dim 09 mars 2025 - 03:03

« Inchiesta Artemisia » : une Loge secrète à Trapani sous le feu de la justice sicilienne

De notre confrère sicilien trapani.gds.it

Le 28 février 2025, le Giornale di Sicilia (édition Trapani) titre : « Massoneria, inchiesta ‘Artemisia’: chiesti 115 anni di carcere ». Cette annonce marque un tournant dans une affaire judiciaire qui secoue la province de Trapani depuis 2019 : l’opération Artemisia, menée par les carabiniers et la Procura de Trapani, a mis au jour une prétendue loggia maçonnique secrète à Castelvetrano, accusée d’avoir manipulé nominations, financements et décisions administratives.

Lors de l’audience du 27 février 2025, la procureure Sara Morri a requis des peines cumulées de 115 ans contre les principaux imputés, dont l’ex-député régional Giovanni Lo Sciuto. Cette affaire pose une question cruciale : comment concilier l’idéal maçonnique de fraternité et de justice avec les dérives imputées à cette organisation ? Cet article explore les faits, leur contexte et leurs résonances au sein de notre Art Royal.

Une enquête aux origines explosives

L’opération Artemisia débute en mars 2019, quand les carabiniers de Trapani arrêtent 10 personnes et placent 17 autres aux domiciles surveillés, totalisant 27 suspects (TrapaniSì, 28 février 2025). L’enquête, coordonnée par la Procura de Trapani sous la direction de Sara Morri, vise à démanteler une structure qualifiée d’« association secrète à caractère maçonnique », opérant à Castelvetrano, ville natale du boss mafieux Matteo Messina Denaro, alors en cavale. Selon les procureurs, cette loggia aurait exercé une influence illicite sur la vie publique locale, notamment au sein de la commune de Castelvetrano et d’organismes régionaux.

Les accusations sont graves : trafic d’influence, corruption, abus de pouvoir et violation de la loi Anselmi de 1982, qui interdit les associations secrètes en Italie. Le Giornale di Sicilia détaille que la loggia aurait « piloté des nominations, détourné des financements et intervenu dans les choix administratifs », créant un réseau de favoritisme au profit de ses membres – politiciens, professionnels et membres des forces de l’ordre. Lors de l’audience du 27 février 2025, la procureure a requis 14 ans pour Giovanni Lo Sciuto, figure centrale de l’affaire, 8 ans pour Paolo Genco, ex-président de l’ANFE (Association nationale des familles d’émigrés), et 6 ans pour Felice Errante, ancien maire de Castelvetrano (LiveSicilia, 1er mars 2025).

Les protagonistes : un réseau sous la loupe

Giovanni Lo Sciuto, ex-député régional de Forza Italia et élu à l’Assemblée régionale sicilienne (ARS) de 2008 à 2017, est désigné comme le cerveau de cette organisation. Issu d’une famille influente de Castelvetrano, il aurait utilisé son statut pour tisser un réseau d’alliés, s’appuyant sur une loggia autoproclamée maçonnique mais non reconnue par les obédiences officielles comme le Grand Orient d’Italie (GOI). Paolo Genco, à la tête de l’ANFE, un organisme de formation financé par des fonds publics, est accusé d’avoir détourné des ressources au profit du réseau. Felice Errante, maire de Castelvetrano de 2012 à 2017, complète ce trio, soupçonné d’avoir facilité des décisions administratives en échange de soutiens politiques.

L’enquête s’appuie sur des écoutes téléphoniques, des perquisitions et des témoignages. Parmi les éléments probants, des conversations interceptées révèlent des tractations sur des postes dans l’administration publique et des financements détournés (Repubblica Palermo, 28 février 2025). Les procureurs affirment que cette loggia, loin des idéaux maçonniques, opérait comme une « mafia blanche », un terme repris par la presse pour souligner son caractère occulte et ses pratiques illégales.

Un contexte sicilien : maçonnerie et pouvoir

La Sicile, terre de paradoxes, a une longue histoire avec la Franc-Maçonnerie. Dès le XVIIIe siècle, les Loges y prospèrent, portées par des idéaux des Lumières et des figures comme Francesco Paolo Di Blasi, maçon et martyr de la liberté exécuté en 1795 (Storia della Massoneria in Italia, Franco Cardini, 2019). Au XIXe siècle, elles jouent un rôle dans l’unification italienne, attirant Garibaldi lui-même au GOI. Pourtant, cette tradition s’est parfois entachée de dérives, notamment dans un Sud marqué par la mafia et la corruption.

Castelvetrano, fief de Matteo Messina Denaro, incarne ce mélange toxique. L’opération Artemisia n’est pas un cas isolé : en 1992, l’enquête « Loggia Scontrino » à Trapani avait déjà révélé des liens entre maçons dévoyés, politiciens et Cosa Nostra (La Repubblica, 15 mars 1992). Plus récemment, l’affaire Lo Sciuto s’inscrit dans un climat de suspicion envers les réseaux occultes, amplifié par des scandali comme celui de l’INPS de Trapani en 2020, où des médecins et fonctionnaires étaient accusés de faux certificats d’invalidité (Giornale di Sicilia, 9 août 2020).

