mer 07 mai 2025 - 06:05

À l’intérieur de trois

Deux aristocrates hongrois avaient décidé de jouer à un jeu où le gagnant serait celui qui prononcerait le nombre le plus élevé. Bien dit l’un d’eux, c’est à vous de commencer. Après quelques instants d’intense réflexion il annonça : trois. C’est vous qui avez gagné reconnut l’autre en abandonnant.

Si les deux hommes avaient été des Hottentoth, aux dire des explorateurs, l’histoire eût pu être la même. En effet, plusieurs tribus hottentoth, n’ont, dans leur vocabulaire, de nom pour désigner les nombres supérieurs à trois. Au-delà ils utilisent l’adverbe «beaucoup».

La nature indique qu’il n’y a que trois dimensions dans le corps, écrit Claude-Louis de St Martin, qu’il y a trois divisions possibles dans tout être étendu, qu’il n’y a que trois figures dans la géométrie, qu’il n’y a que trois facultés innées dans quelque être que ce soit, qu’il n’y a que trois mondes temporels ou trois grades dans la vraie Franc-maçonnerie ; en un mot que sous quelque face que l’on envisage les choses créées, il est impossible d’y trouver rien au-dessus de trois.

Trois est un nombre fondamental. Il exprime un ordre intellectuel et spirituel en Dieu, dans le cosmos et a fortiori dans l’homme.

Tout procède nécessairement par trois qui n’en font qu’un. En tout acte se distingue ; 1- le principe agissant comme sujet de l’action, 2- l’action de ce sujet, son verbe, 3- l’objet de cette action, son résultat.

D’une manière générale, le premier principe est actif par excellence, le deuxième est intermédiaire, passif par rapport à lui mais actif par rapport au suivant, quant au troisième il est strictement passif. En réalité, tout phénomène, sur quelque échelle, dans  quelque monde, est le résultat de la combinaison ou de la rencontre de forces différentes. C’est la loi des trois forces. La pensée contemporaine reconnaît l’existence de deux forces et leur nécessité pour la production d’un phénomène (force et résistance, magnétisme positif et négatif, cellule mâle et femelle). Quant à la troisième force, elle est souvent ignorée et pourtant nécessaire car c’est uniquement avec son aide que les deux premières peuvent produire leur résultat, la première active, la deuxième passive et la troisième… neutralisante. Elles n’apparaissent comme telles qu’au seul moment où elles rentrent en relation les unes avec les autres.

On retrouve dans diverses écoles, sous diverses formes, cet aspect plus intelligible de l’unité qui est un ternaire.

Le trinitaire apparaît dans la pensée religieuse chrétienne à la fin du IIe siècle en orient chez Théophile d’Antioche (trias) et en occident chez Tertillien (trinitas).  Avec l’avènement du Fils proclamé, au concile de Nicée (325), de même nature que le Père, consubstantiel, coéternel, engendré et non créé, l’Unique des Hébreux a éclaté en se divisant. C’est à trois «êtretés» que le concile de Constantinople (381) attribue subtilement les rôles de la trinité : le Père créateur ou intelligence, le Fils ou verbe rédempteur et le Saint Esprit ou amour sanctificateur.
Le fils devient la face visible de l’invisible ; la Renaissance picturale, en couvrant de chair l’idée de Dieu, a fait chuter l’absolu dans le relatif.

En cette icône de la Sainte Trinité, Œuvre d’art par excellence, réalisée par André Roublev au début du XVe siècle, se condensent des trésors de connaissance, de méditation et de savoir-faire. Entre autres significations symboliques, elle représente le Nom divin. L’Ange du milieu figure le Père, et l’Ange de gauche, le Fils. Tournés l’un vers l’autre, ils se contemplent et leurs regards se reflètent. Voilà le Bipôle. La couleur mauve caractéristique du Fils annonce la «septième race», violette, des hommes surévolués. L’Arbre des Vies, derrière le Père, signifie l’Un qui se multiplie ; la Cité, derrière le Fils, c’est le multiple qui s’unifie. L’Ange de droite, qui est à part, personnifie l’Esprit. C’est le plus féminin des trois, son bâton est le plus incliné, ses mains sont parallèles, son visage, fort penché, est illuminé par un regard intérieur. :

On retrouve les trois états de la manifestation en la personne des trois rois mages, Melchior, Gaspard et Balthazar. Ils symbolisent les trois fonctions du roi du monde dans la personne du Christ naissant, roi, prêtre, prophète. À souligner l’absence du 4ème roi mage, Artaban, égaré et toujours à la recherche de l’étoile qui fait penser au 4ème pilier occulté du temple maçonnique.

