LA DÉCOUVERTE DE LA PERSONA ET LA DIFFÉRENCIATION (2/6)

La découverte de la « persona » et les phénomènes psychiques liés la « différenciation », qui constituent la deuxième étape du processus d’individuation dans la psychologie analytique de C.G. Jung, conduisent l’être en quête de soi-même dans un voyage initiatique intérieur vers le Soi équivalent à l’Atman hindou.
La persona est un masque dissimulant la personnalité et l’identité profonde sous des traits superficiels, conformes d’une part à des règles de vie sociale extérieures conçues par d’autres, et d’autre part à des processus de vie mentale intérieure révélateurs en dernière instance du Soi profond. Le labyrinthe symbolise ce voyage en soi-même de la périphérie vers le centre, d’où l’on ressort en suivant le chemin inverse du centre vers la périphérie, à moins de s’en évader par les airs en s’envolant du centre verticalement.

Le Sage du Labyrinthe (52è degré de la Maçonnerie égyptienne) connaît et pratique ces deux voies, la première horizontale à dimension humaine illustrée par le mythe de Thésée, la seconde verticale pour se relier au Soi d’essence divine, symbolisée par le récit des Noces de Philologie et de Mercure. (Martianus Capella, Vè siècle de notre ère). C’est sur la voie horizontale du labyrinthe que l’être découvre sa persona et trouve ses propres repères en se rectifiant à l’équerre et en se désorientant, comme le font les Maçonnes et les Maçons à tous les degrés pour demeurer vigilant(e)s et éveillé(e)s spirituellement. La différenciation effectuée sur la voie verticale de la conscience et de l’amour leur est donnée par surcroît comme une récompense pour le travail effectué sur soi-même afin de se connaître, s’accepter, et s’aimer.

Ces voies horizontale et verticale conduisent Thésée à retrouver ses origines humaine et divine symbolisées par ses deux pères potentiels Égée et Poséidon, sa mère Aethra s’étant unie au dieu Poséidon après son étreinte avec le roi Égée. La vie de Thésée est une suite de combats et d’épreuves révélateurs de cette double nature humaine et divine. Durant ses voyages et avant d’affronter le Minotaure dans le labyrinthe, il doit combattre et vaincre cinq criminels enfreignant les règles morales et éthiques en vigueur dans les mondes conscient et subconscient. Avec le premier, il apprend qu’au niveau conscient comme au niveau subconscient, on est traité comme on se comporte, et il tue son adversaire en retournant son arme contre lui et en écoutant les messages de son subconscient.
Le second lui apprend qu’on peut se sentir écartelé par des forces opposées et centrifuges, et il se sert de ce sentiment ressenti par le criminel pour le retourner contre lui et le maintenir écartelé, alors que lui-même s’en libère en inversant le sens des forces et en les recentrant en soi-même. Il apprend avec le troisième à se défier de la fausse humilité conduisant à la soumission et à la paralysie morale, et à en triompher par la ruse en neutralisant la cause de la soumission. Le quatrième lui apprend à triompher en s’appuyant consciemment sur son habilité et son inventivité, en évitant de s’en remettre excessivement au subconscient pour tout solutionner. Avec le cinquième, il combat la fausse conformité aux fausses règles, et détruit le pouvoir tyrannique qui réduit la diversité individuelle naturelle à une uniformité collective artificielle.

Le combat le plus célèbre de Thésée se déroule en Crète dans le labyrinthe, où il tue le Minotaure jusqu’alors invincible. Cet exploit individuel est aussi la victoire collective des dieux et déesses appelés par Thésée à regrouper et conjuguer leurs forces pour triompher. Ariane, fille du roi de Crète Minos et demi-sœur du Minotaure, lui donne par amour la pelote de fil conduisant de l’entrée vers le centre, et donc en sens inverse du centre vers la sortie du labyrinthe ; Héphaïstos, dieu du feu,lui forge une épée pour tuer le Minotaure. Thésée accomplit le double exploit d’accéder au centre du labyrinthe du subconscient où demeure le Soi, et de ressortir consciemment du labyrinthe en suivant le fil d’Ariane. Le mythe de Thésée conte l’exploit accompli dans l’horizontalité du dédale et la découverte de ses ombres, prochaine étape du voyage vers l’individuation. Il associe aussi le fil d’Ariane à cet exploit, le fil des pensées éclairées par la lumière de la conscience, qui, grâce à cette lumière, sait mémoriser et donner une raison d’être à son parcours dans la nuit du subconscient.

La deuxième sortie du dédale par le centre est effectuée dans la verticalité de la conscience par Thésée et tous les initiés qui sont eux aussi des héros mi-dieux mi-humains, car ils travaillent intensément sur eux-mêmes et surmontent les épreuves du processus d’individuation qui les conduit à découvrir, accepter, et aimer leur nature divine. « Les Noces de Philologie et de Mercure » de Martianus Capella symbolisent cette ascension par la mise en scène du mariage du dieu Mercure et de Philologie, une mortelle choisie par les dieux pour la récompenser de ce travail intérieur. Dans ce récit, à l’origine, Mercure décide de se marier. Il a d’abord pensé à prendre pour femme Sophia, déesse de la Sagesse, mais celle-ci veut rester vierge, puis Psyché, mais elle s’en remet au pouvoir de l’Amour. Finalement, Apollon lui propose Philologie, qui est une mortelle mais qui passe ses veillées à étudier et dont la curiosité est insatiable.

