mar 04 novembre 2025 - 21:11

Comment le rite vint à l’ordre

Le  Rite Ecossais Ancien et Accepté n’a été introduit dans notre pays qu’au retour d’Amérique d’Alexandre-Auguste de Grasse-Tilly, en 1804. A quel ou à quels rites travaillaient les loges de Paris et des provinces françaises avant 1804 ? Comment s’est fait le passage ?

Au XVII° siècle, en Ecosse, quelques loges réunissant des Maçons de métier, dont on sait à quel point elles insistaient sur les devoirs de leurs membres quant à  la solidarité et à la spiritualité, vont accepter des membres étrangers aux professions de ces bâtisseurs . Ces maçons acceptés sont à l’origine de la Franc-maçonnerie spéculative moderne, même si sauf à de très rares exceptions près, en Ecosse notamment, aucune filiation directe ne peut être affirmée entre loges opératives et loges spéculatives.

En juin 1717, si on en croit la chronologie officielle mais très probablement inexacte, quatre loges maçonniques londoniennes qui avaient semble-t-il pour objectif principal de pratiquer l’entraide mutuelle entre leurs membres en mettant en commun leurs troncs de solidarité, dans un pays ravagé et ruiné par les querelles politiques et religieuses, se réunissent pour fonder ensemble la « Grande Loge de Londres et de Westminster ». C’est l’acte fondateur « officiel » de la franc-maçonnerie moderne.

Ceci se passe à Londres, donc dans un milieu protestant. Le vénérable de la loge qui se réunit à la taverne Goose and Gridiron où a lieu la première réunion est le pasteur anglican Jean-Théophile Desaguliers, dont le père, pasteur huguenot, avait quitté la France dans des conditions rocambolesques après la révocation de l’Edit de Nantes et le siège de la Rochelle, où il résidait.

Fort occupé par son rôle de démonstrateur et de curateur des expérimentations visant à vérifier les idées scientifiques de Newton et à imaginer leurs applications technologiques, c’est à un autre pasteur, calviniste presbytérien, le Révérend James Anderson, qui avait dû fuir sa paroisse écossaise et était sans ressource à Londres, que Désaguliers confie la rédaction d’une nouvelle et bonne version de la Constitution de la nouvelle Grande Loge, une première version des « anciens devoirs » ayant été jugée « fautive et dévoyée ». Cette première Constitution et publiée en 1723.

Etant dans un milieu protestant, animée par des pasteurs, on comprend comment et pourquoi la Franc-maçonnerie puise dans l’Ancien Testament son enseignement moral. Dès lors  qu’elle se donne pour objet, au-delà de la solidarité entre ses membres, de construire un temple idéal, elle adopte pour modèle le Temple du roi Salomon.

Une première loge maçonnique voit le jour à Paris vers 1725.

Elle se réunissait chez le traiteur anglais Barnabé Hute, rue des Boucheries, « à la manière des sociétés angloises », et regroupait principalement des Irlandais et des exilés stuartistes.

Les historiens s’accordent pour considérer que c’est cette même loge se réunissant à l’enseigne du « Louis d’Argent », toujours rue des Boucheries, qui recevra en 1732 des patentes officielles de la Grande Loge de Londres sous le nom de loge « Saint Thomas n° 1 ».

La rue des Boucheries a été absorbée plus tard lors de la création du boulevard Saint-Germain par le baron Haussmann.

En 1728, les francs-maçons français font le choix de reconnaître comme « Grand maître des francs-maçons en France », Philippe, Duc de Wharton, qui avait déjà été, en 1723, Grand Maître de la Grande Loge de Londres, et dont les séjours à Paris et à Lyon sont attestés de 1728 à 1729.

Avec la nomination du duc de Wharton, on est donc fondé à considérer l’année 1728 comme l’année de la naissance d’une franc-maçonnerie française indépendante de celle de Grande-Bretagne.

Lui succèderont ensuite deux jacobites,  James Hector MacLean, qui proclame les règlements généraux dans lesquels le terme « Grande Loge » apparaît pour la première fois, le 27 octobre 1735 puis Charles Radclyffe, Duc de Derwentwater.

