mer 03 décembre 2025 - 14:12

De la Llotja à l’Infini

L’Équerre et le Compas face à l’Histoire de Perpignan

1.1 Introduction : Le Cadre et les Enjeux Symboliques

La ville de Perpignan, carrefour historique entre la France et la Catalogne, offre un terreau unique pour l’étude de la Franc-Maçonnerie. Au-delà des figures populaires (le « Centre du Monde » de Dalí), elle fut un bastion des Lumières aux marges du royaume, un lieu où la règle civique (l’Équerre) et l’idéal universel (le Compas) se sont affrontés et entremêlés.

1.2. Le Cadre de l’Étude : La Querelle des Pavés

Ce travail explore la tension entre Loi et Idéal à travers un dialogue fictif, mais nourri de sources historiques, entre deux frères maçons :

• Auguste (L’Équerre) : ancien magistrat, figure de la rectitude, garant de l’Ordre et de l’action publique.

• Célestin (Le Compas) : professeur, esprit critique de l’action temporelle, défenseur de l’universel et du dépassement philosophique.

La rencontre se déroule dans le Temple des Amandiers, le plus ancien temple actif de Perpignan. Ce lieu n’est pas choisi au hasard : il incarne la Vigilance et la Permanence de l’Ordre au fil des siècles, mais aussi la mémoire des pierres de la cité. Les pavés qui mènent au temple deviennent le théâtre invisible de la querelle :

• Pour Auguste, ils sont la preuve tangible de la stabilité civique, la rectitude inscrite dans la ville.

• Pour Célestin, ils sont au contraire une frontière figée, empêchant le cercle du Compas de s’élargir vers l’infini.

Et comme le dit malicieusement Célestin en posant son pied sur une dalle un peu bancale :

« Tu vois, Frère, même les pavés hésitent entre l’Équerre et le Compas… ils penchent, ils résistent, ils rappellent que la rectitude parfaite n’existe que dans nos discours ! »

Ainsi, la « Querelle des Pavés » n’est pas seulement un débat d’idées : elle est une mise en scène initiatique, où chaque pas dans la ville rappelle la tension entre l’ancrage local et l’ouverture universelle, entre la rectitude de l’Équerre et l’élan du Compas.

1.3. La Cité comme Temple : Pavés et Façades

Au-delà du Temple des Amandiers, c’est la ville entière qui se présente comme un temple à ciel ouvert. Les pierres de Perpignan, façades et pavés, deviennent les témoins silencieux de la tension entre Loi et Idéal.

• Les pavés : usés par les siècles, ils rappellent la rectitude de l’Équerre, mais aussi l’imperfection humaine. Chaque irrégularité est une leçon : la Loi peut être tracée, mais jamais parfaitement appliquée.

• Les façades : sculptées par les bâtisseurs, elles sont des « planches tracées » dans la pierre. Elles rappellent que la cité est une loge élargie, où l’architecture devient langage maçonnique.

• Les places : lieux de confrontation et de débat, elles sont le théâtre où l’Équerre et le Compas se croisent dans la vie publique.

Célestin, avec son ironie coutumière, aime à dire en traversant la Place de la Loge :

« Frère, regarde ces pavés : ils sont si irréguliers qu’on dirait qu’ils ont été posés par des apprentis distraits… preuve que la perfection de l’Équerre reste une promesse, pas une réalité ! »

Ainsi, la ville elle-même devient un miroir initiatique : chaque pas dans Perpignan est une épreuve, chaque façade une planche, chaque place un temple.

2 L’Équerre : Loi, Ordre et Mètre Étalon

2.1. L’Ancrage de la Loi : La Place de la Loge

Pour Auguste, l’engagement maçonnique à Perpignan se matérialise par la Loi. Le cœur de cette action est la Place de la Loge, où se côtoient l’Hôtel de Ville et la Loge de Mer (Llotja de Mar).

AUGUSTE : « Notre héritage n’est pas une méditation vaine, mais une rectitude ! Regarde la Loge de Mer ! Avant nous, elle était déjà le lieu où la justice était rendue. Nous avons simplement donné à l’Équerre sa dimension morale pour consolider le Pouvoir Républicain. »

L’Équerre symbolise ici la Justice et la Règle, outils nécessaires pour tailler la « Pierre Brute » de la société.