L’hommage, rendu à ce dogme de la trinité, perdure dans certaines interprétations du Delta lumineux maçonnique.

Dans le brahmanisme, la tri-unité se manifeste avec Brahma le créateur dont il n’existe en Inde que deux temples tant il est difficile à adorer, Vishnou le conservateur et Shiva le destructeur.
Les kabbalistes utilisent trois points triangulés, en remplacement du tétragramme (des 4 lettres, ils n’en retiennent que trois primordiales, la lettre hé apparaissant deux fois). Pour Reuchlin, les trois points sont à mettre en relation avec les trois plus hautes séphiroth de l’Arbre de vie, Kéther, Hochmah et Binah.

« Corps, Esprit, âme » représente les trois façons d’être au monde, sensible, intelligible et mystique. Depuis les Égyptiens de la plus haute antiquité jusqu’à nous, l’homme a toujours pensé receler dans la partie la plus haute et la plus lumineuse de lui-même, un principe différent du corps, qui lui commande et lui survivrait. De là à se poser la question : sommes-nous un corps ou avons-nous un corps ? Autrement dit composition ou union entre corps et esprit ?
Pour Platon, l’âme est une entité immortelle et divine, distincte du corps, qui est sa prison temporaire. L’esprit (ou la partie rationnelle de l’âme) est le moyen par lequel l’âme peut se libérer du corps et accéder à la vérité éternelle des Idées. Cette vision a profondément influencé la philosophie occidentale et les traditions religieuses. Les philosophies existentialistes et phénoménologiques (Sartre, Merleau-Ponty) insistent sur l’unité de l’expérience humaine, où corps et esprit sont indissociables dans la perception et l’existence.
La neuroscience tend à rejeter la séparation, expliquant l’esprit (conscience, émotions) comme un produit du cerveau (corps). L’âme, concept non mesurable, est absente des modèles scientifiques.

En alchimie on retrouve le ternaire avec le soufre, principe actif qui agit sur le mercure et le sel leur résultante.

D’autres ternaires combinent les opposés en les synthétisant en un troisième terme réalisant l’équation 1+1=3 : soleil, lune, triangle ; Osiris, Isis, Horus ; Niveau, perpendiculaire, équerre…

De nombreux peuples ont donné au nombre trois une importance magico-religieuse que l’on peut illustrer de quelques exemples:
Dans la religion de l’Iran ancien, on retrouve dans les textes de ses rituels -l’Avesta- des rites où le trois tient une place non négligeable. Ainsi pour se purifier de l’attouchement d’un cadavre, un homme doit creuser trois séries de trois trous que l’on remplit d’eau ou d’urine et bœuf. Il commence alors par se laver trois fois les mains puis le prêtre asperge  les parties de son corps souillées pour en chasser le mauvais esprit.
Le nombre trois se retrouve dans le tirage au sort au moyen de flèches divinatoires. L’intérêt de ce rite réside dans le fait qu’il recouvre une grande aire géographique de l’Iran jusqu’aux bédouins arabes. Hésitant devant une décision à prendre, l’homme choisit trois flèches, inscrivant sur l’une «mon seigneur m’ordonne», sur une autre «mon seigneur m’interdit» et rien sur la troisième. Il replace les flèches dans son carquois, en tire une au hasard, tire au sort, et suit les conseils prescrits.
Une coutume légendaire rapporte que lorsqu’un roi mourrait sans descendance, il fallait laisser s’envoler un aigle, et l’homme sur la tête duquel l’oiseau se poserait trois fois serait choisi comme souverain.

Le nombre trois donne donc à l’acte divinatoire un sens de participation au monde invisible supra-conscient qui décide d’un événement de façon étrangère à la logique humaine, trois actes successifs en conditionnant l’accomplissement.

On trouve également dans notre domaine culturel une foule d’actes dont nous ne pouvons indiquer la raison, même s’ils sont accomplis personnellement par jeu ou avec un certain sérieux. Dans tous les cas, il y a une relation logique entre l’acte et son but apparent. Tylor a donné à ce genre de phénomène le nom de «survivals» qui s’apparente à la superstition. On frappe trois fois sur le bois pour dire «pourvu que cela dure», on lève trois doigts en l’air pour prêter serment, le pompier frappe trois coups avant la levée du rideau, les scouts lèvent trois doigts pour saluer.