C’est sous le mandat de ce dernier, le 24 juin 1738, qu’une assemblée des représentants de toutes les loges « anglaises » et « écossaises » constitue pleinement la première Grande Loge de France.  

Cette assemblée représentative institue un noble de haut rang, Louis de Pardaillan de Gondrin, deuxième duc d’Antin, petit-fils de Madame de Montespan, « Grand Maître général et perpétuel des maçons dans le royaume de France ».

Dès 1740, et jusque vers 1770, vont se développer ici et là des rituels correspondant à approfondissement et à un élargissement de la réflexion philosophique, morale et spirituelle.

On connaît par exemple l’influence durable du discours rédigé – plus certainement que prononcé – par le chevalier d’origine écossaise Michael de Ramsay en décembre 1736, dans lequel il développe l’idée d’une origine chevaleresque de la franc-maçonnerie.

Très vite, dans les principales villes de France, de nombreuses autres loges vont se créer, rassemblant aristocrates, bourgeois cultivés, membres du haut clergé et autres membres de ces élites du « Siècle des Lumières », qui se piquent de philosophie et participent avec bonheur à de riches échanges intellectuels. Vers 1744 on compte déjà une vingtaine de loges à Paris et autant en province.

La religion n’est pas loin, non plus que les références à l’architecture sacrée. Peut-être pour éviter de raviver les querelles religieuses qui avaient déchiré la France  tout comme la Grande Bretagne – et à dire vrai une bonne part de l’Europe – l’appellation « Grand Architecte de l’Univers » s’impose peu à peu pour désigner le Principe Créateur, évitant la référence exclusive ou ne serait-ce que privilégiée à un Dieu révélé et à une religion particulière.

Avant 1738, de nombreux membres de ces loges qui s’implantent et se développent en France, et surtout les premiers Grands Maîtres de la Franc-maçonnerie française, sont des exilés britanniques ayant trouvé refuge dans notre pays. On les appelle les Jacobites car ils sont partisans de la dynastie détrônée des Stuarts.

Faisons ici une courte parenthèse.

C’est en 1688 que le roi Jacques II d’Angleterre et d’Irlande, qui fût aussi sous le nom de Jacques VII roi d’Écosse, fut détrôné par un coup d’État, la  Glorieuse Révolution, mené par une armée hollandaise de 25 000 hommes, parmi lesquels plus de 7 000 huguenots français. Le roi Jacques fût chassé et est accueilli en France en 1689 par son cousin le roi de Louis XIV, qui l’installe avec ses courtisans et sa famille dans le château de Saint-Germain-en-Laye.

On évalue à 40 000 le nombre de réfugiés jacobites en France, qui ont émigré après la Glorieuse Révolution. C’est au sein de  la Cour jacobite de Saint-Germain en Laye que se développèrent les premières loges maçonniques sur le sol français, logiquement dirigées pendant un temps par des nobles d’origine britanniques.

D’après une tradition remontant à 1777, la première loge maçonnique apparue en France aurait été fondée sous le nom de « La Parfaite Égalité » à  Saint-Germain-en-Laye en 1688 dès l’arrivée en France du roi Jacques Start, par des officiers du régiment « Royal Irlandais » à dire vrai largement servi par de nobles Ecossais francs-maçons, arrivés en France à la suite de l’exil de leur roi.

Cette maçonnerie d’importation deviendra bien davantage française en 1743, lorsque le Comte de Clermont est élu Grand Maître. Noble de haut rang, il conservera cette charge, qui est avant tout celle d’un protecteur, aussi prestigieux que lointain, sans intervention sur la conduite effective de l’ordre ni dans sa gestion, pendant 28 ans, jusqu’à sa mort en 1771.

En fait, jusqu’en 1755, les loges fonctionnant dans les diverses villes de France ne sont fédérées que par une allégeance peu contraignante au « Grand Maître des Loges du Royaume ».

Entre 1755 et 1766, les Vénérables des loges de la capitale, réunis en une « Grande Loge des Maîtres de l’Orient de Paris dite de France », – que certains considèrent comme la première « Grande Loge de France » vont s’efforcer d’établir leur autorité sur l’ensemble de la Maçonnerie française.