Jupiter accepte cette union, à condition que Philologie reçoive son « apothéose », une cérémonie célébrant l’élévation dans les cieux auprès des dieux, et l’intégration pleine et entière en soi-même de ce niveau divin de l’être. À cette fin, la litière dans laquelle elle s’élève doit être précédée par le cortège des muses et suivie par Periergia, la curiosité, et être guidée et protégée par ceux et celles qui ont formé la disciple de Pallas pour être l’épouse rêvée de Mercure : Labor impiger, le Travail acharné, Amor, l’amour pour les choses d’en haut qui tient éveillé, Epimelia et Agrypnia, le Soin et la Veille. Par ailleurs, Philologie elle-même prépare son apothéose, son départ de la Terre et son ascension vers la Voie lactée où l’attend l’assemblée des dieux, et elle se demande si le mariage qu’on lui propose sera propice.
Pour le savoir, elle procède à une opération de divination basée sur la numérologie en calculant les nombres que représentent son nom (total = 724) et celui du dieu égyptien Thot, équivalent du dieu Mercure (total = 1218). Elle divise ensuite ces nombres par 9 et obtient un reste de 4 pour elle et de 3 pour Thot, deux nombres qui présagent l’harmonie entre les dimensions matérielle (le 4) et spirituelle (le 3) dans la tradition pythagoricienne. Pour être plus légère, elle vomit les livres qui pèsent lourdement sur sa poitrine, puis elle monte dans la litière qui doit la conduire jusqu’à l’assemblée des dieux en traversant les sept sphères célestes qui forment la gamme musicale, selon la théorie de l’harmonie des sphères reprise dans les milieux néoplatoniciens. Une fois arrivée auprès des dieux, Mercure lui offre sept jeunes filles comme demoiselles d’honneur, représentant chacune un art que Philologie s’applique à intégrer tour à tour parfaitement en elle-même.

Cette élection et cette élévation de Philologie au rang des dieux glorifient tout son travail effectué sur terre et au cours de son élévation par l’action conjuguée des nymphes et des muses, dédiées non seulement à la réalisation du travail en cours, mais à son achèvement dans la perfection. Le travail partiel de Philologie lié aux circonstances de son parcours spirituel se parachève ainsi en œuvre globale de toute une vie. Autrement dit, l’amour du travail est la source de l’amour et des noces de Mercure et de Philologie, car le travail attire les vertus naturelles et sur-naturelles comme un aimant et nettoie comme l’eau purifie, dans le cours d’une vie dédiée à l’étude de soi et de l’univers. Car tout est lié et l’on ne travaille pas à son propre perfectionnement sans être relié à l’univers, sans attirer et travailler avec les forces du cosmos où évoluent les principes spirituels des dieux en action, notamment les nymphes et les muses.
Le feu occupe une place capitale dans l’aspiration de Philologie à rejoindre les héros et les dieux dans la Voie lactée. « La prière que Philologie adresse au démiurge suprême lorsqu’elle s’agenouille sur le dos de la voûte céleste, au terme de son ascension planétaire, c’est à « la fleur du feu » qu’elle sera offerte (le purpura, le pur du pur des alchistes). L’essence du Dieu ineffable, maître tout-puissant de la musique des sphères traversées par Philologie montant vers son époux avec le consentement des dieux, est le feu mystérieux et la flamme inextinguible. Elle sait que le démiurge suprême de ce monde sensible s’est retiré en dehors de la connaissance même des autres dieux-démiurges, car il a franchi les espaces qui se trouvent dans les béatitudes hyper-cosmiques pour y jouir joyeusement d’un monde qu’on appelle igné. » (Jean Préaux, Le culte des muses chez Martianus Capella)
Après les deux premières étapes sur la voie conduisant à l’individuation de C.G. Jung, marquées par le feu du trauma et le feu de l’aspiration spirituelle, la troisième étape consacre le surgissement en soi-même du Phénix renaissant perpétuellement de ses cendres.
Les six degrés de la Maçonnerie égyptienne (51è au 56è) illustrant les six étapes du processus d’individuation, sont extraits des 60 degrés (34è au 93è) développés dans le livre Méditations du Sphinx de Patrick Carré, Éditions GAMAYUN)
Patrick Carré donne rendez-vous à ses lecteurs devant la Fontaine Saint-Michel le samedi 11 ocobre 2025 à 10h, pour une conférence interactive (durée 2h). L’article de l’auteur déjà paru sur 450.fm à cette adresse prépare activement à cette conférence. Venez nombreux !
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