jeu 28 mars 2024 - 09:03

La notion de rituel dans la Chine classique

Texte et images de Georges Charles

Dans la Chine antique, ou classique, deux ouvrages essentiels traitent des rites, le I-Li (classique des Rituels Anciens) et le Liji ou Lijing (Classique des Rites). Le premier ouvrage, remontant à presque trois millénaires, n’y va pas par quatre chemins : « Les rites s’arrêtent aux fonctionnaires (officiers d’état qui deviendront les Mandarins (Guan) inférieurs et ne descendent pas jusqu’aux particuliers ; pour ceux-ci, point de règles de conduite ».

Lorsqu’il est question de « particuliers » il s’agit, pour les Chinois de cette époque des « wuming » donc des « sans nom », l’équivalent de notre « vulgus pecus », troupeau servile selon Horace (Epitres I XIX 19). Qualifiés également de béotiens et parfois même de profanes. Précisons que vulgum pecus est un barbarisme puisque vulgum n’existe pas en latin, sauf, évidemment dans le « latin de cuisine » cher aux copistes.

C’est, chez nous, ce qui plus tard différenciera les Nobles (nobilis qui signifie « celui ou celle qui possède un nom ») des autres, donc de ceux qui n’ont pas de nom. Les « ignobles » (ignobilis).

Dans le « Classique des Rites « Lijing » attribué à la Dynastie des Zhou (1045 av. J.C. 256 av. J.C.), constitué de plusieurs ouvrages mais plus récent, le Rituel s’est étendu à toutes les couches de la société, probablement comme l’impôt. C’est déjà presque une certaine forme de démocratie. En Occident la noblesse a perdu sa signification originelle à partir du moment où tout le monde a possédé un nom. Généralement une caractéristique physique (Legrand, Lenoir, Leborgne, Lelouche, Lebêgue, Leboiteux) ou la proximité d’un lieu de résidence (Dubois, Duval, Dupont (ou d !), Dumont, Dumoulin, Delagrange, Desmarais, Delisle, Bourgeois et Dubourg, Ducastel, Duchanel…). Sans parler des professions. Un phénomène presque semblable s’est passé en Chine il y a peu de temps où tous les Chinois, sauf les minorités ethniques reconnues, sont devenus des Han. Originellement il s’agissait des habitants de Cinq Royaumes centraux qui avaient, par ailleurs, des caractéristiques physiques particulières :  « la peau blanche, les cheveux « noir aile de corbeau », la gorge comme celle d’une hirondelle, les sourcils en « cocon de ver à soie », le front haut, le nez légèrement aquilin… ». D’un coup de baguette magique tous les Chinois, qui étaient loin d’avoir ces caractéristiques « raciales », se retrouvèrent donc Han un beau matin. Presque avec une particule. Mais revenons au rituel.

Le Maitre en la matière demeure incontestablement Confucius. En réalité Kong Qiu Zhong Ni, simplifié en Kong Qiu, puis en Kong Fuzi, ce qui signifie simplement « Maître Kong », et plus simplement encore en Kongzi (Kung Tsu).

Mais contrairement à ce que l’on peut croire, il n’était pas un fanatique du rituel. Pour lui importait principalement « l’attitude intérieure » et la sincérité. Il affirme donc simplement « En matière de rituel, il ne suffit pas de dire les bonnes paroles ni de faire les bons gestes mail il faut encore avoir l’attitude intérieure qui convient. »  Cette « attitude intérieure » est « Rong » qui est « la rectitude du cœur », le « cœur centré ».  La « juste attitude ».  Donc l’attitude juste.

Un commentaire explique que jadis le rituel était pratiqué pour soi et que cela nécessitait cette « présence » intime. Désormais (donc il y a plus de deux mille ans !) il est pratiqué pour autrui, pour l’apparence, le décorum et il n’en demeure que « la peau et les cheveux », donc « l’externe » (Wai). Selon le Maître Kong il est essentiel d’intérioriser (Nei) le rituel, de se l’approprier. En se l’appropriant il devient « authentique » (Zheng). On pourrait dire « rectifié ».