Mais cette « Première Grande Loge de France » sera déstabilisée de façon chronique par les querelles entre systèmes de hauts-grades rivaux qui essayent d’en prendre le contrôle et finira par se mettre en sommeil en 1766.

Sept ans plus tard, en 1773,  une nouvelle tentative visant à fédérer et à coordonner les loges françaises se fait jour. C’est dans cet esprit que les représentants de toutes les loges – y compris et pour la première fois des loges de provinces – sont convoqués.

17 réunions plénières auront ainsi lieu, aboutissant à la création du Grand Orient de France. Force est de constater que près de 9 loges sur 10 se rallient alors à cette nouvelle structure.

Dans les années qui précèdent la Révolution, des loges prestigieuses comme Les Neufs Sœurs, Les Amis Réunis ou La Candeur rassemblent des élites gagnées aux idées nouvelles portées par les philosophes des Lumières.

Quelques années plus tard, celui qui fût Premier Consul avant de devenir Empereur vît le parti qu’il pouvait tirer de ces cercles de savants et de membres des diverses élites scientifiques et intellectuelles.

Quels rites pratiquait-on  à cette époque ?

Rappelons d’abord une évidence, que chacun de nous devrait être capable d’énoncer et d’expliciter. Un rite maçonnique peut être défini comme la mise en œuvre d’un ensemble de signes, de mots voire de sons qui ont une portée symbolique et qui respectent des règles communes,

Ils se réunissent dans un espace abrité et consacré, l’ensemble ayant pour effet de mettre en condition le franc maçon pour recevoir l’initiation puis d’être en mesure d’assurer à son tour la transmission de l’influence spirituelle tout en s’ouvrant à lui-même et aux autres.

 Le rituel est le moyen de concrétiser le rite. Il s’agit d’obtenir grâce au rituel d’échapper aux limites de l’Espace et du Temps et de parvenir à se situer radicalement hors la contingence.

Nous avons vu comment, dès 1740, on voit apparaître de nouveaux textes à vocation rituélique, à côté des rituels traditionnels des trois premiers degrés, sous la forme de plusieurs centaines de rituels de degrés additionnels dits de « hauts grades ». Ils semblent se créer spontanément ici ou là, au gré des inspirations, des racines culturelles ou religieuses des uns et des autres, de leur intérêt pour la science, l’alchimie, l’ésotérisme,  la Kabale, la chevalerie …

Selon Louis Trébuchet, la Loge Saint Jean d’Ecosse du Contrat Social pratiquait ainsi avant 1780 pas moins de sept grades au-delà des degrés symboliques : Chevalier de l’Orient, Chevalier Rose-Croix, Rose-Croix Philosophique, Chevalier du Soleil,  Chevalier du Phoenix, Chevalier de l’Aigle Noir, et enfin Sage et Vrai Maçon.

Parmi les grades apparus au cours des deux dernières décennies du 18ème siècle, on peut citer celui de Chevalier de l’Aigle Blanc et Noir et surtout celui de Grand Inspecteur Commandeur, qui sera le seul degré du Rite Ecossais Philosophique à être incorporé par Alexandre-Auguste de Grasse-Tilly en 1804 dans le cursus du Rite Ecossais Ancien et Accepté.

Chaque ville, chaque Loge, avait son système, plus ou moins développé, avec un nombre variable de grades, dans un ordre variable lui aussi.

A la vérité, beaucoup n’étaient que des variantes les uns des autres, ou restèrent à l’état de projets, ou ne furent en réalité jamais vraiment pratiqués. Cette multiplication des rituels maçonniques aboutit à diverses initiatives visant à normaliser les pratiques et à les rassembler en ensembles cohérents et stables : les rites maçonniques.

Parmi les rites anciens, il faut citer ceux qui existaient avant le XVIIIème siècle, que l’on appelle les rites historiques. Le Rite des Anciens devoirs est le nom donné par certains auteurs à la cérémonie d’admission dans une corporation de maçons avant le XVIIe siècle, sans transmission de mot secret. Cette pratique a aujourd’hui disparu. Le Rite du Mot de maçon est attesté vers 1637 dans les premières loges écossaises de francs-maçons, notamment la loge de Kilwinning. Il a également disparu.

