Le 27 octobre 2025, sous un ciel radieux des Canaries, le Temple Maçonnique d’Añaza a rouvert ses portes au public après des années de restauration méticuleuse. Cet événement solennel, marqué par la présence des autorités locales et régionales, célèbre non seulement la renaissance d’un monument emblématique, mais aussi la préservation d’un patrimoine culturel unique en Espagne. Propriété de la municipalité de Santa Cruz de Tenerife depuis 2001, ce bâtiment classé d’intérêt culturel transforme désormais ses espaces en un musée dédié à l’histoire de la Franc-maçonnerie et en un centre de conférences ouvert à tous.
Ce reportage, capture l’émotion palpable de ce moment historique : des discours vibrants, des applaudissements nourris et les lumières qui s’allument à nouveau sur une façade égyptisante restaurée dans ses moindres détails.
Pourtant, cette réouverture n’a pas manqué de susciter des polémiques.

Un article publié sur le site reinformation.tv a récemment crié au scandale, affirmant que trois millions d’euros d’argent public auraient été détournés pour restaurer un « temple maçonnique » responsable d’attaques historiques contre l’Église catholique, et lié à des persécutions antireligieuses pendant la Guerre civile espagnole. Ces allégations, qui invoquent une idéologie anti-chrétienne persistante et une influence occulte des « Frères », reposent sur une lecture partielle et biaisée de l’histoire.

En réalité, le Temple d’Añaza appartient à la ville depuis plus de deux décennies, comme le confirme sans ambiguïté la page Wikipedia dédiée au monument. Acquis en 2001 pour 470 000 euros auprès du gouvernement espagnol, il a été intégré à un vaste plan de rénovation du patrimoine architectural de Santa Cruz, financé par des fonds publics alloués à la réhabilitation de biens culturels. Les travaux, lancés en 2021 et achevés en 2025, visent explicitement à en faire un espace muséal et éducatif, loin de toute utilisation sectaire. L’article en question ignore ces faits pour privilégier une rhétorique conspirationniste, rappelant les légendes noires qui ont souvent entouré la franc-maçonnerie.
Une Histoire Richesse et Résilience : Des Origines à la Guerre Civile

Pour comprendre la portée de cette réouverture, il faut plonger dans l’histoire fascinante du Temple d’Añaza, qui incarne à lui seul l’évolution de la franc-maçonnerie aux Canaries. La loge Añaza, fondée le 8 août 1895 sous la protection du Grand Orient Ibérique, émerge d’un terreau intellectuel fertile. Ses membres fondateurs proviennent des anciennes loges de Tenerife des décennies 1870-1880, des hommes imprégnés d’idées progressistes qui cherchaient à promouvoir l’éducation, la philanthropie et la liberté de pensée dans une société insulaire encore marquée par des structures traditionnelles.

Légalement constituée en 1904 comme une association à caractère philanthropique, éducatif et de loisir, la loge Añaza se distingue rapidement par son engagement social. Le 27 janvier 1909, elle inaugure dans ses propres locaux l’« école d’Añaza », un centre d’enseignement laïque offrant des cours du soir gratuits aux personnes issues des milieux les plus défavorisés. Cette initiative, qui perdure jusqu’à la disparition de l’atelier en 1936, contribue à diffuser la culture et les valeurs de progrès dans toute l’archipel. Añaza joue un rôle pivotal dans la réorganisation et la consolidation de la franc-maçonnerie canarienne, devenant un phare intellectuel pour Tenerife et les îles voisines.

Le projet phare de la loge reste cependant la construction de son temple propre. Le 29 mai 1899, une commission composée d’Emilio Rosa, José Arado Canal, José Ruiz, Miguel Rodríguez et Francisco Delgado présente un rapport ambitieux : acquérir un terrain de 552 mètres carrés à Calle San Lucas pour un coût de 2 208 pesetas (à 4 pesetas le mètre carré). Les plans initiaux, signés par l’architecte Manuel de Cámara et conservés dans les archives (aujourd’hui à Salamanque suite à la Guerre civile), prévoient un bâtiment fonctionnel : une loge d’entrée, un parvis, un secrétariat, une salle des actes (le temple proprement dit), une salle à manger et des pièces de service. Construit entre 1899 et 1902 par la loge elle-même, le temple est inauguré et consacré le 24 septembre 1904, bien que les finitions intérieures – revêtements, ornementations – se poursuivent jusqu’à la fin des années 1920.

