mar 22 juillet 2025 - 19:07

Le mot du mois : « Désir »

Désirs ? Singulier ou pluriels ? Nul ne peut y échapper. Et les lexiques sont variés.

Y verrait-on ce que le latin italo-celtique traduit par le sémantisme *avere, désirer avidement ? Ce qui rend audacieux, avide, avare ? Ce qui permet d’oser en projetant son imagination plus loin que les certitudes de réussite ?

Serait-ce le désir qui enflamme en affriolant, c’est-à-dire en brûlant jusqu’à donnant la sensation de frire ?

Le désir est associé à la chair, à l’amour fou, au souffle du baiser, à la bouche qui le suscite. Apollinaire évoque ainsi celle de Madeleine « Je vous ai vue, ô porte rouge, gouffre de mon désir »

Désir d’apaiser la soif, eau fraîche, oasis, caravane qui porte vers elle.

« Quand vers toi mes désirs partent en caravane/ Tes yeux sont la citerne où boivent mes ennuis » Baudelaire.

Le désir est immanquablement en écho d’un manque, d’une frustration.

Source d’imaginaire pervers quand il se combine à la jalousie et à l’absence. Se fomentent alors les pires fantasmes masculins d’enfermement et de désir de soumission, même et surtout à distance. Le désir s’exacerbe dans l’exigence de chasteté, dans la transgression de l’interdit, dans la violence exercée sur l’être inférieur, jusqu’à la sophistication des chefs-d’œuvre de serrurerie et autres mutilations rituelles et religieuses sur soi-même ou l’autre, féminin de préférence. Il n’est que de voir les corsets imposés aux femmes, propres à réfréner le « désir d’amour », tout en exacerbant celui de la gente masculine…

Le sémantisme indo-européen *kuep- désigne ce qui bouillonne. Le latin en infère le lexique du désir violent, cupidité, convoitise, Cupidon. La concupiscence, désir ardent qui replonge constamment dans l’ensemble de ses désirs, surtout associés à la sexualité la plus enfouie, est assimilée à la lascivité, que seule réglerait la confession.

De quoi régaler l’oreille indiscrète des directeurs de conscience, religieux ou non, qui y repèrent la libido, le libidineux, la lubie. Ad libitum…

Le sémantisme *wen- exprime l’idée de désirer.

Venin vénéneux peut-être dans la séduction. Celle que suscite Vénus, déesse de l’amour charnel. Et pas seulement le vendredi…

Vénération adressée aux divinités, dans un culte vénérable. Et chaste !

Le désir serait compagnon de la nostalgie, en ce qu’elle est jouissance dans le ressassement des désirs insuffisamment apaisés, qui demandent à être réparés.

Le désir est étymologiquement latin, *sidus, la constellation. Observation sidérale, qui peut sidérer d’émerveillement, quand on considère avec étonnement la quantité considérable d’étoiles dans le ciel nocturne.

*Desiderium, dé-sidérer exprime alors la perte de l’étoile, le manque douloureux que l’on ressent de l’imagination qu’elle suscite.

Ainsi s’esquisse la tentation, le trouble diffus qu’elle dessine.

Désir toujours associé à l’astre, celui qui élève vers d’autres hauteurs, hors de portée. À tel point que qui s’en voit privé est malotru, *male-astrucum !

 » Le tentateur n’est pas celui qui met dans l’âme de l’autre un désir qui ne s’y trouverait pas, mais celui qui fait en sorte que l’autre prenne conscience qu’en lui se trouve un désir, aussi infime soit-il. […] Et Adam et Eve de succomber, par désir d’un fruit qui a la saveur de l’inconnu «  Eric Fiat, Ode à la fatigue, 2018.

Annick DROGOU

Drôle de mot dont l’étymologie nous révèle qu’il est tombé d’une étoile. Mot profané par la psychologie des profondeurs quand on l’a confondu avec le fantasme. Vain mot quand la philosophie de nos livres de classe terminale l’opposait à la volonté, seule digne de respect.

Pauvre désir orphelin de l’étoile, permanente nostalgie qui frémit telle une vibration de boussole pour quiconque cherche l’essentiel en contemplant la voûte étoilée. De quel repère, de quel souvenir, de quelle destination, le désir est-il l’expression ? Vers quoi, vers où nous tire ce désir ? Ce désir comme une météorite enfouie, le legs d’un essentiel besoin qu’on croyait abandonné. Chercheurs d’étoile, chérissez le désir.

Quiconque a vu la série des tapisseries de La Dame à la licorne au musée de Cluny, à Paris, s’interroge sans fin sur la signification de la formule « À mon seul désir » qui préside à la sixième tapisserie, les cinq autres étant consacrées aux cinq sens, vue, ouïe, odorat, goût et toucher. Quel est donc ce « seul » désir, ce sixième sens ? Où est-il ? Dans l’infini stellaire assurément.

Jean DUMONTEIL

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Annick Drogou
Annick Drogou
- études de Langues Anciennes, agrégation de Grammaire incluse. - professeur, surtout de Grec. - goût immodéré pour les mots. - curiosité inassouvie pour tous les savoirs. - écritures variées, Grammaire, sectes, Croqueurs de pommes, ateliers d’écriture, théâtre, poésie en lien avec la peinture et la sculpture. - beaucoup d’articles et quelques livres publiés. - vingt-trois années de Maçonnerie au Droit Humain. - une inaptitude incurable pour le conformisme.

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