Dans le domaine moral des vices chrétiens, le ternaire revêt également une importance particulière. Les forces qui détruisent la foi de l’homme sont le mensonge, l’impudence et le sarcasme. Sont également trois les forces qui mènent l’homme vers «l’enfer», la calomnie, l’endurcissement et la haine. Enfer que Jean-Paul Sartre décrit dans Huit-clos comme étant la condamnation de trois êtres à vivre ensemble et toujours à travers une relation du type A privilégie B, B privilégie C et C ignore B. La triangulation des personnages au théâtre, et dans la vie, est presque toujours source de drame.

La perception du monde se fait à travers le ternaire : pensées, émotion, sensations. Chacune de ces fonctions psychiques est un instrument de connaissance. La plus complète que l’on puisse avoir d’un sujet ne peut être obtenue que si ce ternaire est actif simultanément.

En Franc-maçonnerie, parmi les nombres présents dans le temple qui se donnent à voir, le nombre trois paraît le plus utilisé de tous au 1er grade, représenté par une multitude de symboles : les trois grandes lumières, le triangle du delta lumineux, les trois piliers, les pas de l’apprenti, les coups de maillet. Parfois le trois est un nombre d’énumération, parfois un ternaire.  

Avec le Delta lumineux, schéma de l’être dans la multiplicité infinie de ses manifestations, on trouve le triangle portant en son centre l’œil, l’intelligence et principe conscient, les rayons exprimant l’activité, l’expansion constante de l’Être, enfin les nuages figurant le retour sur elles-mêmes des émanations expansives.

C’est avec la figure du triangle que les francs-maçons illustrent le mieux leur attachement au nombre trois.

«Il est singulier de rencontrer dans l’écriture accadienne le triangle comme signe de la syllabe rou qui a le sens de faire, bâtir. Si ce n’est qu’une simple coïncidence, elle est tout au moins frappante, et les Maçons enthousiastes pourront y voir un indice de la haute antiquité de leur symbolisme, car les monuments chaldéens dont il s’agit remontent à plus de 4500 ans avant notre ère.» (Oswalt Wirth, Le livre de l’apprenti,p.4/57).

Le triangle est une ligne brisée à trois côtés. Avec le cercle, c’est la forme géométrique la plus simple pour délimiter un espace intérieur et un espace extérieur. Il est l’insertion de l’initiation dans le monde profane. Il est le rapport de sa signification symbolique du ternaire avec tout ce qui est à l’extérieur, notamment le vieil homme qu’il faut abandonner.
Dans un triangle, on peut toujours trouver un point en relation avec les deux autres qui donne la solution à une affirmation confrontée à une négation.
Aux dires de Plutarque, le philosophe Xénocrate symbolisait dieu par un triangle équilatéral, qui est parfait puisque pourvu d’angles et de côtés égaux; les Génies (c’est-à-dire les hommes d’exception, les Héros…) étaient comparés à des triangles isocèles, à la perfection incomplète; quant aux simples mortels, ils n’étaient que des triangles scalènes.

Le triangle peut se rencontrer chaque fois qu’il s’agit de symboliser des triades. Trois lignes forment, par leur jonction, le triangle ou la première figure régulièrement parfaite, et c’est pourquoi il a servi et sert encore à caractériser l’éternel, qui, infiniment parfait dans sa nature, est, comme créateur universel, le premier être ; par conséquent, la première perfection.

Les trois points disposés en triangle équilatéral, ou triponctuation, dont un sommet est dirigé vers le haut, sont souvent employés pour abréger les mots spécifiquement francs-maçons, ce qui a valu aux maçons d’être appelés «frères trois points». En même temps qu’elle devenait l’un des éléments de la signature, cette abréviation s’est fixée en forme triangulaire, sans doute pour des raisons d’ordre symbolique. Probablement issue du delta lumineux, cette figure a été introduite dans les imprimés à partir de 1775.