Un prince demanda un jour à Confucius ce qu’il ferait s’il était à se place, celui-ci répondit simplement « Zheng Ming » ce qui signifie littéralement « rectifier les noms ». Donc rendre aux mots leur juste valeur. Remettre les mots droits. En chinois courant Zheng Ming signifie simplement « le bon sens ». Actuellement on pourrait dire « redonner du sens ». Ce qui est un vaste programme. Le prince se le tint pour dit. L’appropriation désigne à la fois ce qui est personnel (cela m’est propre) mais aussi la purification par la rectification. C’est simplement rendre propre ce qui ne l’était pas. D’où la notion importante de purification par le rituel. Dans Daxue (Ta Hio – Le Grande Etude – qui pour certains est le résumé de la pensée confucianiste) Confucius (et son disciple Zengzi (Thseng-Tseu) affirme « Sur la baignoire de l’Empereur Tcheng est gravée cette inscription : Chaque jour renouvelez-vous, renouvelez-vous et renouvelez-vous encore car les souillures du cœur se lavent comme celles du corps ». Ce qui peut se traduite par « Régénération, régénération, régénération : purification ».

En se régénérant on se purifie. Il s’agit bien évidemment d’un rituel de purification comme il en existe toujours en encore au Japon avec le O Furo (Honorable Bain). Au Japon O indique la notion de Grand, donc de Rituel comme en Chine le Tai que l’on retrouve dans Taiji (Grand Faîte), Taisu (Grand Flux), Taizhong (Grand Centre). Le Rituel a donc, dans ce cas, la fonction de purification. Purification d’un lieu qui de « profane » devient « sacré », purification de celui où de ceux qui officient dans ce lieu « consacré » par le rituel.

En Chine un rituel taoïste de purification d’un lieu (dans le cadre du Feng Shui, par exemple) utilise les Cinq Eléments (Wu Xing – Cinq Matérialisations). On utilise le Métal (ouverture du lieu), puis le Feu (encens ou fumigation), puis l’Eau (aspersions rituelles avec de l’eau consacrée ou du sel), puis la Terre (délimitation de l’espace consacré – à l’intérieur sacré donc secret à l’extérieur profane donc commun) et enfin le Bois (Offrande ou Salutation rituelle). Le Métal est fondu par le Feu. Le Feu est éteint par l’Eau. L’Eau est absorbée par la terre. La Terre est conquise par le Bois. Et le Bois, c’est le renouveau, la régénération, la ressuscitation. Il représente aussi, en Chine, « la mort du disciple et l’éveil du maître ». Avec ou sans majuscules. Ce sont les Hexagrammes 36 Ming Yi « Obscurcissement de la Lumière » (Maximum de la Puissance du Yang ) et 37 Jia Ren (Etre du Clan, Retour au Clan après un voyage initiatique) (7+3 + 10 = Retour (à l’)Unité.

Confucius ajoute « En matière de Rituel les faibles ne sont pas censés faire de grands efforts ni les pauvres de dépenser de l’argent (qu’ils n’ont pas ! note de GC) » ou encore « En matière de Rituel mieux vaut la sobriété que l’exubérance ». Ce qui démontre sa bienveillante sagesse.

Mais, malheureusement, le rituel fait peur. Qi il ne s’agit pas du « rituel » de se laver chaque matin les dents, cher aux sociologues qui voient du rituel partout, donc nulle part. On a rapidement tendance à l’assimiler à une entreprise sectaire. Si on dit « Le Ciel est en Haut, la Terre est en Bas et l’Etre humain (ou l’Homme avec une Majuscule donc qui embrasse la femme) entre deux » on se retrouve classé comme « sectaire ». Donc suspect.

