sam 19 avril 2025 - 07:04

Qu’entend-on exactement par symbolisme maçonnique et voie initiatique ?

La lecture récente dans notre journal d’articles évoquant la « désymbolisation » actuelle de la Franc-maçonnerie, ainsi que sa confusion avec des disciplines comme la thérapie, la philosophie ou les causeries sur l’actualité sociétale, m’a inspiré cet article. Mon objectif est de partager un éclairage sur la signification profonde du symbolisme maçonnique et de la voie initiatique que la FM propose.

Les origines et influences de la Franc-maçonnerie

les 3 religions monothéistes
symbole, musulman, chrétien, juif, judaïsme, catholique.

Pour certains Frères et Sœurs, la Franc-maçonnerie peut apparaître comme un moyen d’échapper à l’emprise du clergé ou au poids de la religion. Soyons lucides : les premiers pas de la Franc-maçonnerie anglaise, au XVIIIe siècle, ont été marqués par l’influence de membres anglicans qui, consciemment ou non, prolongeaient une action religieuse. Bien que la maçonnerie naissante ne soit jamais devenue une religion, elle restait profondément imprégnée d’une influence symbolique d’origine spirituelle. Cela explique sans doute la confusion observée chez de nombreux pratiquants en Loge, ainsi que l’impact de certains rites, comme le Rite Écossais Rectifié (RER), qui conserve une forte dimension chrétienne.

Nous n’entrerons pas ici dans un débat sur les rites ni dans une querelle de chapelles, car le sujet est ailleurs :

En quoi le symbolisme maçonnique du XXIe siècle se distingue-t-il des autres voies initiatiques ?

La quête de l’essence humaine et la voie maçonnique

Oscar Wilde

D’une manière générale, l’être humain cherche à trouver son centre, à se remplir de lui-même pour révéler son essence et donner un sens à son passage éphémère dans le monde matériel. Comme le disait notre Frère Oscar Wilde : « Devenez vous-même, les autres sont déjà pris », une idée que Nietzsche complète avec sa célèbre injonction : « Deviens ce que tu es. » Cette quête renvoie directement à la notion de vérité telle que les Grecs la concevaient. Le terme aletheia, qui signifie « lever le voile sur ce qu’on a oublié », suggère que l’humain n’a pas besoin d’un apport extérieur pour se réaliser. Il doit simplement révéler ce qu’il possède déjà à l’état latent, une vérité intérieure enfouie sous les couches de l’oubli et des conditionnements.

La Franc-maçonnerie, en tant que système initiatique, a synthétisé les savoirs et les méthodes d’arts multimillénaires pour créer un syncrétisme symbolique unique. Ce système se traduit par une méthode initiatique d’une grande efficacité, à condition qu’elle ne soit pas galvaudée et réduite à un cercle de philosophie ou à une antichambre de salon mondain, comme ceux du XVIIIe siècle parisien. Mais en quoi cette méthode est-elle véritablement efficace ? Depuis la nuit des temps, l’être humain erre entre ciel et terre, cherchant désespérément à comprendre la raison de son existence. Il repousse sans cesse l’échéance de la mort, croyant, à travers le matérialisme, pouvoir s’affranchir de son destin inéluctable. Comment la Franc-maçonnerie s’inscrit-elle dans cette quête ?

Les obstacles à la voie initiatique maçonnique

Disons-le d’emblée : il existe deux catégories de maçons pour lesquels la Franc-maçonnerie n’a aucun effet notable.

  1. Ceux qui cumulent maçonnerie et religion
    Remplacer le clergé par une Obédience et Dieu par le Grand Architecte De L’Univers (GADLU) ne change rien à la démarche fondamentale. Il n’existe aucune différence significative entre un chrétien traditionnel et un maçon « christique » qui transpose ses croyances religieuses dans la Loge. Les deux suivent un chemin similaire, avec une même finalité : l’espérance d’une transcendance. Or, la véritable démarche maçonnique repose sur une recherche fondée sur le doute et le questionnement, tandis que la religion s’appuie sur la foi. Comment concilier ces deux approches opposées dans une même semaine ? La Franc-maçonnerie, pour être initiatique, exige un détachement des dogmes et une liberté de pensée incompatibles avec une posture religieuse dogmatique.
  2. Ceux qui utilisent la Franc-maçonnerie pour des débats philosophiques ou sociétaux
    Transformer la Loge en un espace de discussion sur des sujets philosophiques ou d’actualité ne conduit pas à une illumination spirituelle. Ces échanges, bien qu’intéressants et souvent utiles pour la société, relèvent davantage d’un cercle d’idées ou d’un débat public, comme on en trouve partout dans le monde, sans qu’il soit nécessaire d’en faire un mystère. Dix profanes qui porteraient des tabliers maçonniques ne changeront pas la face du monde par de simples discussions. La voie initiatique n’est pas un espace de bavardage intellectuel, mais un chemin de transformation intérieure.