Pour Pythagore, le triangle signifie la triple nature de la première substance apicale (qui est au sommet) différenciée en consubstantialité de l’Esprit manifesté, de la matière et de l’Univers leur fils. Cette consubstantialité émane du point, le véritable logos ésotérique, c’est ce que dit aussi Hermès Trismégiste. Le point unique du haut du triangle est l’unité d’où tout procède ; tout est de la même essence que lui. Le sommet pythagoricien est dit le père, le côté gauche est la duade, la mère, le côté droit représente le fils que l’on retrouve comme époux de la mère dans beaucoup de cosmogonies. La base est l’univers, naturé en père-mère-fils dans le monde phénoménal et, en même temps, unifié dans le monde hypersensuel de l’unité.


Les Scandinaves symbolisaient l’Esprit universel par un triangle dessinant une tête à triple face animée d’un perpétuel mouvement rotatoire.

Le triangle est un ternaire qui réconcilie, dans l’unité, deux termes au-delà de la dualité.

Deux termes complémentaires peuvent être, suivant les cas, en opposition horizontale (2 et 3) ou verticale (1 et 4).  L’opposition horizontale est celle de 2 termes qui se situant à un même degré de réalité sont symétriques sous tout rapport.

René Guénon présente dans son livre La Grande Triade les divers types de rapports que peuvent entretenir les termes d’un ternaire. Trois fondamentaux se rencontrent dans la tradition : un principe se polarisant en deux complémentaires (comme c’est le cas pour l’unité dont dérivent le principe masculin, le ciel, et le principe féminin, la terre: 1 en 2 et 3), un ternaire composé de ces deux complémentaires et de la résultante de leur union (comme c’est le cas pour le ciel, la terre et l’Homme, fils de la terre et du ciel: 2 et 3 en 4), un ternaire linéaire où un terme engendre le deuxième qui engendre le troisième (comme c’est le cas pour les «trois mondes», la manifestation informelle, la manifestation subtile et la manifestation corporelle). Le ternaire incluant la terre, le ciel et l’homme, place ce dernier en position de médiateur entre les deux premiers ; autrement dit entre équerre et compas signalé comme étant le lieu où se trouve le maître signalé comme étant le lieu où se trouve le maître  comme étant aussi le lieu où se trouve le maître en Franc-maçonnerie.
L’opposition verticale marque, au contraire, une hiérarchisation entre les 2 termes qui, tout en étant symétriques, doivent cependant être considérés l’un comme supérieur, l’autre comme inférieur. En effet l’essence et la substance sont respectivement le pôle supérieur et le pôle inférieur de la manifestation et l’on peut dire que l’une est proprement au-dessus et l’autre au-dessous de toute existence. D’ailleurs on les désigne par ciel et terre.

La manifestation se situe donc toute entière entre ces 2 pôles et il en est de même de l’homme qui, non seulement fait partie de cette manifestation, mais en constitue symboliquement le centre même et qui pour cette raison la synthétise dans son intégralité. Ainsi l’homme, placé entre le ciel et la terre, doit être envisagé comme la résultante de leurs influences réciproques, et ensuite, par la double nature qu’il tient de l’un et de l’autre, il devient le terme médian ou médiateur qui les unit, en quelque sorte le pont qui va de l’un à l’autre. C’est l’aleph  ou aspiration vers le ciel complété de dameth, la terre, c’est l’Adam étymologique!

Dire que le franc-maçon est placé entre équerre et compas indique justement cette place. Elle ouvre la voie au développement initiatique célébré dans la symbolique de toutes les maçonneries : l’usage du trois (3). Par le passage au troisième point et la réduction à l’unité, le franc-maçon se préservera du poison du dualisme profane.

Dans la Maçonnerie de Marque (La), le triangle équilatéral a une signification particulière, indiquant l’approbation du Maître sur le travail qui lui est soumis.

