligieux complexe, et ses implications plus larges.
Chronologie de l’arrestation : une perquisition révélatrice
L’opération a été menée avec une coordination exemplaire entre les forces de l’ordre et le parquet d’Aïn Defla. Selon les autorités locales, les enquêteurs ont agi sur la base d’informations précises signalant des activités suspectes au domicile de la suspecte. Lors de l’intervention, les agents l’ont surprise en flagrant délit, entourée d’un arsenal ésotérique témoignant d’une pratique assidue.
La perquisition a permis la saisie d’objets éloquents : des herbes et substances préparatoires pour potions, des talismans et amulettes ornés de vêtements personnels appartenant à des tiers – probablement des « clients » en quête de protection ou de maléfices –, des photographies d’individus utilisées dans des incantations, du plomb fondu et non fondu (symbole classique de sorts en maghrebine), ainsi que des restes funéraires comme de la poussière de tombes et des fragments de linceuls.
Ces éléments, souvent issus de profanations de cimetières, soulignent un rituel systématique alliant superstition traditionnelle et pratiques charlataniques modernes.Le clou du spectacle financier : les forces de l’ordre ont découvert une somme colossale de près de 1,4 milliard de centimes algériens (équivalent à 14 millions DA, soit environ 95 000 euros au taux actuel), accompagnée de devises étrangères non précisées.
Ce pactole, présumé provenir exclusivement de ses consultations occultes, interroge sur l’ampleur du réseau : combien de victimes, désespérées par des problèmes conjugaux, financiers ou de santé, ont versé des fortunes pour un « remède » mystique ? Aucune victime n’a été publiquement identifiée à ce stade, mais l’enquête se poursuit pour tracer l’origine de ces fonds et identifier d’éventuels complices.
Contexte local : Aïn Defla, terre de superstitions persistantes
Aïn Defla, wilaya rurale à 150 km d’Alger, n’est pas novice en matière d’affaires occultes. En 2023, la région avait déjà été ébranlée par un scandale d’enlèvements d’enfants liés à la sorcellerie, résolu par la gendarmerie d’El Attaf : une « sorcière » locale avait été arrêtée en lien avec des disparitions, ravivant les peurs collectives sur les réseaux sociaux.
Plus récemment, en mars 2023, des attaques à la seringue dans la même zone avaient conduit à l’interpellation d’un homme de 75 ans pratiquant la sorcellerie, avec saisie d’objets similaires.
Ces incidents s’inscrivent dans un paysage socioculturel où la sorcellerie, ou « sihr » en arabe, oscille entre folklore ancestral et fléau moderne. Influencée par des traditions berbères et islamiques dévoyées, elle prospère sur la vulnérabilité : chômage endémique, instabilité familiale et manque d’accès aux soins. À Jendel, quartier modeste, la suspecte opérait probablement depuis son domicile, transformé en « cabinet » occulte, attirant une clientèle locale prête à payer cher pour conjurer le mauvais œil ou lier un amour.
La sorcellerie en Algérie : un phénomène endémique et lucratif
Au-delà de cette affaire isolée, la sorcellerie gangrène l’Algérie depuis des décennies, avec une recrudescence notée ces dernières années. En 2024, à Sénia (Oran), deux femmes ont été arrêtées pour avoir converti leur appartement en antre de rituels, saisissant potions, ciseaux rituels et sommes d’argent issues de leurs pratiques. À Batna, en avril 2025, six individus – dont trois femmes – ont été placés en détention pour charlatanisme, avec découverte de psychotropes et d’argent « d’origine inconnue« .
Plus choquant, un procès à Alger en 2024 a révélé un « sorcier » ayant violé des milliers de femmes sous prétexte de rituels, utilisant 7 000 photos comme talismans pour une prostitution de luxe. Les cimetières, profanés pour leurs « ingrédients » macabres, deviennent des laboratoires à ciel ouvert, comme le dénonce un rapport de 2025 sur la dégradation des sites funéraires. À Staouéli (Alger), en 2022, une sexagénaire « Soltana » opérait un business florissant, facturant des millions pour des sorts anti -mariage ou pro-amour.
En mai 2025, une campagne gouvernementale anti-sorcellerie a été lancée, renforçant les lois pénales (articles 337 et 338 du Code pénal, punissant le charlatanisme de 2 à 5 ans de prison et d’amendes salées).Malgré cela, le fléau persiste : imams comme Cheikh Ali Aya appellent à une sensibilisation accrue et à une meilleure surveillance des cimetières. Des cas aberrants, comme le lynchage évité d’une Franco-Algérienne accusée de « sorcellerie » à Sétif en juin 2025 pour lecture du Coran en français, illustrent les dérives
Implications sociales et juridiques : vers une lutte plus efficace ?
Cette affaire d’Aïn Defla interroge la résilience de ces pratiques dans une société majoritairement musulmane, où l’islam condamne fermement le sihr comme hérésie. Elle révèle aussi un vide éducatif : beaucoup de « clients » sont des femmes en détresse, prêtes à tout pour un miracle. Les autorités algériennes, via la gendarmerie et la police, intensifient les opérations, mais les experts plaident pour une approche holistique : éducation, soutien psychologique et répression ciblée.En conclusion, le « pactole maudit » de 14 millions DA saisi à Jendel n’est que la pointe de l’iceberg. Il rappelle que derrière les talismans se cachent souvent des escroqueries impitoyables, exploitant les failles d’une société en mutation.
L’Algérie, comme d’autres pays maghrébins, doit transformer cette vigilance en rempart durable contre les ténèbres du charlatanisme.

