mar 22 juillet 2025 - 04:07

« L’éloge de la fuite » d’Henri Laborit : Une réflexion sur la liberté intérieure et ses échos dans la Franc-maçonnerie

Publié en 1976, Éloge de la fuite de Henri Laborit, neurobiologiste et philosophe français, est un essai audacieux qui invite à repenser les mécanismes de domination sociale et à chercher une émancipation intérieure face aux contraintes imposées par la société. L’ouvrage explore comment l’individu peut « fuir » non pas physiquement, mais mentalement, en refusant les hiérarchies oppressives et en cultivant une liberté de pensée.

Ce concept résonne de manière singulière avec les idéaux et pratiques de la Franc-maçonnerie, une fraternité historique qui, elle aussi, s’est construite autour de la quête de liberté et de réflexion personnelle.

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Une fuite comme acte de résistance

Laborit soutient que l’être humain, prisonnier des structures sociales, réagit souvent par la soumission, l’agressivité ou la fuite. Pour lui, cette dernière, lorsqu’elle est intérieure, devient un acte de résistance : refuser de se plier aux dominations extérieures en cultivant sa propre autonomie intellectuelle. Il s’appuie sur ses recherches en neurosciences pour expliquer comment les conditionnements sociaux inhibent notre capacité à penser librement, suggérant que la véritable liberté passe par une rupture avec ces schémas imposés. Cette idée d’une évasion mentale vers un espace de souveraineté personnelle trouve un écho dans la franc-maçonnerie, où les rituels et les symboles servent de cadres pour encourager les membres à dépasser les dogmes extérieurs et à explorer leur propre vérité.

La franc-maçonnerie : un refuge pour la pensée libre

Née au 18e siècle avec la fondation de la Grande Loge de Londres, la franc-maçonnerie s’est développée comme un espace de réflexion philosophique, attirant érudits, aristocrates et penseurs en quête d’un ailleurs intellectuel. Comme Laborit, les francs-maçons cherchent à s’affranchir des contraintes sociales et religieuses de leur époque, utilisant les loges comme des lieux de « fuite » symbolique. Les rituels, ancrés dans des mythes comme celui des bâtisseurs de cathédrales, et les grades initiatiques (Apprenti, Compagnon, Maître) sont des outils pour guider l’individu vers une introspection et une liberté intérieure, loin des pressions extérieures. Cette quête d’autonomie s’aligne avec l’idée laboritienne de résister à l’oppression par la pensée.

Paralèlle entre domination et initiation

Laborit décrit la société comme un système hiérarchique où la domination s’exerce par la peur et la récompense, un constat que les francs-maçons ont souvent critiqué à travers leur histoire. Dès le Moyen Âge, les guildes de maçons, ancêtres symboliques de la franc-maçonnerie, fonctionnaient comme des communautés égalitaires face aux seigneurs féodaux. Au 18e siècle, la franc-maçonnerie spéculative a repris cet esprit en s’opposant aux absolutismes monarchiques et religieux, notamment en France avant la Révolution. L’initiation maçonnique, avec son exigence de remise en question personnelle, peut être vue comme une « fuite » organisée face aux conditionnements sociaux, un processus que Laborit aurait pu apprécier pour sa capacité à libérer l’esprit.

Une limite commune : l’accessibilité de la fuite

Cependant, tant l’ouvrage de Laborit que la franc-maçonnerie soulèvent une question d’accessibilité. Éloge de la fuite reste un texte exigeant, accessible principalement à un public cultivé, tandis que la franc-maçonnerie, avec ses rites complexes et son élitisme historique, n’a pas toujours été ouverte à toutes les classes sociales. Cette tension entre idéal d’émancipation et exclusivité rappelle que la « fuite » prônée par Laborit, comme l’initiation maçonnique, demande un effort personnel qui peut être hors de portée pour ceux opprimés par des contraintes matérielles.

Une quête partagée de liberté

Alors que les débats sur la liberté individuelle et collective restent d’actualité, Éloge de la fuite offre une réflexion intemporelle qui croise les aspirations de la franc-maçonnerie. Tous deux, à leur manière, invitent à une évasion intérieure pour défier les dominations et construire un espace de pensée libre. Si Laborit propose une philosophie individuelle, la franc-maçonnerie l’inscrit dans une fraternité collective, démontrant que la fuite peut aussi être un acte partagé. Cet parallèle éclaire la pertinence durable de ces deux approches face aux défis d’une société toujours plus normative.

3 Commentaires

  1. Le dernier recours contre l’uniformisation, il ne nous en reste qu’un seul, puisque nous considérons la lutte vaine, la fuite, la fuite en nous-mêmes. On ne peut pas sauver l’individu dans le monde, on ne peut que défendre l’individu en soi.
    La plus haute réalisation de l’homme spirituel reste la liberté, la liberté par rapport à autrui, aux opinions, aux choses, la liberté pour soi-même.