Par rapport à tout triangle, le triangle équilatéral, aux trois côtés et trois angles égaux, réalise l’égalité, il est la perfection, il est le divin tandis que le triangle isocèle (deux côtés seulement égaux) est l’humain. Le triangle équilatéral entier signifie éternité, les trois sommets désignent la passé, le présent et le futur, ses trois angles sont la sagesse, la force et la beauté mais également naissance, vie et mort. Le ternaire cosmique, temps, ténèbres lumière se réalise dans le triangle maçonnique. Sa base est la durée, le temps ; les côtés qui se rejoignent au sommet ténèbres et lumière. Sens de la création, ce triangle est aussi celui de l’initiation. Pour la Franc-maçonnerie latine, il évoque «liberté, égalité, fraternité». En 1877, le pasteur Frédéric Desmons propose la formulation suivante qui va être adoptée «La Franc-maçonnerie est une institution essentiellement philanthropique, philosophique et progressive, elle a pour objet la recherche de la vérité, l’étude la morale universelle, des sciences et des arts et l’exercice de la bienfaisance. Elle a pour principe la liberté absolue de conscience et la solidarité humaine. Elle n’exclue personne pour ses croyances. Elle a pour devise Liberté, Égalité, Fraternité» ; cette liberté qui garde les francs-maçons des préjugés parce qu’elle procède de l’esprit, cette égalité qu’ils affirment dans leurs attitudes parce qu’elle contient tout le respect de la nature humaine, cette fraternité qui restitue le sens de l’humanité.

La loi du ternaire se retrouve dans les bijoux distinctifs des trois premiers officiers d’une loge (le vénérable et les deux surveillants) à savoir l’équerre, le fil à plomb et le niveau sur lesquels on peut s’attarder.

La perpendiculaire est aussi appelée fil à plomb en Maçonnerie. Du latin perpendiculum, ce qui pend à la verticale et perpendere, peser attentivement, apprécier avec exactitude, évaluer avec précision.,
Indiquant la verticale, la perpendiculaire est à rapprocher de la colonne caractérisée par sa hauteur. Elle invite dans un mouvement descendant à l’introspection tourné vers le passé, complétant la visite du cabinet de réflexion ; la matière domine l’esprit. Sa remontée est une libération des contraintes antérieures et prépare au futur avec l’ascension, le dépassement, l’élargissement, la montée vers l’au-delà et tout ce qui exprime l’élan invincible et toujours recommencé vers l’inaccessible, avec l’amour ardent qui promeut la vie ; la matière s’équilibre avec l’esprit.
Le second surveillant qui a une fonction d’éveilleur des apprentis porte en sautoir la perpendiculaire, symbole actif de la recherche sur soi, de la profondeur de la connaissance et de sa rectitude. Il invite l’apprenti à descendre dans les tréfonds de la conscience de soi, mesurant la pesanteur de ses pensées, de ses actes et de ses propos, puis à s’élever, libéré, régénéré, apaisé et confiant, ayant accédé à un niveau de conscience nouveau.

Partie complémentaire de l’horizontalité dans l’équerre, la verticalité doit être marquée dans toute gestuelle maçonnique qui veut faire référence à la rectitude, à la droiture et à l’équilibre.

La perpendiculaire c’est la décomposition du nom d’A-dam en aleph aspiration vers l’infini et dameth, la terre, entre lesquels l’homme essaie de résoudre ses contradictions. Actif par nature, la perpendiculaire est le symbole de la profondeur, de la connaissance de soi, de la rectitude telle que l’officier chargé de l’instruction doit la rapporter à l’apprenti. Le fil à plomb est la voie de l’élévation spirituelle.