Le symbolisme maçonnique et son action initiatique

Examinons maintenant le cœur de la pratique maçonnique : le travail concret sur le symbolisme et son sens initiatique.

Tout ce qui compose une Loge maçonnique est chargé d’un sens cosmologique profond. Prenons quelques exemples :

Pavé mosaïque, colonnes équerre compas et symboles
Pavé mosaïque, colonnes équerre compas et symboles
  • Le fil à plomb évoque la loi de la gravité, un rappel de l’ancrage nécessaire à toute élévation spirituelle.
  • Le Soleil et la Lune symbolisent les forces d’attraction et de répulsion, les polarités qui régissent l’univers et l’équilibre intérieur du maçon.
  • Le pavé mosaïque, avec ses cases blanches et noires, représente l’alternance des contraires, une invitation à transcender la dualité.
  • Le Maître de Cérémonie, avec sa canne qui « tire », et l’Expert, avec son épée qui « pousse », incarnent le principe d’unité, une dynamique de guidance et de protection dans le cheminement initiatique.

Chaque élément de la Loge est interactif et interconnecté, formant un réseau de symboles qui s’entrelacent pour créer un langage universel. Ce langage n’est pas figé : il agit sur le maçon à travers une pratique ritualisée, de l’initiation à la répétition des rituels, qui sont autant de cadres structurants.

Le rôle des cadres dans la pratique maçonnique

La pratique maçonnique peut être vue comme une succession de cadres, à l’intérieur et à l’extérieur desquels le maçon travaille sur lui-même. Pour illustrer ce concept, prenons deux outils fondamentaux, l’équerre et le compas, hérités de traditions multimillénaires. En Chine, il y a 2500 ans, les figures mythiques Fuxi et sa sœur Nüwa étaient représentées avec ces outils : l’équerre symbolisant la Terre (le carré, la stabilité, le matériel) et le compas le Ciel (le cercle, l’infini, le spirituel). Ces outils servent à dessiner des cadres – carré pour l’un, rond pour l’autre – sur un plan matériel, mais leur signification est bien plus profonde dans le contexte maçonnique.

À quoi servent ces cadres qui entourent et accompagnent le maçon ? La réponse est à la fois simple et complexe, car elle n’est pas univoque.

compas et équerre : franc-maçonnerie
compas et équerre
  1. Trouver son centre
    Tout d’abord, comme tout parent le sait, il est essentiel de donner un cadre à un enfant pour l’aider à se structurer. Pourquoi ? Parce qu’un cadre permet à un être en évolution de trouver son centre. Un enfant sans cadre devient souvent un adulte sans limites, cherchant désespérément à les repousser à travers des comportements extrêmes : sports à risque, activités dangereuses, usage de substances, ou défi à l’autorité. De la même manière, un maçon qui apprivoise les cadres de son instruction maçonnique – à travers les rituels, les symboles, et les degrés – peut rejoindre le centre de son cercle intérieur. Il devient alors la pointe du compas, toujours au centre de son univers, où qu’il soit. Ce centre symbolise l’harmonie intérieure, un état d’équilibre et de plénitude.
  2. Le cadre comme moyen, non comme fin
    Une deuxième raison, tout aussi cruciale, est que si le cadre n’est pas apprivoisé, il devient un enjeu, voire une fixation. Or, le cadre n’est jamais une fin en soi, mais un moyen. L’humain libéré apprend à jouer avec les cadres, à les utiliser pour passer de l’un à l’autre tout en restant centré. Imaginons un surfeur : il glisse de vague en vague, conservant son centre de gravité pour ne pas tomber. De même, un maçon qui maîtrise les cadres de sa pratique peut naviguer dans l’existence sans perdre son axe. À l’inverse, un maçon qui, après trente années de pratique, rigidifie son esprit dans l’intolérance ou la « cratophilie » – l’obsession des titres, des décors et des grades – s’éloigne radicalement de la voie initiatique. Il devient non seulement un contre-exemple, mais un modèle nuisible pour ses Sœurs et Frères, car il a pris un chemin inverse à celui de l’initiation.