Le Rite standard d’Écosse trouve ses origines dans les premières loges écossaises comme Mary’s Chapel, dont le plus ancien procès-verbal date de 1599. C’est aujourd’hui encore le rite officiel proposé par la Grande Loge d’Écosse, présent pratiquement sur tous les continents.

Au XVIIIème siècle, de très nombreux rites vont apparaître. Vous en connaissez la plupart, en tous cas vous en avez entendu parler.

Le Rite des Moderns est le nom qui sera donné par ses adversaires au rite maçonnique pratiqué par la Grande Loge de Londres à l’époque des Constitutions d’Anderson, vers 1723. Constitué sur les bases de textes fondateurs et du Rite du Mot de maçon, il fusionnera au Royaume-Uniu avec le « Rite des Antients » en 1813.

Ce Rite des Antients  était celui pratiqué par la Grande Loge des anciens, et notamment par la loge d’York en 1756. Ses constitutions furent publiées sous le nom de Ahiman Rezon.

Le Rite d’York  en est issu, suite à l’expansion de la Grande Loge britannique des Antients en Amérique du Nord. De nos jours, il est pratiqué par plusieurs milliers de loges, principalement aux États-Unis.

Je citerai encore le Rite suédois : apparu vers 1759, très chrétien dans son symbolisme, de nos jours le rite majoritaire en Scandinavie tan,dis qu’il est pratiqué plus minoritairement en Allemagne.

Il faut faire une mention à part pour le Rite d’adoption : apparu au XVIIIème siècle en France, où il était pratiqué par les loges féminines, dites d’adoption. D’un symbolisme particulier, différent de celui des autres rites, notamment en ce qu’il ne se réfère pas à la construction du Temple de Salomon, il a presque totalement disparu depuis la fin du Premier Empire et semble n’être plus conservé aujourd’hui que dans une seule loge de la Grande Loge féminine de France.

Autre Rite disparu, ou plutôt transformé, l’Ordre du royal secret , également nommé « Rite de Perfection », Il aurait été créé en 1762 et est aujourd’hui éteint. Mais on sait bien sûr comment ses 25 degrés véhiculés par Etienne Morin puis Henry Andrew Francken furent repris en 1801 dans les 33 degrés du Rite écossais ancien et accepté.

Je citerai encore deux rites encore présents en France, voire dans certains autres pays influencés par le nôtre. Le Rite écossais rectifié est un rite d’essence chrétienne, codifié à Lyon en 1778. Il est encore pratiqué, principalement en Europe. Six Loges travaillent à ce rite aux trois premiers degrés symboliques au sein de la GLDF.

Enfin, je terminerai par le Rite français codifié entre 1783 et 1786. Directement issu du rite des Moderns dont il reprend la plupart des caractéristiques, il est toujours aujourd’hui le rite pratiqué en France, notamment au sein du Grand Orient de France, ainsi qu’au Brésil. Il est également présent dans de nombreuses loges en Europe et à travers le monde. Il en existe différentes variantes.[1]

Alain Bernheim, illustre auteur de l’ouvrage  essentiel qu’est « Le Rite en 33 degrés », a publié il y a quelques années « Les deux plus anciens manuscrits des grades symboliques de la franc-maçonnerie de langue française ».

Le premier de ces textes est « Les vrai catéchisme des frères francs-maçons rédigé suivant le code mystérieux et approuvé de toutes les loges justes et régulières ». Ce manuscrit fut trouvé par Georges Luquet (qu’il a dactylographié dans un document de plus de cent pages) dans la bibliothèque du Grand Collège des Rites du GODF. C’est en effet le plus ancien manuscrit connu du rituel des trois grades de la maçonnerie symbolique en langue française, comme l’écrit Alain Bernheim. Il aurait été rédigé antérieurement à 1745.

Le second texte est appelé « manuscrit de Berne ». Il pourrait s’agir de l’exemplaire d’un officier des dragons qui appartenait à la loge de Berne et avait abjuré la Maçonnerie en 1744. Son texte provient probablement d’un rituel manuscrit que ce capitaine aurait en partie recopié. C’est en tous cas la plus ancienne et la plus complète version manuscrite aujourd’hui connue en langue française de la réception au grade d’apprenti, complétée par un catéchisme pour les grades d’apprenti et compagnon. Rien pour le grade de maître.