Le caractère chinois classique (mais pas forcément ancien !) pour Li, le « Rituel » représente à gauche (partie céleste donc Yang) une « force spirituelle » ou une « puissance spirituelle » la force de l’esprit et à droite (partie terrestre, matérielle, donc yin) un autel (des ancêtres), une bouche qui s’exprime, mieux qui exprime l’Unité, le Un et en haut un plat contenant de la nourriture, donc une offrande (Jacques Lavier). C’est « aller de la porte d’entrée à l’autel des ancêtres et effectuer une offrande ».
Quoi de plus honorable ? Comme aller déposer une fleur sur une tombe ou au pied d’une stèle commémorative. Ce qui nous fut quand même interdit il y a peu de temps pour des raisons « sanitaires ».

Le caractère chinois simplifié, donc actuel, représente, il est vrai, la même force spirituelle à gauche. Mais à droite, par contre, c’est un crochet de boucher qui ressemble fort à un hameçon. Le rituel est donc simplement et purement assimilé à de l’hameçonnage sectaire. Ce qui est pour le moins significatif d’un certain état d’esprit.

Le symbole est indissociable du rituel.

En Chine, le symbole ou plutôt l’image symbolique (Xiang) est indissociable du rituel. Pas de rituel sans image symbolique. En grec « symbalein » désigne « ce qui réunit ». A l’origine les deux morceaux d’une pièce brisée qu’il fallait réunir pour authentifier un message. Le message était gravé sur un objet qui était ensuite brisé et chacune des deux parties était confié à un messager. Les deux pièces étaient réunies et le message était alors considéré comme « délivré ». La notion de séparation puis de réunion désignait également l’éveil, la vérité intérieure. On retrouve la notion de cymbales qui ont pour but, en se réunissant, d’éveiller les spectateurs. En Chine, dans l’opéra classique, le coup de cymbale ponctue la phrase importante. On regrette alors de s’être assoupi car on a « manqué quelque chose ».

Pour l’Empereur Kangxi (1654 1722) qui rédigea un dictionnaire des caractères classiques chinois qui fait toujours référence « Le symbole Xiang (littéralement l’image-symbole) représente la dépouille d’un éléphant mort. Il faut faire l’effort d’imaginer ce qu’il était lorsqu’il était encore vivant. Il convient donc de lui redonner vie et mouvement. » En un mot comme en cent, un symbole sans cette vie et ce mouvement est « une charogne puante ». Il faut « redonner du sens » à ce symbole. Un précepte de la métaphysique chinoise affirme « L’énergie meurt (dans le sens de disparaît) où commence la forme. Sauf si celle-ci est animée d’un mouvement. Le mouvement est essentiel à entretenir la vie (Yangsheng) ». Il faut donc construire le symbole et l’imaginer en mouvement. Dans ce cas on constate généralement que le mouvement est dextre, bienfaisant, ou senestre (sinistre), dominateur donc généralement malfaisant. C’est ce qui différencie la croix bouddhique de la croix nazie. La première est censée « engendrer la lumière » (svastika Svasti = engendrer, donner naissance ; Ka la lumière) la seconde est censée s’opposer à l’engendrement de la lumière (sausvastika = sau, s’opposer, svasti, engendrer, ka, lumière). En chinois Sheng Ming et Wu Sheng Ming. La seconde est donc « la croix des ténèbres ». En Occident l’art héraldique ne s’y est pas trompé la première est le « croix gammée » la seconde la « croix crampée ». Le crampon était un instrument de siège destiné à faire écrouler la muraille. C’est la croix de « l’universelle araigne ». Mais la confusion est entretenue car le profane n’a pas à connaître cette différence pourtant fondamentale. Il n’a d’ailleurs pas à connaître ni à comprendre les symboles. Il demeure enfermé dans l’ignorance. Ce qui est vrai pour les croix gammées et crampées est vrai pour le Taiji qui tourne dans le sens de la génération, de la construction ou au contraire dans le sens de la domination, de la destruction. Les deux symboles peuvent cohabiter mais si un seul d’entre eux est présent mieux vaut qu’il soit dextre donc qu’il tourne dans le sens horaire des aiguilles d’une montre.