Architecturalement, le Temple d’Añaza est une merveille : le plus grand temple maçonnique d’Espagne, conçu spécifiquement pour cet usage. Sa façade d’inspiration égyptienne, ornée de colonnes évoquant le Temple de Salomon, de sphinx et de l’œil provident sur le fronton, symbolise la quête de vérité, d’évolution et de sagesse. Ces éléments, loin d’être anti-chrétiens comme le prétend l’article polémique, s’inscrivent dans une tradition symbolique universelle, partagée par de nombreuses cultures et philosophies.
La loge Añaza jouit d’une longévité exceptionnelle : elle existe jusqu’au 18 juillet 1936, date fatidique marquant le début de la Guerre civile espagnole. Le 15 septembre 1936, le régime franquiste saisit le bâtiment, confisque ses archives et le réaffecte à des usages militaires – dépôt pharmaceutique, centre optique, hébergement de soldats jusqu’en 1990. Ce chapitre sombre reflète les persécutions subies par les francs-maçons sous Franco, souvent assimilés à des ennemis de l’ordre établi. Pourtant, cette période de spoliation ne définit pas l’essence du temple : elle en souligne au contraire la résilience.
La Restauration et la Réouverture : Un Projet Public au Service du Patrimoine
En 2016, le bâtiment, partiellement endommagé par les outrages du temps et les usages franquistes, attend une restauration. Classé monument historique et reconnu comme l’un des plus beaux exemples d’architecture maçonnique espagnole, il intègre un plan municipal ambitieux. En 2023, une dotation de trois millions d’euros est allouée dans le cadre de la rénovation du patrimoine architectural de Santa Cruz. Ces fonds publics, loin d’être un « scandale », s’inscrivent dans une politique de préservation culturelle : transformer le temple en musée et centre de conférences, avec une ouverture prévue en 2025.
Un reportage photo publié le 2 février 2024 par la rédaction de 450 fm témoigne des travaux en cours : échafaudages, restauration des fresques, consolidation des structures. Jesús Soriano, représentant du Suprême Conseil du 33e degré du Rite Écossais Ancien et Accepté d’Espagne, collabore depuis un accord signé en 2013, assurant une expertise historique sans empiéter sur la vocation publique du site.
Le 27 octobre 2025, la réinauguration rassemble le maire José Manuel Bermúdez, le président des Canaries Fernando Clavijo, le ministre Ángel Víctor Torres et la présidente du Cabildo Rosa Dávila. Le maire déclare : « Santa Cruz s’honore elle-même en rallumant une lumière qui n’aurait jamais dû s’éteindre, un joyau architectural et symbolique qui brille à nouveau au cœur de notre ville. » Il insiste sur les valeurs de progrès et de liberté de pensée promues par les bâtisseurs originaux. Le ministre Torres ajoute que cette réouverture « rend aux citoyens un bien culturel spolié » et recouvre la mémoire de la franc-maçonnerie canarienne, défenderesse de la liberté, l’égalité, la fraternité et l’éducation laïque.

Depuis le mercredi suivant l’inauguration, le public peut visiter ce musée vivant. Les espaces exposent l’histoire de la loge, ses contributions éducatives, et même la réédition numérique du magazine ¡Luz! (lancé en 1931 et relancé en 2025 avec le Parlement des Canaries). En 2023, le temple a reçu le titre de Monument à la Mémoire Historique, honorant les victimes – maçons et non-maçons – du franquisme.
Vers un Avenir Ouvert et Éducatif
La réouverture du Temple d’Añaza n’est pas une glorification sectaire, mais une victoire pour le patrimoine partagé. En réfutant les accusations infondées de l’article de reinformation.tv, qui mélange faits historiques et interprétations partisanes, nous célébrons un lieu qui transcende les clivages. Ce musée et centre de conférences invite tous les citoyens – croyants, athées, curieux – à explorer une page essentielle de l’histoire canarienne.Longue vie à ce nouveau joyau !
Que ses portes restent ouvertes à la connaissance, au dialogue et à la beauté architecturale. Santa Cruz de Tenerife, en rallumant cette lumière, illumine son propre avenir.


 
                                    