Le niveau du premier surveillant se présente sous la forme d’un  châssis triangulaire auquel est suspendu un fil à plomb qui vient battre une marque quand l’instrument est en position horizontale. Il est la seconde polarité par rapport à la verticalité, donc passif.
Ce mot provient de l’ancien français nivel, déformation de livel, du latin libella, qui désigne précisément le niveau maçonnique. L’outil, composé de deux jambages et d’une traverse graduée, est surmonté d’un fil à plomb oscillant ; stabilisé à la verticale, à équidistance de son piétement, il nous indique la rectitude de l’horizontale. L’archipendule est l’ancêtre du niveau, constitué d’un cadre et d’un fil à plomb.
Le niveau est l’outil de base sans lequel aucune construction ne saurait être bâtie sans risque de s’effondrer.
Le niveau dit «de maçon» est un outil de la Maçonnerie opérative. Il sert à mesurer l’horizontalité d’une surface, bien qu’il indique aussi la verticalité, s’entendant alors comme la droiture d’esprit. Il existe plusieurs types d’outils nommés  niveau, servant à vérifier la planéité : niveau à bulle, de charpentier, de paveur… Celui de la Franc-maçonnerie est un bijou, emblème de l’un des deux surveillants, variant selon les rites, avec la perpendiculaire. Ils s’appuient l’un et l’autre sur le fil à plomb. Ainsi ils permettent de vérifier la conformité de la réalisation, de l’élévation aux principes énoncés par le plan de l’œuvre, porteurs de signifiants philosophiques et de devoirs de fonction.
Pour le Chinois, le niveau est le symbole des magistrats, des hommes de justice, des justes, de ceux qui sont équitables… des hommes de droiture, ceux dont on dit parfois, en accolant le pouce et l’index et en traçant une droite dans le vide, qu’ils sont à niveau. On retrouve cette idée d’équité chez les Hébreux avec Isaïe 28.17 «Je prendrai le droit pour règle et la justice pour niveau».
Le niveau symbolise l’égalité fondamentale des hommes. Le règne de ce principe d’égalité, dans les droits et dans la valeur humaine, est la condition sine qua non de l’épanouissement de cet esprit de fraternité qui distingue la Franc-maçonnerie. Le niveau ne décrit pas l’homme, ce serait un leurre que de considérer l’égalité comme nature, il est son modèle d’action, signifiant que par son comportement l’homme institue l’égalité en se montrant équitable dans ses relations avec les autres ; c’est l’attitude seule qui donne un sens à l’égalité. Parce qu’il évoque avant tout l’égalité, le niveau convie les francs-maçons à inventer les relations qui permettront de manifester l’idéal humaniste et fraternel.
Commencé dans la verticalité avec le fil à plomb, l’apprentissage se poursuit dans le plan transversal avec le niveau. En passant de la perpendiculaire au niveau, le jeune maçon quitte le deux du dualisme, celui des oppositions, pour découvrir le deux de la multiplication, celui de la dualité.
Ce bijou, intégrant à la fois l’horizontale et la verticale, comme l’équerre, indique que seul le premier surveillant est qualifié pour remplacer le vénérable.

Au cadran solaire, le niveau se déduit de la verticale par un déplacement de l’ombre de la lumière.

L’équerre est portée en bijou par le vénérable. L’origine étymologique du mot vient du bas-latin exquadrare, dessiner des angles droits, rendre carré, équarrir. En latin classique, l’équerre se disait norma, d’où le mot français norme. Outil d’origine compagnonnique, l’équerre, croisée avec le compas, forme le plus connu des symboles maçonniques. Dans la Franc-maçonnerie spéculative, le symbole de l’équerre est attesté dès 1725.
Elle est l’union de l’actif et du passif dans la dynamique manifestée par ses branches. Ragon dit : l’équerre suspendue au cordon du vénérable signifie que la volonté d’un chef de loge ne peut avoir qu’un sens, celui des statuts de l’Ordre et qu’elle ne doit agir que d’une seule manière, celle du bien. L’équerre est considérée comme étant l’emblème de la perfection des travaux d’une loge dont le Vénérable Maître doit diriger toutes les orientations. Elle indique au maçon que s’il remplit avec exactitude tous ses devoirs, il pourra espérer parvenir à la vraie lumière.
Au niveau de la gestuelle, le signe, après la mise à l’ordre, rappelle au frère ou à la sœur l’obligation de respecter son serment lors de son initiation, il invite à la droiture. Par ailleurs, mettant les pieds en équerre, un frère (ou une sœur) doit toujours avoir en vue l’équité, la justice, la fidélité et l’irréprochabilité dans ses mœurs. Se mettre à l’ordre est l’incarnation même de l’équerre. En effet le maçon se tient droit, il est en équerre par rapport au sol, ses pieds sont en équerre et son pouce forme une équerre par rapport aux autres doigts de la main. L’équerre apparaît dans les signes d’ordre qui doivent tracer l’horizontale puis la verticale, marquant ainsi l’union des complémentaires. Elle représente l’action de l’homme sur la matière comme sur lui-même ; elle est reconnue comme symbole de bonnes mœurs.
Le maniement de l’équerre permet d’approfondir les concepts de droiture, d’équité et d’équilibre. L’utilisation mentale de l’équerre permet de donner aux mots leur sens propre afin qu’ils expriment des idées précises suivant des raisonnements droits. Grâce à l’équerre, le travail des maçons, pierre qu’il est, pourra lui faire bénéficier d’une juxtaposition parfaite sans laquelle la construction du temple serait impossible pour un vivre ensemble harmonieux. C’est parce que son rôle est de former de parfaits maçons que le vénérable maître porte l’équerre, outil indispensable pour transformer la pierre brute en pierre cubique.

