ven 20 juin 2025 - 22:06

L’usage du cadre en Franc-maçonnerie : entre contrainte et liberté initiatique

Dans l’univers symbolique de la Franc-Maçonnerie, le concept de « cadre » revêt une richesse méconnue, bien au-delà de son usage courant. Cet article, destiné à un large lectorat de notre journal maçonnique, explore cette notion à travers son histoire, ses multiples facettes et sa signification profonde, offrant une réflexion accessible à tous, qu’ils soient initiés ou simplement curieux de notre Art Royal.

Une Origine Historique et Symbolique

Le terme « cadre » émerge au XIIIe siècle dans un contexte militaire, dérivé du latin quadrum, signifiant « carré ». Cette racine nous plonge dans le domaine du quatre, symbole de la matière, contrastant avec le trois associé à la spiritualité. Le mot a depuis évolué, adoptant des déclinaisons variées : cadre de porte, cadre numérique sur Internet (le « frame »), cadre champêtre, cadre marin (un lit), cadre doré d’un tableau, voire le « cadre de feu » – un supplice pratiqué par certaines tribus amérindiennes –, cadre de vélo, cadre de vie, statut de cadre en entreprise, loi cadre, ou encore le prestigieux Cadre Noir d’équitation. Cette diversité illustre une constante : le cadre délimite, sépare, structure.

Porte du soleil

En Franc-Maçonnerie, le cadre le plus emblématique est celui de la loge, un espace distinct où se réunissent les membres. Cette séparation entre l’intérieur – le sacré – et l’extérieur – le profane (du latin pro-fanum, « devant le temple ») – crée une frontière symbolique. Le parcours initiatique guide le Maçon du profane, à l’ouest, vers le sacré, via le nord jusqu’au sud, traçant un cadre invisible en forme d’équerre. Cette progression reflète une transition intérieure, un passage d’un état à un autre, encadré par des repères géométriques.

Le Cadre comme Hiérarchie et Rituel

Le cadre se manifeste également dans la hiérarchie maçonnique, un mot composé de hieros (« sacré ») et arkos (« rectitude »), soulignant une organisation sacrée et ordonnée. Souvent opposée à l’anarchie – refus d’une autorité unique –, cette structure se distingue de l’anomie (a-nomos, absence de loi ou d’ordre). Cette dualité entre cadre sacré et absence d’ordre structure l’expérience maçonnique, où les officiers et les membres évoluent dans une codification de gestes, de paroles et d’esprit : le rituel. N’est-ce pas, en soi, un autre cadre ? De même, la loge dans son ensemble, ses membres et l’obédience qui la surplombe, tous participent à cet encadrement.

Ainsi, le Maçon semble évoluer dans une mosaïque de cadres : outils, gestes, déplacements, paroles, organisations humaines, espaces de réunion. Certains sont triangulaires, d’autres carrés ou circulaires. Cette prolifération soulève une question légitime : avec autant de cadres, comment rester un « Maçon Libre » ? La liberté, essence de notre démarche, semble paradoxalement entravée par ces contraintes. Comment concilier les deux ?

Le Cadre : Contrainte ou Outil de Libération ?

La liberté est au cœur des idéaux maçonniques, comme dans la société profane. Pourtant, notre époque, hyperstructurée, sécurisée et connectée, multiplie les cadres – policier, législatif, médical, familial – censés garantir notre bien-être. Ironiquement, cette surprotection alimente une peur croissante, attisant l’agressivité. Comme le note La Rochefoucauld dans ses Maximes :

« La peur n’est pas dans le danger, elle est en toi. »

Cette peur, née du contrôle mental, nous déconnecte de notre centre, nous poussant à déléguer notre pouvoir à des « Maîtres de substitution » – entreprises, nationalités, institutions – pour apaiser notre anxiété.

Prenons un exemple concret : en cas d’accident d’avion, comme le vol Rio-Paris d’Air France en 2009, les indemnisations varient drastiquement selon la nationalité. Une famille américaine a reçu 4 millions de dollars, une brésilienne 750 000 dollars, et une européenne seulement 250 000 dollars, selon AXA. Ces disparités illustrent comment les cadres sociaux, loin de rassembler, divisent et valorisent certains au détriment d’autres.