Rien de véritablement écossais dans ces documents. Il faut dire que la marque de l’écossisme n’est guère évidente dans ces premiers degrés. A la fin du XVIIIème  siècle, le Rite Français est très largement majoritaire parmi les loges de notre pays. Mais dès qu’il est présenté à quelques loges parisiennes, le nouveau Rite en 33 degrés, qui va prendre en France le nom de Rite Ecossais Ancien et Accepté, va progressivement s’implanter.

On sait en effet, et Jean-Pierre Thomas le détaille par le menu,  comment, en 1804, le comte Alexandre de Grasse-Tilly, venant des Antilles, rentre en France muni de pouvoirs émanant du Suprême Conseil de Charleston, fondé en 1802.

Il faut dire que l’annonce officielle de la création de ce Suprême Conseil de Charleston était passée très largement inaperçue en France. Les différentes instances de la franc-maçonnerie française avaient été quelque peu déstabilisées lors du choc révolutionnaire. Il ne restait guère que 18 loges en activité dans toute la France en 1796.

Mais quelques années plus tard, le 18 Thermidor an X, soit le 6 août 1802, une assemblée générale de maçons Ecossais se réunit, afin de réactiver la Loge Saint Alexandre d’Ecosse.  Un Frère, du nom de Firmin Abraham, est désigné pour rédiger et adresser une circulaire à toutes les loges écossaises, afin qu’elles se rassemblent et s’unissent pour défendre le Rite Ecossais, contre les menées du Grand Orient qui paraît déterminé à le détruire.

Quelques Loges, à Paris et à Douai, vont immédiatement répondre à cet appel. A Paris, en effet, quelques loges et chapitres dits « écossais » se réunissaient, plus ou moins régulièrement, dans un sous-sol d’un immeuble du boulevard Poissonnière. Certains Frères, par ailleurs adeptes du Grand Orient, regrettaient les Hauts Grades du XVIIIème que cette obédience avait écartés, allant jusqu’à promulguer le 12 novembre 1804 un décret déclarant irrégulier tout atelier « professant des rites étrangers à ceux reconnus par lui ».

C’est dans ce contexte que de Grasse-Tilly, tout juste arrivé à Paris, fait connaître son intention d’établir, fort des patentes qui lui avaient été conférées à Charleston,  un Suprême Conseil de France après celui qu’il  avait fondé à Port-au-Prince.

Il ne perd pas de temps : en janvier 1804, il crée la loge « écossaise » de Saint Napoléon.

C’est sur cette loge qu’il s’appuie pour créer le Suprême Conseil de France le 22 septembre de la même année, rapidement suivi par un Grand Consistoire le 17 octobre 1804. Cinq jours plus tard, le 22 octobre 1804, les Vénérables maîtres et les officiers de plusieurs loges écossaises dont Saint Alexandre d’Ecosse,  se réunissent dans les locaux de cette dernière, rue du Coq- Héron, et constituent la « Grande Loge Écossaise de Rite Ancien et Accepté ». Cette Grande Loge est dirigée par le Prince Louis Bonaparte et a pour Député Grand Maître le comte Alexandre-Auguste de Grasse-Tilly.

Lors de la première réunion effective de cette Grande Loge Générale Ecossaise cinq jours plus tard, le 27 octobre 1804, de Grasse-Tilly préside, en qualité de Très Respectable Représentant du Grand Maître. Huit loges participent aux travaux ou demandent à recevoir des constitutions : la Respectable Mère Loge Ecossaise et sept loges régulières de Paris, c’est-à-dire les sept loges du Rite Ecossais Philosophique, soit les loges La Parfaite Union, de Douai, le Patriotisme, de Versailles, et les loges parisiennes Saint Jean d’Ecosse du Grand Sphinx, le Temple des Muses, la Parfaite Harmonie, le Amis Eprouvés, St Jean d’Ecosse du Cercle Oriental des Philalètes et Saint Napoléon d’Ecosse.

Une autre loge est présente, la Triple Unité Ecossaise, qui rassemble des Frères revenus des Amériques. Sont également présents le Frère Haquet, député des loges écossaises de Saint-Domingue (le compte -rendu ajoute « s’il en reste » ) et le Frère Abraham, vénérable de la loge Les Elèves de la Nature.