La Loge de Mer (Llotja de Mar).

2.2. Le Mètre Étalon : L’Équerre Incarnée

L’exemple le plus concret de cette volonté d’Ordre est le Mètre Étalon, scellé sur la façade de l’Hôtel de Ville. Cet étalon, garant de la mesure unique et rationnelle post-Révolution, est l’incarnation de l’Équerre maçonnique dans l’espace public.

AUGUSTE : « Le Mètre Étalon, Frère, c’est l’Équerre en acte ! Une mesure unique, sans le ‘pied de roi’ ni la corruption. Nous avons donné au peuple la certitude face à l’arbitraire. »

2.3. L’Action Civique : L’Épreuve de la Laïcité

Cette obsession pour l’Ordre se traduit politiquement au début du XXe siècle. Les francs-maçons, majoritaires au sein de l’élite républicaine, deviennent les pionniers de la Laïcité dans les Pyrénées-Orientales, luttant pour l’instauration des Lois de Séparation de 1905 et l’expulsion des congrégations religieuses. C’est l’Équerre utilisée comme arme idéologique contre l’obscurantisme.

Mètre étalon officiel en marbre gravé,

installé Place Vendôme à Paris pendant la Révolution française pour introduire le système métrique en France

3 Le Compas : Frontière, Idéal et Critique

3.1. Le Reproche de l’Exclusivité

Pour Célestin, l’engagement d’Auguste est synonyme d’une réduction de l’idéal. L’Équerre a été utilisée pour diviser plutôt que pour unir.

CÉLESTIN : « La Loi, Frère, est nécessaire, mais le Compas est l’esprit qui doit tracer le cercle de la Fraternité universelle ! Au lieu d’ouvrir, vous avez fermé. Vous avez utilisé l’Équerre pour tracer une ligne de front : le camp des « nôtres » (les républicains laïcs) contre « les autres ». »

Le Compas, instrument du ciel et de l’esprit, doit inviter à la tolérance et au dépassement des contingences locales.

3.2. Le Drame de la Frontière Manquée

La position de Perpignan, ville-frontière avec la Catalogne espagnole, est le grand échec du Compas pour Célestin.

CÉLESTIN : « Ici, à la frontière, notre devoir était d’être plus universels que partout ailleurs ! D’utiliser le Compas pour relier Perpignan à Barcelone, au-delà des querelles nationales. Mais non ! On a préféré être la « banlieue de Paris » plutôt que le « Centre du Monde » ! Le Compas est resté plié dans la poche, remplacé par l’ambition municipale. »

Il moque ainsi la vanité des titres et l’oubli de la vocation cosmopolite de l’Ordre.

3.3. La Relativisation Ironique

Célestin utilise l’humour pour relativiser la grandeur de l’action civique :

CÉLESTIN : « Votre Mètre Étalon est beau, oui, mais il ne mesure que des étoffes, pas l’âme humaine ! Et le comble de notre vanité historique, c’est de croire que le Temple de la Justice (la Loge de Mer) est resté sacré, alors qu’il a fini par vendre des hamburgers ! L’Équerre, sans l’esprit du Compas, ne mène qu’au pragmatisme le plus vulgaire»

4 L’Épreuve de l’Équilibre : La Résistance de l’Idéal

4.1. Le Jugement de l’Histoire : Vichy

Le véritable test de l’Équerre et du Compas est l’épreuve de la Seconde Guerre mondiale et la Répression de Vichy. Les loges de Perpignan sont fermées et spoliées.

  • L’Équerre (Auguste) : L’Équerre a désigné les maçons comme ennemis du régime. Ils ont été pourchassés en raison de leur engagement passé dans la construction de la République. « Nous avons été traqués parce que notre rectitude et notre Loi dérangeaient la tyrannie. »
  • Le Compas (Célestin) : La clandestinité a forcé les maçons à se recentrer sur l’essentiel. « Quand il n’y avait plus de titre, plus de Temple, plus de chaise municipale, des frères ont retrouvé la Fraternité dans le secret, dans les montagnes ! Le Compas s’est rouvert à l’infini, sans frontière ni uniforme. L’idéal de l’Humanité a survécu à la ruine de la Loi. »

4.2. La Réconciliation des Protagonistes

Le dialogue se termine par la reconnaissance de la nécessité de l’équilibre. L’un ne va pas sans l’autre. Le Rivesaltes partagé, symbole de la terre et du temps, scelle cette entente.