Le cadre, bon ou mauvais ? Cela dépend de notre conscience. Lors d’une ascension montagneuse, les chemins, panneaux, guides et même les chaussures sont des cadres. S’ils servent l’orgueil – grimper avec un champion mondial pour briller – ou la comparaison – porter les chaussures les plus chères –, ils deviennent des chaînes. Mais s’ils soutiennent un voyage intérieur, ils se transforment en outils d’éveil. Le cadre, bien utilisé, nous aide à transcender la dualité sacré/profane pour atteindre notre centre.

Du Cadre à la Conscience

Quand la conscience guide nos choix, le cadre perd son caractère contraignant. La dualité s’efface, tout devient sacré. Les notions morales de bien et mal, héritées de visions manichéennes, cèdent la place à un équilibre dynamique : le juste ou le chaos créateur, états transitoires de la vie. Un militaire décoré pour avoir tué un ennemi contraste avec une femme qualifiée de criminelle pour avoir tué un mari violent, prouvant la relativité de ces jugements.

Nelson Mandela

Un exemple emblématique est Nelson Mandela. Après 27 ans de prison pour 200 actes terroristes, le cadre carcéral devint son atelier de sagesse, le propulsant vers la présidence de l’Afrique du Sud et un Nobel de la Paix. Ce cadre, initialement une contrainte, devint un levier de transformation.

De même, lors de l’initiation, le bandeau sur les yeux – un cadre de cécité – n’est pas une épreuve à surmonter, mais un cadeau. Il oblige le candidat à s’intérioriser, à sentir sans voir, à faire confiance à l’Expert et aux Frères et Sœurs qui l’accompagnent lors des trois voyages symboliques. Retirer le bandeau ne ramène pas à la Lumière, mais au profane extérieur. Ce moment de cécité, bien qu’éphémère, est un acte d’humilité et de foi, souvent oublié par ceux qui, une fois initiés, se perdent dans des certitudes.

La chaîne d’union, avec les mains passant d’un inconnu à l’autre, émeut encore ceux qui en gardent le souvenir. Qui oserait négocier son serment ou refuser une épreuve par peur du feu ou d’une piqûre ? Pourtant, nous avons tous plié l’échine sous la porte basse, acceptant ce cadre avec dignité. Pourquoi, alors, certains maçons, remplis de certitudes, oublient-ils cette humilité originelle pour s’enfermer dans la peur, la comparaison ou la compétition ?

Vers une Liberté Conscience

Peut-être l’antidote réside-t-il dans un amour inconditionnel de soi, chassant la peur et l’orgueil. Une équation simple émerge :

« Plus je m’aime, plus j’aime les autres ; moins je m’aime, plus je me coupe des autres. »

Les vices et vertus, piliers initiaux de la Maçonnerie, s’effacent devant la conscience – non pas les émotions trompeuses, mais l’action juste au moment opportun, comme le rappelle notre Rituel en reliant le Maçon au Divin.

En conclusion, le cadre est un outil pour distinguer le dedans du dehors dans la dualité. Par un travail intérieur, le Maçon s’affranchit de ses passions, trouve son centre et incarne la sagesse. Aligné, il « est » sans forcer, sa parole et son écoute deviennent justes. Libéré de son tablier, de ses rituels et de ses espaces, il porte partout l’essence du sacré et du profane réunis. Ce voyage initiatique, proposé dans ces lignes, espère vous inspirer pour de futures rencontres fraternelles.

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Pierre d’Allergida
Pierre d’Allergida
Pierre d'Allergida, dont l'adhésion à la Franc-Maçonnerie remonte au début des années 1970, a occupé toutes les fonctions au sein de sa Respectable Loge Initialement attiré par les idéaux de fraternité, de liberté et d'égalité, il est aussi reconnu pour avoir modernisé les pratiques rituelles et encouragé le dialogue interconfessionnel. Il pratique le Rite Écossais Ancien et Accepté et en a gravi tous les degrés.

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