lun 04 août 2025 - 22:08

Lucifer : Une figure initiatique entre lumière et ténèbres

La Franc-maçonnerie, par sa nature initiatique, invite à un voyage intérieur où chaque étape marque un commencement, une renaissance symbolique. Ce processus, complexe et exigeant, repose sur une dualité fondamentale entre l’exotérique – ce qui est immédiatement accessible – et l’ésotérique – ce qui reste voilé, attendant d’être révélé. À travers cette exploration, la figure de Lucifer émerge comme un symbole ambivalent, oscillant entre lumière originelle et chute dévastatrice.

Cet article s’attarde sur la richesse de cette initiation, son lien avec une pensée ternaire, et l’analyse de Lucifer comme un révélateur des dynamiques humaines, en s’appuyant sur les enseignements maçonniques et les perspectives historiques.

L’Initiation : un chemin de commencements infinis

L’initiation, étymologiquement liée au « commencement », est au cœur de la démarche maçonnique. Elle ne se limite pas à un unique événement, mais se déploie en une série de nouveaux départs, autant de défis à relever. Comme le souligne Leibniz, « La Nature ne fait pas de sauts », suggérant une évolution graduelle où passé et présent se fondent pour façonner l’avenir. Pour l’initié, chaque choix – philosophique ou pragmatique – ouvre des voies multiples, oscillant entre l’exotérique, domaine du visible et du rationnel, et l’ésotérique, espace du caché et de l’intuition. Cette dualité, mimétique de notre fonctionnement binaire, structure la pensée humaine, de la respiration à la comparaison analytique. Un adage alchimique le résume : « L’analogie est l’unique clé de la Nature ».

Cette partition donne naissance à une pensée ternaire, où l’union de deux éléments crée une troisième entité – le célèbre « 1+1=3 ». Cette tri-unité, bien que connotée religieusement, enrichit l’intellect et la spiritualité, offrant un pont entre dualité et unité. Cependant, elle reste un biais cognitif, sélectif et fragile, comme un échafaudage éphémère. Elle excelle dans les cadres structurés des trois premiers degrés maçonniques – avec leurs outils actifs/passifs ou leurs symboles binaires comme les deux colonnes – mais se heurte à des figures ambiguës comme Lucifer, dont la complexité défie cette grille.

Lucifer : du porteur de lumière à l’idole déchue

Lucifer incarne cette ambiguïté, un personnage dont la signification varie selon les époques et les cultures. Initialement « porteur de lumière » dans la tradition latine, il est associé à l’étoile du matin, Vénus, dans les civilisations polythéistes grecque et romaine. Chez les gnostiques et les Cathares, il est même vu comme une émanation divine, un messager du Dieu suprême aux côtés de Jésus. Cette lumière originelle, pure et créatrice, rappelle l’idée philosophique : une étincelle vive, née d’une induction violente, qui exige une formalisation immédiate pour perdurer.

Mais la tradition chrétienne, à partir du VIIe siècle, transforme cette figure. La rébellion supposée de Lucifer, « premier-né de Dieu » sous le nom de Lucifer-Satanael, entraîne sa chute, le rétrogradant en ange déchu, symbole du mal. Cette déchéance, parallèle à la Chute adamique (Genèse 3:16), marque le passage d’un Eden indifférencié à un monde matériel structuré. Pour le croyant, c’est une fatalité ; pour l’athée, une métaphore ; pour l’initié maçonnique, une leçon. La Chute, loin d’être une régression, peut être vue comme un progrès initiatique : elle permet d’exprimer dans le tangible les principes de l’Éden, une explosion de vie nécessitant un « fusible » comme Lucifer pour absorber cette énergie.

Cette ambivalence fait de Lucifer une idole au sens maçonnique – non pas une simple statue, mais une idée dévoyée. Comme le Veau d’Or, forgé à partir des bijoux hébreux (Exode 32:1-14), Lucifer n’est nocif que par sa chute, sa transformation en un symbole figé. Une sentence du 4e degré du Rite Écossais Ancien et Accepté (REAA) avertit : « Ne prenez pas les mots pour des idées ». L’or, comme le mot, est ductile ; ce sont leurs conformations idolâtres qui corrompent.

La pensée ternaire : un outil face à l’idolâtrie

La pensée ternaire, développée dans les hauts grades maçonniques, offre un antidote à cette dérive. Elle s’articule en trois perspectives, illustrées au 24e degré (Prince du Tabernacle) par une déambulation symbolique : 6+1 pas vers l’avant (centrifuge), 6+1 pas en arrière (centripète), et 6+1 pas à nouveau vers l’avant (amalgame). La première perspective, solaire, projette l’initié sur des symboles fondateurs – colonnes, pavé mosaïque – évoquant un Lucifer pré-Chute. La seconde, introspective, révèle les tréfonds de l’âme, les idoles glissées entre les symboles, comme un chandelier éteint. La troisième intègre ces contradictions, reconstituant un Paradis Terrestre où foi et raison s’harmonisent.

Cette dynamique reflète la Renaissance, où la perspective – un miroir relatif – distinguait la Nature de sa représentation. L’initié, « gouverné » par cette triple vision, résiste aux faux-semblants. Les idoles, qu’elles soient sectaires comme la Scientologie détournant la science ou mystiques comme le nazisme exploitant les runes, naissent de la dissociation entre idée et mot. Le mécanisme symbolique, en revanche, protège l’idée par des interprétations personnelles, empêchant l’intrusion de significations imposées.

Lucifer comme révélateur initiatique

Lucifer, dans cette optique, est un phare symbolique, un avatar dont le sens dépend du regard porté. Dans les polythéismes, sa bilatéralité avec Hespéros (l’Étoile du soir) maintient un équilibre cosmologique, diluant la violence de la Chute. Le monothéisme chrétien, en imposant une binarité rigide, transforme cette lumière en fardeau pénitentiel, nécessitant une pensée ternaire – avec la Chute comme tiers – pour amortir cette tension. L’initiation sacerdotale, ébauchée au 4e degré et affinée aux 21e et 22e degrés du REAA, incarne ce rôle de médiateur, un lévite reliant l’idée au mot, évitant la béance idolâtre.

Les anges déchus, comme Lucifer, symbolisent les pensées dissonantes, les silences coupables qui déstabilisent. Leur toxicité vient de leur enracinement dans des valeurs universelles détournées. La névrose existentielle, née du décalage entre esprit et matière, ouvre cette brèche. Le franc-maçon, par le symbolisme, régule ces écarts, renouvelant sans cesse le lien spirituel, contrairement aux sectes qui isolent pour manipuler.

Une lumière à reconquérir

Lucifer, du « porteur de lumière » à l’ange déchu, illustre les paradoxes de l’initiation. Sa chute, violente et nécessaire, reflète l’énergie créatrice qui structure notre monde. La pensée ternaire, forgée dans les hauts grades, permet de transcender cette dualité, de protéger l’idée contre l’idolâtrie. Pour l’initié, Lucifer n’est pas un ennemi, mais un miroir de nos propres dérives, un appel à polir sa pierre brute.

Dans un monde où les idoles pullulent, la franc-maçonnerie offre un chemin pour retrouver la lumière originelle, celle d’une pensée libre et unifiée.

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Erwan Le Bihan
Erwan Le Bihan
Né à Quimper, Erwan Le Bihan, louveteau, a reçu la lumière à l’âge de 18 ans. Il maçonne au Rite Français selon le Régulateur du Maçon « 1801 ». Féru d’histoire, il s’intéresse notamment à l’étude des symboles et des rituels maçonniques.

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