Lors d’une troisième réunion, quelques jours plus tard, le Très Respectable Frère Bounin, Grand Vénérable de la Mère Loge Ecossaise de Marseille ; est applaudi après un discours particulièrement brillant.

Dix jours plus tard, elle commença à décerner des constitutions et des chartes capitulaires. Louis Bonaparte n’étant guère actif comme Grand Maître, elle choisit rapidement de solliciter Kellermann, qui fût nommé Grand Administrateur. Kellermann, duc de Valmy et Maréchal de France, nomma alors de Grasse-Tilly à son état-major en qualité d’aide de camp.

C’est cette Grande Loge qui, dans la foulée le 1er novembre 1804, envoya une circulaire à toutes les loges et à tous les chapitres de France. Cette circulaire annonce à la fois qu’ « un nouveau jour reluit pour la Maçonnerie Ecossaise trop longtemps persécutée » mais que « Sa Majesté l’Empereur désirait que la Grande Loge Générale se rapprochât du Grand Orient. »

Comme on l’imagine en effet, le Grand Orient voit cette revivification d’un courant qu’il croyait divisé voire agonisant d’un très mauvais œil. Il charge Masséna et Roëttiers de Montaleau de négocier un accord avec Kellermann et Pyron. Une commission est désignée, qui travaille d’arrache-pied, aboutissant en moins d’un mois au Concordat du 3 décembre 1804.

Peut-être trop vite travaillé, sûrement ambigu, ce concordat qui prévoit l’union et la fusion des deux organisations confond rite et obédience. Le Grand Orient se voit confier le contrôle des ateliers du premier au 18ème degré, qui travaillent au Rite français, tandis que le Suprême Conseil régit les degrés supérieurs, qui travaillent au Rite Ecossais Ancien et Accepté, sous l’autorité de Grasse-Tilly, élu Souverain Grand Commandeur le 22 décembre 1804.

En effet, de Grasse-Tilly ne pouvait s’en tenir aux seuls degrés symboliques ; sa mission était clairement de créer un Suprême Conseil en France. Il s’y employa donc activement, communiquant les hauts-grades écossais à de nombreux Maçons parisiens. Le 10 octobre 1804, un certain Paul Vidal est admis au 33ème degré, dont sont déjà porteurs de Grasse-Tilly et Jean-Nicolas Le Tricheux. Dix jours plus tard, le 20 octobre 1804, les Souverains Grands Inspecteurs Généraux sont au nombre de neuf et peuvent donc constituer un Suprême Conseil dont Alexandre Auguste de Grasse-Tilly est Souverain Grand Commandeur ad vitam.

Rapidement, les tensions ne tardent pas à apparaître : le 5 avril 1805, Pyron, l’un des signataires du Concordat au titre des Ecossais, Souverain Grand Inspecteur Général depuis le 25 août 1804 et membre du Suprême Conseil, est exclu du Grand Orient.

Le 21 juillet, le même Grand Orient crée un Directoire des Rites, qui deviendra plus tard le Grand Consistoire avant de prendre en 1826 l’appellation de Grand Collège des Rites encore en vigueur aujourd’hui. Considérant qu’il s’agit là d’une concurrence déloyale, les Ecossais reprennent leur indépendance. Le 16 septembre 1805, ils créent la Grande Loge Générale Ecossaise.

Tous les ponts ne sont pas rompus cependant. De Grasse-Tilly fût prié de démissionner, tandis que Cambacérès, déjà Grand Maître adjoint du Grand Orient, devenait en même temps Grand maître de la Grande Loge Générale Ecossais et Souverain Grand Commandeur du Suprême Conseil !

On revenait en fait à la situation de 1804, le Grand Orient  gérant les degrés du premier au 18ème tandis que le Suprême Conseil administre ceux au-delà. La coexistence du Suprême Conseil et d’un groupe de 33ème au sein du Grand Directoire des Rites du Grand Orient est mal vécue, surtout lorsque le beau-père de de Grasse-Tilly rassemble autour de lui d’autres 33ème, membres comme lui du Suprême Conseil des Iles françaises d’Amérique, faisant connaître leur souhait d’être incorporés au sein du Suprême Conseil de France, ce qui leur est dans un premier temps refusé. Un point essentiel doit être évoqué pour terminer :  jusqu’en 1804, on n’appelle « loges écossaises » que les loges des degrés au-delà de la maîtrise.