AUGUSTE : « Tu as un point, Frère. L’Équerre, sans l’idéal du Compas, n’est que froide administration. »

CÉLESTIN : « Et le Compas, sans la Règle de l’Équerre, n’est que vaine rêverie. Le travail du Maçon est de maintenir cet équilibre au fil des siècles. »

5 Conclusion et Réflexion Finale

5.1. Le Devoir d’Équilibre

L’histoire de la Franc-Maçonnerie à Perpignan est celle d’un effort constant pour concilier la Loi de la Cité avec la vocation universelle. Les maçons locaux ont admirablement réussi à construire l’ordre républicain (l’Équerre et le Mètre Étalon), au risque, selon Célestin, de se couper de l’idéal philosophique plus vaste (le Compas et la Fraternité transfrontalière).

5.2. L’Héritage Perpignanais

Aujourd’hui, l’héritage perpignanais n’est pas seulement le Mètre Étalon sur un mur, mais la leçon que dans une ville-frontière, le Compas doit tracer un cercle assez grand pour englober toutes les cultures, tandis que l’Équerre doit garantir la justice pour tous ceux qui vivent à l’intérieur.

6. Conclusion : La Voix de l’Équilibre

Un des temples implantés à Perpignan qui ressemble à ceux de Narbonne et Carcassonne.
Célébration des 250 ans de l’appelation Grand Orient de France à Perpignan en présence du grand maitre Georges Serignac. Plantation de l’arbre de lïcité avec hermeline Malherbe, présidente du Conseil Départemental.

L’histoire des loges de Perpignan nous rappelle que l’ouvrage du Maçon n’est jamais terminé. Il se poursuit dans la cité comme dans l’esprit, sur les pavés irréguliers de la ville comme dans l’infini du ciel. L’Équerre a donné la rectitude nécessaire pour bâtir la Loi et affermir la République ; le Compas a rappelé que cette rectitude n’a de valeur que si elle s’ouvre à l’universel, à la Fraternité sans frontière.

La « querelle des pavés » n’était pas une dispute vaine, mais une épreuve initiatique : fallait-il marcher droit, ou élargir le cercle ? La réponse est dans l’équilibre. Car une cité sans idéal se fige, et un idéal sans cité s’évapore.

Aujourd’hui, le Maçon de Perpignan hérite de cette double exigence :

• Tailler la pierre brute de la société, en garantissant justice et laïcité.
• Tracer le cercle de l’humanité, en reliant les cultures et les peuples au-delà des frontières.

Ainsi, l’Équerre et le Compas ne s’opposent pas : ils se complètent, comme les deux mains d’un même artisan. Et si les pavés de la ville sont parfois bancals, c’est peut-être pour nous rappeler, avec un sourire discret, que la perfection n’est pas de ce monde, mais que l’effort vers elle est notre véritable devoir.

Que l’Équerre nous garde droits, que le Compas nous garde ouverts, et que les pavés de la cité nous rappellent que l’ouvrage se poursuit toujours.

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Gérard Lefèvre
Gérard Lefèvre
En parlant de plume, savez- vous que l’expression “être léger comme une plume” signifie ne pas peser plus lourd qu’une plume et pouvoir soulever quelqu’un ou quelque chose avec une grande facilité ? C’est une belle métaphore pour exprimer la légèreté et la facilité. Et puis, être une plume peut aussi signifier autre chose. On n’est pas seulement « plume », on est « plume de… ». Parfois, on propose à quelqu’un qui a une audience, un public, et pas forcément le temps, ou parfois pas forcément la compétence d’écrire pour être compris et convaincant à l’oral. Alors, que choisir? Être ou ne pas être une plume ? Gérard Lefèvre Orient de Perpignan

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