Dans la Chine antique on retrouve le symbole de l’équerre et du compas. Confucius, lui-même, reprend plusieurs fois cette « image ». A l’origine, ou plutôt avant celle-ci, préexistait le « chaos ». Un adage taoïste précise « Avait il y avait déjà « quelque chose », après il y aura « autre chose » encore ». Les Chinois ne connaissant pas les conjugaisons disent donc « Avant il y a déjà quelque chose après il y a encore autre chose ». Mais ce sont deux « divinités » (en réalité des Esprits Clairs et Brillants, donc bienfaisants (Shen Ming) )  Fuxi et Nuwa (ou Niouwa) qui « organisent ce chaos » grâce à l’équerre et au compas. L’Equerre représente le Yin, donc la terre, la matérialité tandis que le compas représente le Yang, donc le ciel, la spiritualité. Et l’être humain et la multitude des choses et des êtres se situe simplement entre deux.

Les anciens Chinois se considéraient d’ailleurs comme célestes (les Célestes) car l’être humain lorsqu’il est debout et vivant appartient plus au Ciel qu’à la Terre. Bon nombre de rituels cherchaient donc à l’enraciner, à retrouver ses racines. Tout en conservant la liberté d’action. C’est le principe des « racines et des ailes » (Cf. Patrick Charles). Le carré est donc la Terre (équerre) et le compas est donc le Ciel (compas). Ce même symbolisme se retrouve toujours dans le terme « Gongfu » ou « Kung-Fu » qui symbolise la compétence, l’expertise. Et non pas l’art de casser des briques, des planches, des pains de glace ou la tronche de celui, ou de celle, qui n’est pas d’accord.

Par contre le « Kung-Fu Wushu » est « la compétence, donc le savoir-faire, dans l’art chevaleresque ou art de la bravoure ». L’Empereur Kangxi, encore lui, explique « Wu, la bravoure. Le brave est celui qui sait faire cesser la violence sans nécessairement utiliser celle-ci ». L’image symbolique est simplement le caractère « arrêter, faire cesser » et une hallebarde, arme meurtrière. Et, malheureusement, Mars (qui a donné martial !) n’a rien à voire là-dedans puisqu’il s’agit d’un égorgeur psychopathe en jupette de cuir et qui, en plus, est un sacré looser. Dans l’Iliade il se retrouve toujours du côté de plus fort quand celui-ci va se prendre une râclée. Pour être poli. Il faut quand même insister sur le « nécessairement » car autrement on sombre dans le « bisounoursisme » béat. En Occident « le chevalier recherche l’accord sauf s’il ne peut être mis » (Jean de Meung – Le Roman de la Rose) et dans ce cas il dégaine son épée. Symboliquement l’épée franque (franche) dont droite représente la croix tandis que le cimeterre, courbe, représente le croissant (donc le « sans croix »). On peut donc imaginer le symbole de l’épée « flamboyante » à la fois droite et courbe. C’est à la fois « équerre et compas ». Dans les Arts Chevaleresques, donc classiques, en Chine, le Salut s’effectue en joignant le poing et la paume, ce qui forme l’idéogramme Soleil/Lune donc « Ming » la connaissance, la compréhension. Mais le pas « initiatique » consiste à représenter les deux trigrammes Kan et Li qui sont « l’Eau de l’abîme et le Feu du ciel » et le pas spécifique est celui « d’enjamber un cercueil ». On retrouve évidemment ce pas particulier dans les rituels des sociétés initiatiques chinoises ou comme moyen de reconnaissance entre « initiés ».

1 COMMENTAIRE

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Georges Charles
Georges Charles
Georges Charles, né à Paris en 1950, est un expert français des arts martiaux japonais et chinois. Depuis 1979, il est le maitre héritier et successeur en titre de l’école de boxe chinoise de l'interne san yiquan (du style xingyiquan). Auteurs de nombreux ouvrages, il est un pionnier des arts martiaux en France.

Articles en relation avec ce sujet

Titre du document

Abonnez-vous à la Newsletter

DERNIERS ARTICLES