    Et c’est notre tâche, devenir toujours plus libre, à mesure que les autres s’assujettissent volontairement. Plus les intérêts se diversifient et s’étendent dans tous les cieux de l’esprit, plus l’inclination d’autrui devient monotone, à sens unique, mécanique, et tout cela sans ostentation. Ne vous en vantez pas, nous sommes différents.

    N’affichez pas votre mépris pour toutes ces choses qui ont peut-être un sens supérieur que nous ne comprenons pas. Séparons-nous à l’intérieur, mais pas à l’extérieur. Portons les mêmes vêtements, adoptons tout le confort de la technologie.

    Ne nous consumons pas dans une distanciation méprisante, dans une résistance stupide et impuissante au monde. Vivons tranquillement, mais librement. Intégrons nous silencieusement et discrètement dans le mécanisme extérieur de la société.

    Mais, vivons en suivant notre seule inclination, celle qui nous est la plus personnelle. Gardons notre propre rythme de vie, sans détourner le regard par orgueil.
    Ne nous éloignons pas effrontément. Mais regardons, cherchons à reconnaître, puis à rejeter, sciemment, ce qui ne nous appartient pas. Et maintenons sciemment ce qui nous semble nécessaire.

    Car si nous refusons en notre âme l’uniformité croissante de ce monde, nous restons reconnaissants et dévoués à ce que celui-ci a d’indestructible, à ce qui demeure au-delà de tout changement. Des forces sont encore à l’œuvre qui ignorent toute fragmentation et tout nivellement.
    La nature est toujours changeante dans ses formes et, au fil des saisons, façonne de façon éternellement nouvelle la montagne et la mer.

    Philia joue encore son jeu perpétuellement varié, l’art survit dans l’invention d’êtres continuellement pluriels, la musique jaillit des sources sonores de plus en plus hétéroclites, provenant de personnes ouvertes d’esprit, et d’innombrables phénomènes et chocs émanent encore des livres et des images.
    Si tout ce que l’on appelle notre culture devient de plus en plus morcelé, désillusionné, le bien premier de l’humanité, qui désigne les éléments de l’esprit et de la nature, ne peut être monnayable auprès des masses tant il gît au plus profond des puits de l’esprit, dans les galeries souterraines des sentiments.
    Il se tient trop loin des rues, trop loin du confort. Ici, dans l’élément éternellement transformé, et toujours prompt au renouvellement, une infinie variété attend les volontaires. Voici notre atelier, notre monde à nous, qui ne sera jamais monotone.

    Texte de Stéphan Zweig en 1920.

      • La maison d’édition • Bibliothèque Allia

        L’Uniformisation du monde
        Stefan Zweig
        Nouvelles dictatures européennes et Seconde Guerre mondiale
        La montée des périls (1920-1939)
        “Les visages finissent par tous se ressembler, parce que soumis aux mêmes désirs, de même que les corps, qui s’exercent aux mêmes pratiques sportives, et les esprits, qui partagent les mêmes centres d’intérêt. Inconsciemment, une âme unique se crée, une âme de masse, mue par le désir accru d’uniformité, qui célèbre la dégénérescence des nerfs en faveur des muscles et la mort de l’individu en faveur d’un type générique.”
        Dès 1925, Stefan Zweig pressent l’un des grands bouleversements sociaux de notre temps : l’uniformisation du monde. Alors que le concept de mondialisation reste toujours à inventer, il examine avec perplexité des sociétés qui gomment peu à peu toutes leurs aspérités. Comment en sommes-nous arrivés là ?
        Dans ces pages habitées d’une lumineuse mélancolie, il décrit déjà l’avènement de l’instantanéité et de la simultanéité, à travers la mode, le cinéma, la radio ou même la danse. Facilité par des bouleversements techniques profonds, ce culte de l’éphémère joue un rôle central dans l’unifor­misation critiquée par Zweig.
        S’il dénonce la gravité d’un tel processus­, c’est tout simplement qu’il en va de notre liberté. À une époque où le fascisme commence à poindre, Zweig nous met en garde contre une autre forme de tyrannie. Car il n’y a qu’un pas de l’uniformisation des modes de vie à la servitude volontaire des individus. En écho à la massification de la vie sociale, cette uniformisation ouvre finalement la porte à toutes les dérives autoritaires du pouvoir, dont Zweig perçoit le risque avec sensibilité. Dernier recours pour les individualités récalcitrantes : fuir en elles-mêmes, pour oublier l’oppression du collectif.
        Édition bilingue.
        Traduit de l’allemand par Francis Douville Vigeant

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Alice Dubois
Alice Dubois
Alice Dubois pratique depuis plus de 20 ans l’art royal en mixité. Elle est très engagée dans des œuvres philanthropiques et éducatives, promouvant les valeurs de fraternité, de charité et de recherche de la vérité. Elle participe activement aux activités de sa loge et contribue au dialogue et à l’échange d’idées sur des sujets philosophiques, éthiques et spirituels. En tant que membre d’une fraternité qui transcende les frontières culturelles et nationales, elle œuvre pour le progrès de l’humanité tout en poursuivant son propre développement personnel et spirituel.

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