dim 08 juin 2025 - 07:06

L’énigme des Maîtres -22- Le Secret de la Mesure et de la Raison

Pour lire l’épisode précédent : ici

Comprenant son atermoiement, le comte Archibald voulut le rassurer et lui révéla leur appartenance de tous deux à la société Mensura, ses responsabilités en tant que gardien de cette autre Institution, et en commença une rapide présentation par un préalable.

– On peut considérer que l’humanisme repose sur quatre piliers : une réflexion sur l’homme et sa destinée, des discussions sur la gouvernance de la cité, une volonté de rassembler toutes les connaissances scientifiques disponibles et enfin une méthode. Cette méthode repose sur la raison et sur la validation par les pairs. Ne dépendre d’aucune autorité supérieure et d’aucun dogme, faire ses preuves par soi-même. Nous œuvrons pour un développement de la moralité humaine non pas dans un sens rigide ou dogmatique, mais dans le sens de la compréhension de notre lien fondamental avec tout autre être vivant et de la manière dont cela conduit naturellement à un mode de vie éthique au profit des autres.

Le nom Mensura est issu du Livre de la Sagesse qui indique que Dieu a créé le monde par « Nombre, poids et Mesure » Numero, Pondere et Mensura ». Cette « mesure » emporte une double acception : 1. Les mystères du monde se révèlent par le Logos c’est-à-dire par les arts libéraux et la philosophie, précurseurs des sciences modernes en prenant la mesure du monde dans son principe de cohérence (qui est l’étymologie du mot Géométrie) 2. Une conduite morale et « mesurée », une éthique ennemie des fanatismes. Elle prend la forme d’une « philosophie pratique » ouvrant la voie à la liberté et au bonheur pour les individus et les sociétés. La mission de M peut se résumer à l’avènement d’un monde régit par le Logos où la cité et les citoyens se gouvernent « selon Jésus et Socrate » tout comme énoncé dans le 13ème principe de votre frère Benjamin Franklin.

L’origine de M s’est perdue et les « fellows » adoptent une origine mythique où la première « Grand Maître » fut Hypatie d’Alexandrie. Selon cette légende, M était alors centré sur l’école néo-platonicienne d’Alexandrie, contrainte à la clandestinité par le fanatisme chrétien de Cyrille, évêque d’Alexandrie. Cependant il est plus vraisemblable que M soit l’œuvre de Marsile Ficin, fondateur de l’académie néo-platonicienne de Florence dans la Villa Careggi, avec le soutien de la richissime dynastie des Médicis. Elle, aussi, sera contrainte à la clandestinité lors du harcèlement du fanatique chrétien Jérôme Savonarole.

M refuse les dogmatismes et agit discrètement contre toutes formes de fanatismes, œuvrant à la véritable « Ecclesia », l’union des hommes de bien.

M développe et soutien les fondamentaux des sciences seules susceptibles d’appréhender la Vérité de l’œuvre divine. Michel Ange immortalise le signe M au plafond de la chapelle Sixtine. Contraints à la plus grande discrétion, les fellows de M adoptent comme maxime « caute » c’est-à-dire « prudence » et « silence ». Une discrétion soumise à un serment très strict pour la  protection de M, en attendant le moment propice pour l’avènement d’une société pleinement socratique. Certains membres supportent mal de taire la raison et en particulier l’italien Giordano Bruno qui enrôla les plus grands esprits de son temps à Lyon, Paris, Londres puis à Wittenberg. Son affirmation des conséquences théologiques et humanistes de la révolution copernicienne lui vaudront d’être exécuté. Les ténèbres dogmatiques continuent de régner.

Les ambassadeurs de M en France sont Jean de Dinteville et Georges de Selve, immortalisés par le peintre Hans Holbein lors de leur visite à Londres. Avec son crucifix évincé derrière un rideau dans le coin haut à gauche du tableau et tous les objets hétéroclites sur les étagères, marques du pouvoir et du savoir figurant le quadrivium., Holbein traduit fidèlement la philosophie de M.

Puis, le siège de M fut installé à la cour de Rodolphe II à Prague et connaîtra son âge d’or au XVIe siècle, grâce à son réseau d’intellectuels du Saint Empire avec Michael Maïer, Albrecht Dürer, Johannes Kepler, Théodor de Bry, Heinrich Kunrath. Et surtout avec Michel de Montaigne qui va inventer la laïcisation de la pensée, la méthode introspective, le   relativisme culturel, l’antispécisme, le féminisme, l’amitié.

