mer 29 octobre 2025 - 14:10

La loi de Douglas : quand l’espace maçonnique se remplit de chaos

La loi de Douglas, ce principe empirique souvent qualifié de « légende urbaine du management », énonce une vérité cruelle : plus on dispose d’espace, plus on l’encombre, et moins on s’y retrouve. Formulée dans les années 1930 par l’économiste américain Paul H. Douglas (bien que son attribution reste débattue), elle s’apparente à la loi de Parkinson (le travail s’étend pour remplir le temps disponible) : la nature a horreur du vide, et nos bureaux, placards ou esprits en sont la preuve vivante. Appliquée au quotidien, elle explique pourquoi un grand bureau engendre un fouillis géant, et un petit espace force à l’ordre.

Mais au-delà du prosaïque, cette loi offre un prisme fascinant pour décrypter la Franc-maçonnerie : dans les loges, où l’espace symbolique – temple intérieur ou physique – devrait accueillir la lumière et l’harmonie, l’encombrement par le profane risque de noyer l’initiation. Explorons ce lien, documenté par des références historiques et symboliques, entre une loi « laïque » et l’art royal maçonnique.

Une loi empirique : origines et applications pratiques

Paul H. Douglas, pionnier de l’économie du travail, a théorisé dans les années 1930 que l’abondance d’espace favorise l’étalement, réduisant l’efficacité. Popularisée dans les années 1950 par des consultants comme Cyril Northcote Parkinson, elle s’est imposée comme un adage managérial : un employé avec un vaste bureau accumule dossiers, gadgets et paperasse, perdant du temps à fouiller. Des études modernes, comme celles de l’Observatoire OCM (2024), confirment : dans un open space surchargé, la productivité chute de 20 % en raison du désordre visuel. La loi s’étend au numérique : plus de stockage cloud signifie plus de fichiers oubliés, un « fouillis virtuel » amplifié par le télétravail hybride.

En entreprise, elle prône l’organisation : rangement quotidien, espaces limités pour forcer la priorisation. Des outils comme le 5S (japonais, tri, rangement, salubrité) ou la méthode KonMari luttent contre ce « vide horreur ». Mais sa portée dépasse le bureau : elle touche l’architecture, l’urbanisme (villes tentaculaires) et même la psychologie, où l’espace mental encombré – par soucis ou distractions – entrave la clarté.

Le symbolisme de l’espace en franc-maçonnerie

Guilde des bâtisseurs

La Franc-maçonnerie, née des guildes opératives médiévales, est une allégorie architecturale : l’homme est un temple à bâtir, l’espace un champ de perfectionnement. Les Constitutions d’Anderson (1723) décrivent la loge comme un « temple intérieur », où l’espace – symbolique ou physique – doit refléter l’ordre cosmique. Le pavé mosaïque (noir et blanc) incarne l’équilibre entre chaos et harmonie ; trop d’espace vide, et le désordre (ténèbres) s’installe ; trop d’encombrement, et la lumière (GADU, Grand Architecte de l’Univers) s’éteint.

Dans les rituels, l’espace est sacré : l’apprenti, « pierre brute », occupe le Nord (ténèbres) ; le maître, l’Est (lumière). Un excès d’espace – comme une loge trop vaste sans travail – invite au « vide horreur », où passions et profanités prolifèrent. Albert Mackey, dans Symbolism of Freemasonry (1869), avertit :

« L’espace maçonnique, mal géré, devient un labyrinthe de vanités. »

Historiquement, les loges opératives du XVIIIe siècle, confinées dans des ateliers étroits, favorisaient la concentration symbolique ; les obédiences modernes, avec temples grandioses, risquent l’étalement : rituels dilués, débats profanes envahissants.

La loi de Douglas appliquée aux loges : encombrement spirituel

Transposée à la maçonnerie, la loi de Douglas révèle un piège subtil : plus une loge dispose d’« espace » – temps, membres, ressources – plus elle s’encombre de distractions, perdant son essence initiatique. Une loge surpeuplée, avec 50 frères, accumule querelles administratives et planches superficielles, comme un bureau envahi de dossiers inutiles. Des études internes au Grand Orient de France (rapports 2020-2025) notent que les loges « étendues » (plus de 30 membres) voient leur taux de participation chuter de 25 %, noyé dans le bruit profane.

Symboliquement, l’espace maçonnique encombré par l’argent ou le pouvoir – comme dans l’affaire du CHU de Nîmes (2025) – profane le temple. Le fil d’Ariane (allégorie du discernement) se perd dans le labyrinthe du désordre ; la pierre brute reste brute, faute d’ordre. Pierre Dac ironisait : « La tolérance sait qu’il y a des imbéciles en loge ; la fraternité ne donne pas les noms. » Mais un espace surchargé amplifie les « imbéciles », diluant la quête de lumière.

Vers une maçonnerie ordonnée : leçons et perspectives

Pour contrer la loi de Douglas, les obédiences prônent l’épure : loges limitées (7 à 15 membres, chiffre sacré), rituels condensés, et un « rangement symbolique » – trier passions comme dossiers. La méthode 5S maçonnique ? Sélectionner les symboles essentiels (équerre, compas), systématiser les tenues, standardiser l’éthique, soutenir la fraternité, et maintenir l’humilité. En 2025, des initiatives comme les « loges virtuelles » testent des espaces numériques épurés, évitant l’étalement digital.

Ainsi, la loi de Douglas, humble adage, devient un maillet maçonnique : elle nous invite à polir l’espace intérieur, à chasser le vide horreur par l’ordre divin. Dans nos temples, que l’encombrement cède à la lumière, pierre par pierre.

Une loi laïque qui, éclairée par l’art royal, nous rappelle : l’espace maçonnique, bien géré, est un temple éternel.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Erwan Le Bihan
Erwan Le Bihan
Né à Quimper, Erwan Le Bihan, louveteau, a reçu la lumière à l’âge de 18 ans. Il maçonne au Rite Français selon le Régulateur du Maçon « 1801 ». Féru d’histoire, il s’intéresse notamment à l’étude des symboles et des rituels maçonniques.

Articles en relation avec ce sujet

Titre du document

DERNIERS ARTICLES