jeu 04 décembre 2025 - 10:12

Le Codex Gigas : un géant médiéval entre savoir et légende diabolique

Dans les méandres de l’histoire médiévale, certains artefacts émergent comme des énigmes vivantes, défiant le temps et l’imagination. Parmi eux, le Codex Gigas, souvent surnommé la « Bible du Diable », se distingue par sa monumentalité et ses mystères. Ce manuscrit, le plus grand conservé de l’époque médiévale européenne, pèse environ 75 kilogrammes et mesure près d’un mètre de hauteur. Sa création a nécessité le sacrifice de la peau d’environ 160 animaux pour produire le vélin sur lequel il est écrit.

Codex Gigas, souvent surnommé la « Bible du Diable », Bibliothèque nationale de Suède

Mais au-delà de ses dimensions physiques impressionnantes, c’est son contenu encyclopédique et sa légende sulfureuse qui en font un objet de fascination, particulièrement pour ceux qui s’intéressent aux symboles ésotériques et aux quêtes spirituelles.

Originaire du début du XIIIe siècle

Ce colosse a vu le jour dans un monastère bénédictin de Podlažice, en Bohême – l’actuelle République tchèque. Une inscription interne révèle qu’il fut mis en gage en 1295 au monastère de Sedlec, avant de connaître un périple tumultueux. Pillée lors de la guerre de Trente Ans en 1648 par les troupes suédoises, l’œuvre a été emportée comme butin de guerre et se trouve aujourd’hui à la Bibliothèque nationale de Suède, à Stockholm.

Codex Gigas, souvent surnommé la « Bible du Diable », Bibliothèque nationale de Suède

Exposé dans une vitrine sécurisée depuis 2013, il est accessible numériquement pour les chercheurs et les curieux du monde entier

Ce qui frappe d’abord, c’est l’unité de l’ouvrage : rédigé par une seule main, comme l’atteste l’uniformité de l’écriture, sa confection aurait demandé au moins deux décennies selon les estimations modernes. Composé de 310 folios – soit 620 pages –, le Codex Gigas n’est pas une simple Bible. Il s’agit d’une véritable somme du savoir médiéval, compilant :

  • une version complète de la Vulgate latine, de l’Ancien au Nouveau Testament ;
  • les œuvres historiques de Flavius Josèphe, comme Les Antiquités des Juifs et La Guerre des Juifs ;
  • Etymologiarum libri viginti communément appeléeEtymologiae ou Origines est une encyclopédie qu’Isidore de Séville (560-636), un pilier de la connaissance encyclopédique du Moyen Âge ;
  • des traités médicaux inspirés d’Hippocrate et d’autres autorités antiques ;
  • la Chronique de Bohême de Cosmas de Prague, offrant un regard sur l’histoire locale ;
  • des éléments plus ésotériques : un calendrier, des formules d’exorcisme, des incantations magiques et des illustrations symboliques.
Codex Gigas, souvent surnommé la « Bible du Diable », Bibliothèque nationale de Suède

C’est précisément cette dimension ésotérique qui nourrit la légende la plus célèbre associée au manuscrit

Selon un récit folklorique médiéval, un moine condamné à être emmuré vivant pour un crime grave aurait promis d’écrire en une nuit un livre renfermant tout le savoir humain afin d’expier sa faute. Incapable de relever le défi seul, il aurait invoqué Lucifer lui-même. Le diable, en échange de son âme, aurait achevé l’ouvrage et laissé son effigie comme marque indélébile. Cette histoire, bien que probablement inventée pour des raisons didactiques ou superstitieuses, explique la présence d’une pleine page dédiée au diable : une figure imposante, accroupie, aux bras levés, dotée de quatre doigts et orteils, vêtue d’un pagne en hermine symbolisant sa « royauté » infernale. Face à cette image, une représentation de la Cité Céleste souligne le dualisme éternel entre le bien et le mal – un thème récurrent dans les traditions spirituelles et philosophiques.

Codex Gigas, souvent surnommé la « Bible du Diable », Bibliothèque nationale de Suède

Des rumeurs persistent sur une malédiction entourant le Codex…

Comme maladies, incendies ou malheurs frappant ses possesseurs. Pourtant, la Bibliothèque nationale de Suède n’a rapporté aucun incident de ce genre, reléguant ces anecdotes au domaine du mythe. Dans un contexte maçonnique, où les symboles et les allégories occupent une place centrale, ce manuscrit invite à une réflexion plus profonde. Le diable y apparaît non comme une entité maléfique absolue, mais comme un archétype de la tentation du savoir interdit, rappelant les épreuves initiatiques où l’individu affronte ses ombres pour accéder à la lumière. Les formules d’exorcisme et les incantations évoquent les rituels ancestraux, écho aux quêtes humanistes et spirituelles qui animent les loges. Isidore de Séville, avec ses Étymologies, préfigure l’approche encyclopédique des Lumières, influençant indirectement les penseurs maçonniques qui valorisent la connaissance comme outil d’élévation.

Codex Gigas, souvent surnommé la « Bible du Diable », Bibliothèque nationale de Suède

Pour l’initié, approcher le Codex Gigas demande une lecture symbolique et stratifiée, bien au-delà d’une simple consultation linéaire

Il convient de commencer par la contemplation des illustrations centrales – la Cité Céleste et le diable – pour méditer sur le dualisme intérieur, en reliant ces images aux degrés initiatiques où l’ombre précède la lumière.

Ensuite, explorer les textes ésotériques comme les formules d’exorcisme, en les interprétant comme des outils de maîtrise personnelle, similaires aux rituels maçonniques. L’initié devrait lire de manière circulaire, en reliant la Bible à l’encyclopédie d’Isidore pour décrypter les étymologies comme des clés alchimiques du langage sacré. Enfin, intégrer la légende diabolique comme une allégorie de l’ambition spirituelle, en évitant les pièges de la superstition pour en extraire des leçons d’humilité et de persévérance. Cette approche transforme le manuscrit en un miroir de l’âme, favorisant l’élévation par la confrontation au savoir caché.

Aujourd’hui, le Codex Gigas reste un témoignage de l’ambition humaine

Aux yeux de beaucoup, c’est un effort titanesque pour capturer l’essence du monde dans un seul volume. Pour les francs-maçons et les amateurs d’ésotérisme, il symbolise la dualité inhérente à la quête de vérité – entre ombre et lumière, ignorance et sagesse. Dans un siècle où les savoirs numériques se fragmentent, ce géant médiéval nous rappelle l’importance de l’unité et de la persévérance dans la poursuite de l’idéal humaniste.

Codex Gigas, souvent surnommé la « Bible du Diable », Bibliothèque nationale de Suède

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Erwan Le Bihan
Erwan Le Bihan
Né à Quimper, Erwan Le Bihan, louveteau, a reçu la lumière à l’âge de 18 ans. Il maçonne au Rite Français selon le Régulateur du Maçon « 1801 ». Féru d’histoire, il s’intéresse notamment à l’étude des symboles et des rituels maçonniques.

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