Une Loge hors des rails maçonniques

Une précision s’impose : la Loge d’Artemisia n’a rien d’une obédience régulière. Le GOI, principale obédience italienne avec 23 000 membres en 2023 (GOI Annuario, 2023), exige transparence et respect des lois nationales, conditions non remplies ici. Cette structure, qualifiée de « maçonnique autoproclamée » par les enquêteurs, semble avoir détourné les symboles et rituels maçonniques pour des fins profanes, une pratique condamnée par les instances officielles. Le GOI a d’ailleurs pris ses distances dès 2019, déclarant ne pas reconnaître cette entité (Comunicato GOI, 20 mars 2019).

Cette dérive rappelle des précédents historiques, comme la loge P2 de Licio Gelli, dissoute en 1981 après avoir infiltré politique et institutions italiennes (Commissione Anselmi, 1984). Elle interroge : comment des individus peuvent-ils détourner l’Art Royal pour servir des intérêts personnels, trahissant le serment de justice et de fraternité ?

Les réquisitions : une justice implacable

Lors de l’audience du 27 février 2025, Sara Morri a présenté une réquisition sévère, reflet de la gravité des charges. Les 115 ans demandés pour les principaux imputés (sur un total de 27 accusés) se répartissent ainsi : 14 ans pour Lo Sciuto, 8 pour Genco, 6 pour Errante, et des peines moindres pour les autres, incluant avocats, fonctionnaires et policiers (TrapaniSì, 28 février 2025). Ces chiffres, bien que cumulatifs, traduisent une volonté de frapper fort contre ce réseau, perçu comme une menace à la démocratie locale.

Le procès, en cours devant le tribunal correctionnel de Trapani, repose sur un dossier étoffé : 162 chefs d’accusation, des écoutes révélant des échanges explicites, et des preuves de malversations financières (LiveSicilia, 1er mars 2025). Les avocats de la défense, dont les plaidoiries débuteront le 7 mars 2025, contestent la qualification d’« association secrète », arguant que les activités relevaient de relations personnelles rather than d’une structure organisée (Repubblica Palermo, 28 février 2025).

Une résonance maçonnique : l’épreuve de la vérité

Cette affaire est un miroir troublant. Notre serment – « secourir nos Frères et Sœurs dans le respect de la justice » – nous impose une vigilance face aux dérives. Si les accusations se confirment, elles trahissent les valeurs fondamentales de la maçonnerie : la quête de Lumière ne peut s’accommoder de l’ombre de la corruption. Le silence de l’apprenti, symbole d’écoute et de patience, contraste ici avec le mutisme complice d’une loggia hors la loi.

L’affaire Artemisia invite aussi à une réflexion collective. En Sicile, où mafia et pouvoir s’entrelacent, les maçons réguliers doivent redoubler d’efforts pour incarner une alternative éthique. Le GOI et d’autres obédiences, comme la Grande Loge Régulière d’Italie, pourraient renforcer leur rôle éducatif, rappelant que la fraternité n’est pas un passe-droit, mais une responsabilité.

Un précédent dans un climat tendu

Ce scandale s’inscrit dans une série de coups portés aux réseaux occultes en Italie. En 2023, l’opération « Sistema Siracusa » avait révélé des collusions entre juges, avocats et politiciens (Il Fatto Quotidiano, 15 juin 2023). À Trapani, le spectre de Matteo Messina Denaro, capturé en janvier 2023 après 30 ans de fuite (ANSA, 16 janvier 2023), plane sur l’affaire, bien que les procureurs n’aient pas établi de lien direct avec la mafia dans Artemisia.

Conclusion : un appel à la vigilance maçonnique

L’inchiesta Artemisia, avec ses 115 ans de prison requis, met la Franc-maçonnerie sicilienne à l’épreuve. Si elle ne concerne pas les obédiences régulières, elle ternit l’image d’un ordre déjà malmené par les clichés. Pour les Frères et Sœurs, c’est un rappel : notre Temple se bâtit dans la transparence et l’intégrité. À l’approche du verdict, attendu dans les mois à venir, restons fidèles à notre serment, veillant à ce que la Lumière l’emporte sur les ombres profanes.


Sources :

  • Comunicato GOI, 20 mars 2019.
  • Giornale di Sicilia, « Massoneria, inchiesta ‘Artemisia’: chiesti 115 anni di carcere », 28 février 2025.
  • LiveSicilia, « Logge segrete, Castelvetrano: pm chiede 115 anni », 1er mars 2025.
  • Repubblica Palermo, « Massoneria, inchiesta ‘Artemisia’: chiesti 155 ans », 28 février 2025.
  • TrapaniSì, « Processo ‘Artemisia’, chiesti 115 ans », 28 février 2025.
  • Cardini, F., Storia della Massoneria in Italia, 2019.

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Erwan Le Bihan
Erwan Le Bihan
Né à Quimper, Erwan Le Bihan, louveteau, a reçu la lumière à l’âge de 18 ans. Il maçonne au Rite Français selon le Régulateur du Maçon « 1801 ». Féru d’histoire, il s’intéresse notamment à l’étude des symboles et des rituels maçonniques.

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