La maçonnerie comme Art Royal

Crâne et vieux livres sur une table
Crâne posé sur 2 vieux livres sur une table ancienne.

Ce qu’il faut comprendre de la pratique maçonnique, c’est qu’elle n’est pas une simple technique, mais un Art – et plus précisément un Art Royal. La différence est essentielle : une technique consiste à reproduire toujours le même geste pour s’améliorer, tandis qu’un art demande de réinventer chaque geste comme s’il était le premier. En maçonnerie, chaque rituel, chaque méditation sur un symbole, doit être vécu avec une fraîcheur nouvelle. Pour les Maîtres maçons, je rappellerai que la palingénésie – l’art de mourir pour renaître – n’est pas une invitation à s’accrocher à une vie sans vie, prolongée par des journées dépourvues de richesse intérieure ou de fraternité. C’est au contraire un appel à se transformer, à se dépouiller de l’ancien pour accueillir le nouveau, à chaque instant.

L’étape ultime : le pas de côté et le non-agir

Une fois que le maçon a compris et maîtrisé les lois du symbolisme – qui reflètent les lois d’alternance et d’harmonie de l’univers – une ultime épreuve l’attend : incarner le « pas de côté » dans toutes ses actions. Les maçons du deuxième degré ont tous entendu cette expression, mais combien la mettent véritablement en pratique ? Faire le pas de côté, c’est être à la fois l’acteur et l’observateur de sa propre vie. Les taoïstes chinois parlent du Wu Wei, le non-agir :

Observer sans s’attacher aux récompenses, sans rejeter les épreuves, regarder la vie comme un flux, s’observer soi-même mourir et renaître à chaque instant.

C’est comprendre que l’univers que nous percevons est à la fois le nôtre et une partie d’un tout, où tout est un.

Une voie parmi d’autres, mais un sommet unique

Si le sommet de la montagne que nous gravissons tous est un point unique – celui de l’éveil, de la réalisation de soi – les chemins pour l’atteindre sont multiples. La Franc-maçonnerie offre une voie initiatique riche et profonde, à condition qu’elle reste fidèle à son essence symbolique et qu’elle ne soit pas détournée vers des objectifs profanes, qu’il s’agisse de débats intellectuels ou de quêtes de pouvoir. Nous ne nous querellerons pas sur le sentier que chacun choisit d’emprunter, à condition qu’il mène bien vers le sommet et non vers une autoroute menant à la plage. À chacun son voyage… Bon chemin à tous !

4 Commentaires

  1. Je ne peux pas adhérer à cette réflexion :” …suggère que l’humain n’a pas besoin d’un apport extérieur pour se réaliser. Il doit simplement révélé ce qu’il possède déjà à l’état latent.” Au moment de la naissance d’un être humain, il y a un monde social, une civilisation , une diversité culturelle etc dont il est l’héritier. Certes, il est en mesure de de se réaliser, et il ne saurait être question de lui retirer les moyens qu’il se donne. Mais l’ état latent contient aussi cet héritage extérieur qu’il convient d’interroger, de contester éventuellement… tel que le suggère l’esprit de l’article dont l’intérêt ne saurait être contesté .

  2. Excelente enfoque y un buen ensayo sobre los objetivos y razón ee ser de la Orden. Hay HH que la toman como que fuera cátedra de filosofía y que eso es masonería y así otras vertientes útiles para comprender el uso de las herramientas, pero que no son en sí objetos de los propósitos masónicos.

    Excellente approche et bon essai sur les objectifs et la raison de l’existence de l’Ordre. Il y a des SS qui le prennent comme s’il s’agissait d’une chaire de philosophie et que c’est de la Franc-Maçonnerie et donc d’autres aspects utiles pour comprendre l’utilisation des outils, mais qui ne sont pas en eux-mêmes des objets de finalités maçonniques.

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Pierre d’Allergida
Pierre d’Allergida
Pierre d'Allergida, dont l'adhésion à la Franc-Maçonnerie remonte au début des années 1970, a occupé toutes les fonctions au sein de sa Respectable Loge Initialement attiré par les idéaux de fraternité, de liberté et d'égalité, il est aussi reconnu pour avoir modernisé les pratiques rituelles et encouragé le dialogue interconfessionnel. Il pratique le Rite Écossais Ancien et Accepté et en a gravi tous les degrés.

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