M parvient même à convaincre le Mage Anglais John Dee de les rejoindre ainsi que Robert Dudley, 1st Earl of Leicester, afin d’influencer la couronne britannique. Fort des appuis de nombreux princes allemands, et sentant que le moment est enfin venu, John Valentin Andrae insista pour que M passe à l’action. Ce fut un schisme brutal qui rompit avec la devise « caute ». Valentin Andrae fera sécession et créera le mouvement Rose-croix ex-nihilo.

Le signe est peint par Le Greco sur le portrait du kabbaliste marrane Cervantès.

Spinoza déplace M à La Haye et parvient à convaincre John Colerus, Johan de Witt et le précepteur de Guillaume d’Orange, Gaspard Fagel de les rejoindre qui adoptera « caute » comme maxime personnelle.

Avec l’aide de l’espion écossais Robert Moray et grâce à l’arrivée de Guillaume d’Orange sur le trône d’Angleterre, Spinoza intensifie les liens avec Huygens et Oldenburg qui parviennent à implanter M au sein même de la Royal Society avec Sir Christopher Wren, l’architecte du Roi, et le génial Isaac Newton. En infraction avec son serment Spinoza ne peut s’empêcher de rendre publique l’éthique de M, dans son titre complet  Éthique démontrée suivant l’ordre des géomètres.

M s’inscrit dans la pensée de la religion naturelle qui a été développée par les philosophes des « Lumières » avec en Angleterre Locke, Hume, Toland et en France Voltaire et Diderot, sans oublier Bayle, pour ne citer que les plus illustres. Elle doit être une religion sans révélation, ni clergé et fondée sur la raison. « La religion naturelle représente, la religion des philosophes qui entendent faire de la raison ou lumière naturelle le fondement de toute connaissance mais surtout la base d’un déisme et d’une morale universelle, capables de se débarrasser de dogmes irrationnels et autoritaires et de mettre fin au relativisme historique et culturel des différentes religions phallocratiques révélées. »

Grâce à son influent réseau européen, M va largement contribuer à décléricaliser les lieux de cultes lors de la révolution française en les convertissant en Temple de la Raison.

J’attire votre attention sur Louis XVI  écrivant son testament à la tour du Temple le 20 janvier 1793, représenté par Henri-Pierre Danloux. Ce qui est intéressant pour nous c’est que cet artiste a aussi réalisé en 1791 le portrait  de Joseph Banks, Botaniste et naturaliste, et surtout président de la Royal Society de 1778 à 1820. Avec le geste pseudo-zygodactyle des deux mains de Louis XVI, il dit soit son appartenance à Mensura, soit que c’est le roi qui en fit partie. Une parenthèse que vous n’ignorez pas, votre Altesse : l’appartenance, à la Franc-maçonnerie, la moins connue ou la plus ignorée était sans doute celle de Louis XVI, lui-même, et de ses deux frères qui régneront sur la France lors de la restauration, Louis XVIII et Charles X.

Dans son testament du vingt cinquième jour de Décembre, mil sept cent quatre vingt douze, Louis XVI ne recommande-t-il pas à son fils qu’il ne peut faire le bonheur des Peuples qu’en régnant suivant les Lois, mais en même temps qu’un Roy ne peut les faire respecter, et faire le bien qui est dans son cœur, qu’autant qu’il a l’autorité nécessaire, et qu’autrement étant lié dans ses opérations et n’inspirant point de respect, il est plus nuisible qu’utile ? 

Même le roi des français, Louis-Philippe 1er, dit Égalité, fils de Louis-Philippe duc d’Orléans, Grand Maître du GODF, aurait soutenu  Mensura. Il le montre, en faisant le signe de la main, sur son portrait en pied, peint par Franz Xavier Winterhalter qui l’a représenté dans la Galerie des batailles au château de Versailles. Tout autant, le gant droit, posé derrière lui sur la table, en manifeste la forme.

Sir Archibald marqua une pause puis se penchant vers le Grand Maître prenant un ton grave conclut :

– Vous l’aurez compris, votre Altesse, pour Mensura, il s’est agi et il s’agit toujours de contribuer à la reconnaissance de l’intelligence sous toutes ses formes dans une optique humaniste et de promouvoir, dans un esprit de respect et de tolérance, une intelligence collective au service de l’humanité tout en ne fuyant « ni de la vie active dans la vie contemplative, ni inversement, mais faire alternativement route vers l’une et vers l’autre, être chez nous dans chacune d’elles et participer à toutes les deux. »

N’ayez crainte, nous saurons quoi faire du diamant.

La suite la semaine prochaine

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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