sam 21 juin 2025 - 17:06

Le discernement éthique face au réel : entre pardon, acceptation et renoncement 

Trois mots : pardon, acceptation et résignation.
Trois processus internes que l’on confond trop souvent.

Et pourtant, ces trois attitudes, si elles partagent un apparent calme, n’engagent ni la même conscience, ni la même éthique, ni le même rapport à l’autre, à soi et au réel.

Ils peuvent tous donner l’illusion de la paix, mais seule la justesse du mouvement intérieur – celui qui respecte notre alignement profond– permet d’accéder à une véritable paix intérieure.

Distinguer ces trois voies exige un acte subtil.

Savoir s’écouter profondément, accueillir en silence ce qui, en nous, résiste ou se tait ; reconnaître sans détour tout écart à notre propre rectitude morale, à notre exigence de vérité intérieure. Il en va de notre équilibre intérieur, de notre cohérence, de notre paix.

Que se passe-t-il quand on se trompe de mot, ou pire : de processus intérieur ?

Le pardon : un acte éthique d’ouverture

Pardonner pleinement implique souvent d’accepter.

Mais accepter, ici, ne signifie ni cautionner, ni excuser.

C’est reconnaitre l’autre dans son humanité, dans sa singularité, avec sa faute, certes, mais sans l’y enfermer. Pardonner suppose une confrontation juste, un travail de vérité et parfois un non ferme, qui libère.

C’est un acte libre et éthique, un choix conscient de ne pas réduire l’autre à ce qu’il a fait, ni à ce qu’il est devenu.

Paul Ricoeur Balzan

Paul Ricœur le formule ainsi : le pardon éthique ne nie pas la faute, mais refuse que celle-ci enferme définitivement l’individu dans son passé – il ouvre un avenir, sans effacer la vérité.

Pardonner, c’est aussi se confronter à l’épaisseur de la blessure, et apprendre à la chérir. C’est aimer sans naïveté, accueillir sans justifier, rester en lien sans se trahir.

C’est traverser pleinement un processus intérieur où le cœur et l’éthique s’accordent dans un même mouvement.

Ce mouvement vaut pour l’autre, mais aussi pour le Soi et pour le réel : se pardonner à soi-même, ou pardonner à la vie, c’est suivre ce même chemin de reconnaissance lucide,  sans repli, sans illusion.

L’acceptation : une lucidité sans renoncement

On peut accepter sans pardonner.

Car accepter, c’est cesser de battre contre ce qui est. C’est déposer les armes intérieures là où le réel ne peut être changé, non par résignation, mais par lucidité.

C’est reconnaître une situation, un état de fait, une blessure, sans chercher à la nier ni à la transformer à tout prix. Accepter n’est pas valider. C’est dire : « Je ne peux pas changer cela, mais je peux cesser de m’y opposer intérieurement. »

C’est une posture de présence qui ouvre à la paix, sans renoncer à la dignité ni à la justice.

L’acceptation nous libère du besoin de réparer, ou même de rester en lien. Elle nous rend à nous-mêmes, mais ne crée pas forcément de réconciliation.

Simone Weil incarne cette vision dans ses écrits : celle d’une acceptation du mal sans jamais y consentir intérieurement – un acquiescement lucide au réel, qui ne bascule jamais dans la soumission.

Accepter, c’est un acte d’ancrage éthique : une reconnaissance de ce qui est, sans justification, sans refus, sans oubli.

La résignation : une illusion de paix intérieure

Enfin, il est primordial de ne pas confondre acceptation et résignation.

Se résigner, ce n’est ni accepter, ni pardonner.

C’est un processus passif, une paix apparente souvent déguisée en sagesse. Cette voie qui fige naît d’un épuisement profond, d’un découragement intérieur, d’une perte de foi dans la possibilité de changement, de parole, ou de rencontre. C’est l’arrêt du mouvement, l’arrêt du vivant, là où le pardon ou l’acceptation sont des actes de lucidité active.

Se résigner, c’est abdiquer. C’est taire en soi une lutte toujours vive.  C’est se couper de ce que l’on ressent, au nom d’un apaisement apparent. Mais le corps, l’âme, le cœur, eux, n’oublient pas.

Simone Weil aurait sans doute vu ici une forme de violence spirituelle muette : celle d’un refus de la réalité sans l’élan de la transcender. Jung y aurait vu une ombre réprimée, rongeant en silence la vitalité psychique.

Car se résigner, c’est se condamner à une violence intérieure, parfois inconsciente. C’est faire de soi le terreau d’une souffrance silencieuse, de frustrations, de conflits latents. 

Cette voie enterre nos désirs, ronge l’élan vital.

C’est le lieu du reniement discret. Le moment où l’on se détourne de soi, où l’on perd sa boussole intérieure, au nom d’une paix qui n’est qu’un silence forcé.

Discernement : une voie d’éthique intérieure

Pardonner, accepter, se résigner : trois visages. Trois chemins.
Mais une seule voie mène à la paix véritable : celle qui honore la vérité du cœur, l’exigence de l’âme, et la fidélité à soi-même.

Le discernement intérieur est un acte de conscience.

Suis-je encore en lien avec moi-même ?
Ou suis-je en train de me taire pour ne pas déranger ?

Carl Gustav Jung

Carl Jung dirait ici que discerner en soi la frontière entre la lumière et l’ombre est essentiel à l’individuation – il ne s’agit pas de refouler ce qui dérange, mais de l’intégrer pour en faire un levier de transformation.

Car la paix véritable ne se négocie pas contre soi.
Elle se cultive dans l’ajustement délicat entre la reconnaissance du réel, la fidélité à soi et l’ouverture à l’autre.

En écho à l’article précédent « Penser l’autre au-delà du miroir : pour une éthique du pardon entre Individuation et Altérité », concluons ainsi :

C’est dans cette tension vivante – entre fidélité à soi et ouverture au réel – que s’inscrit le vrai pardon : un mouvement éthique, que Ricœur verrait comme une herméneutique du soi en relation, et que Jung reconnaîtrait comme une étape décisive de l’individuation, là où l’ombre devient lumière intégrée.

Pardonner, c’est libérer
Accepter, c’est accueillir
Se résigner, c’est s’éteindre.
Seul le discernement intérieur permet de choisir la voie juste – celle qui ne trahit ni soi, ni l’autre, ni le réel.

Elodie Herbert

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