Une forme de triangulation particulière est celle de la demande de parole : en loge, on ne prend pas la parole, on la demande. On ne s’adresse pas directement au Vénérable Maître dirigeant la loge, qui peut seul l’accorder, mais à un intermédiaire, le 1er Surveillant ou le 2nd Surveillant (suivant la place occupée sur les colonnes) qui la demande pour lui. Le Vénérable Maître informe que la parole est accordée en passant par l’un des deux intercesseurs sus-cités, lequel relaie l’autorisation au requérant. Ce dernier peut alors s’exprimer.

Une autre forme de triangulation est celle de la conservation d’un secret par la réunion de trois personnes. Un homme meurt, refusant de livrer un banal mot de passe pour se faire payer, connu de tous les maîtres, et un secret dont il était détenteur, par ailleurs, disparaît. Le secret n’est donc pas le mot de passe. La «parole» perdue apparaît comme un ensemble d’éléments répartis entre plusieurs détenteurs dont la méconnaissance d’un seul entraînerait l’inefficacité du tout ? Un morceau de code en somme, un morceau de symbole !

Dans la légende, de fait, trois personnes forment un triangle : Salomon, Hiram roi de Tyr, et Hiram, les trois grands maîtres, chacun assigné à un rôle particulier et indispensable dans la construction du Temple. La légende dit que le Roi Salomon, Hiram Abiff, Roi de Tyr (1 Rois: 7:13), et Hiram Abi de la tribu de Dan (2 Chr.: 2:13) se sont réunis pour concevoir les plans de la construction du Temple, Salomon conçut, Hiram de Tyr fournit les moyens et Hiram réalisa l’œuvre. Nous apprenons que le grand savoir devait être gardé par ces trois personnes jusqu’au parachèvement du Temple. La parole leur aurait-elle été confiée en trois parties. Chaque membre du ternaire serait détenteur du mot sacré ou d’une fraction de celui-ci.
Il fallait le concours des «trois premiers Grands-Maîtres», de sorte que l’absence ou la disparition d’un seul d’entre eux rendait cette communication impossible, et cela aussi nécessairement qu’il faut trois côtés pour former un triangle. Cela veut dire que chaque membre du triangle constitue la pointe d’une figure doté d’un centre commun. Ce centre, c’est le point de concordance des trois sensibilités magique, spirituelle et rationnelle qu’ils incarnent. Ce centre est donc l’essence de l’homme et de la nature c’est-à-dire l’essence de la vie qui se traduit concrètement en force de vie ou élan vital.
Comment se fait-il que, sachant que la parole ne pouvait être que par la réunion du 3 (le roi Salomon, le roi de Tyr et Hiram), comment se fait-il qu’aucun d’entre eux n’ait pensé à transmettre sa propre connaissance à un disciple pour que la chaîne ne se brise pas en cas de disparition? Était-ce se croire immortel ?
Compléter avec  l’ouvrage d’Hugues Berton et Christelle Imbert, Les enfants de Salomon, Approches historiques et rituelles sur les compagnonnages et la Franc-maçonnerie, p.457-462,  Dervy, 2015).

Tel Ulysse pénétrant à l’intérieur de «Trois», le franc-maçon sera victorieux des épreuves qu’il a subies que s’il comprend que dans le temple tous les symboles de la dualité, et ceux du ternaire, montrent, à l’évidence, une vision de la complémentarité des contraires et de leur coïncidence dans l’unité. À lui d’être capable de porter ce message hors du temple.

Cependant, on ne peut manquer de remarquer une ambiguïté dans l’usage du nombre trois. Tantôt trois est un processus qui permet de rendre compte de la multiplicité, trois demeure et un n’est atteint qu’en conclusion ou à la limite n’est jamais atteint. Dans d’autres cas, trois n’est qu’un processus de l’unité en action (christianisme). On pourrait dire que 3 est mineur par rapport à 1 dans le cas du monothéisme et que 3 reste trois dans le cas du polythéisme puisque les dieux peuvent être plus que trois. Il n’est pas inutile d’évoquer au-delà de trois les grands nombres, soit divins, soit démoniaques (légions lucifériennes) et au plan de la sensation, la désagrégation de la conscience sous les affects répétés.

L’unité de la conscience se trouve compromise par la croyance aux grands nombres dont trois et un nous protège.

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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