A partir de la création de la Grande Loge Générale Ecossaise, le terme est désormais utilisé pour désigner les loges des trois premiers degrés pratiquant un rite différent du Rite français. S’agissant des trois premiers degrés, les, rituels et les instructions semblent avoir été constitués à partir de 1804 sur la base du Rite français, combinés avec des éléments empruntés à la « Grande Loge des Anciens » qui avait été fondée en Angleterre en 1751.

C’est ce rite, ce sont ces rituels, que l’on mit « définitivement » en forme lors de la rédaction du « Guide des maçons écossais », paru en 1821, première itération en tous cas des rituels des trois premiers degrés selon le Rite écossais ancien et accepté, dont celui en vigueur aujourd’hui dérive directement.

Enfin, il faut évoquer la persévérance d’ Alexandre de Grasse-Tilly, fidèle jusqu’à l’obstination à la mission de promotion du rite en 33 degrés qui lui avait été confiée à Charleston, puisque c’est lui qui, dès le début de la Restauration, en 1814, sera à l’initiative du courant qui réveille le conflit qui ne cessera plus d’opposer jusqu’à la fin du siècle, voire au-delà, le Grand Orient de France, qui se veut le centre d’union de toute la franc-maçonnerie française et le Suprême Conseil de France, jaloux de l’indépendance du Rite écossais ancien et accepté.

On a pu résumer cette opposition, qui perdure fraternellement aujourd’hui, par la formule « hégémonie contre hégémonie », l’une étant liée à la volonté d’avoir une influence politique, l’autre visant à susciter une élévation  spirituelle.


  • [1] Il existe d’autres rites apparus au XIXème siècle :
    • Rite de Misraïm : développé en France vers 1810 par les frères Bédarride, il est aujourd’hui l’une des composantes des rites maçonniques dits « égyptiens ».
    • Rite de Schroeder : rite en trois grades, adopté en 1811 par la Grande Loge provinciale de Hambourg, il était le plus démocratique de tous les rites pratiqués en Allemagne avant la deuxième guerre mondiale, pratiqué en Allemagne, Autriche, Hongrie et Suisse.
    • Rite émulation : codifié en Angleterre vers 1823, suite à la réunion des Ancients et des Moderns, le rite est pratiqué aujourd’hui par plusieurs milliers de loges, principalement au Royaume-Uni et dans les anciennes colonies britanniques.
    • Rite symbolique italien : rite en trois grades né 1862, afin de constituer une franc-maçonnerie nationale italienne unitaire, indépendante de toute influence étrangère et fidèle aux Constitutions d’Anderson. Pratiqué encore aujourd’hui par les loges de la Grande Loge symbolique d’Italie, au sein du Grand Orient d’Italie.
    • Rite écossais primitif : d’après l’ésotériste Robert Ambelain qui déclara le « réveiller » en 1985, il s’agirait du rite qui était pratiqué par les exilés jacobites à Saint-Germain-en-Laye en 1688, ce qu’aucun document historique connu à ce jour ne peut confirmer avec certitude. Il est pratiqué depuis par quelques loges en France.

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Jean-Jacques Zambrowski
Jean-Jacques Zambrowski
Jean-Jacques Zambrowski, initié en 1984, a occupé divers plateaux, au GODF puis à la GLDF, dont il a été député puis Grand Chancelier, et Grand- Maître honoris causa. Membre de la Juridiction du Suprême Conseil de France, admis au 33ème degré en 2014, il a présidé divers ateliers, jusqu’au 31°, avant d’adhérer à la GLCS. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur le symbolisme, l’histoire, la spiritualité et la philosophie maçonniques. Médecin, spécialiste hospitalier en médecine interne, enseignant à l’Université Paris-Saclay après avoir complété ses formations en sciences politiques, en économie et en informatique, il est conseiller d’instances publiques et privées du secteur de la santé, tant françaises qu’européennes et internationales.

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