jeu 09 janvier 2025 - 17:01

Émotions, Rituel et Tenue maçonnique

I – Introduction

La démarche maçonnique est un défi fondé sur la capacité d’un rituel à permettre à un groupe d’êtres humains d’accéder à une spiritualité accompagnée de préoccupations sociologiques.

La première difficulté rencontrée pour réussir ce défi est la capacité des membres de la loge à gérer les émotions. L’objet de cet article est d’en exposer les différents attendus.

II – Rappel sur la spécificité des émotions

Il ne faut pas confondre les émotions et les sentiments ; ceux-ci sont également des réactions affectives évoluant de façon plus durables et complexes, mais avec une participation cérébrale faisant appel à notre vécu, notre intellect, voire notre imaginaire. Ils peuvent être également intenses.

Le mot « émotion » vient de l’ancien français motion, c’est à dire mouvement, qui a généré émouvoir, puis émeute, et ensuite émoi. C’est une réaction de l’organisme secondaire au ressenti d’un événement vécu. Cette réaction est généralement spontanée plus ou moins contrôlable.

Psychologiquement, on décrit différents ressentis psychologiques qui émaillent la vie des êtres humains :

  • Le ressenti des organes des sens
  • Les sentiments
  • Les émotions
  • Le stress.

La spécificité des émotions réside dans leur caractère réactionnel spontané lié à un événement intercurrent. Rappelons que l’utilité des émotions réside dans leur capacité à réagir face à un danger impromptu.

Le ressenti des organes des sens (goût, odorat, vue, toucher, ouïe) est plus physique et élémentaire mais il peut rentrer dans le cadre d’une émotion : une détonation intense par exemple peut nous inciter à nous plaquer au sol.

Le stress n’est habituellement pas considéré comme une émotion car il s’agit d’un état général de mal être qui perturbe le fonctionnement de la pensée.

On définit généralement comme principales émotions :

  • la joie (l’amour, l’excitation sexuelle),
  • la peur,
  • la colère (la révolte),
  • la tristesse (la dépression, le découragement) ;
  • on rajoute parfois la surprise, le dégoût, le mépris.

Le siège de l’émotion est situé au niveau du système limbique appelé parfois cerveau limbique ou cerveau émotionnel. C’est une zone différente que celle du cortex où l’on situe le fonctionnement de la raison.

II – En loge, le rituel est créateur d’émotions :

a / Tout rituel est écrit pour créer de l’émotion ;

Les émotions jouent un rôle clé dans les rituels lorsqu’elles sont comprises comme un moyen de renforcer la méditation intérieure ou transcendantale.

Le plus souvent il s’agit de la joie dans sa modalité « joie intérieure » ; il peut aussi s’agir de la tristesse quand il est fait mention des disparus ou des frères dans la peine. La surprise surgit aussi dans certains temps de l’initiation.

Nous vivons en loge, parfois une émotion collective puissante empreinte de sérénité : l’égrégore ; à ce moment précis l’émotion est sublimée, elle est dans une autre dimension où la raison n’a plus sa place. Il est clair que cela est induit par le rituel de la chaîne d’union.

Dans une approche mystique, les émotions sont utilisées pour favoriser l’accession à la spiritualité et en particulier au Grand Architecte de l’Univers.


Dans une approche non dogmatique, il est nécessaire de réinterpréter les rituels pour en faire un moyen d’accès à une spiritualité comprise comme une recherche d’harmonie.

Quels symboles pour vivre l’émotion ?

On pourrait citer :

  1. Le cœur : symbole universel de l’émotion, notamment de l’amour,
  2. La lumière : douce et rayonnante en particulier quand elle émanr d’une bougie
  3. Les couleurs :
    • Rouge : Passion, amour, colère.
    • Bleu : Tristesse, calme, sérénité.
    • Jaune : Joie, bonheur, chaleur.
    • Violet : Mystère, spiritualité.
  4. Les mains ou un cercle d’individus : en particulier la chaîne d’union.

b/ Les conditions préalables :

Pour vivre le rituel, il est indispensable d’être vierge d’émotions préalables pouvant être apparues dans les heures précédant la tenue ; ceci suppose un « retour sur soi » permettant un « lâcher prise ».
Cette condition préalable est parfois difficile à réaliser lorsqu’une perturbation psychologique installée transforme les dispositions d’esprit du maçon ou de la maçonne : c’est le cas par exemple en cas de troubles de la personnalité (en particulier les paranoïaques), de maladies chroniques invalidantes ou de chocs affectifs.

c / Rituel et émotions « perturbantes » :

En loge, le rituel impose son rythme et sa dramaturgie. Mais il arrive que des émotions non prévues par le rituel surgissent ; que cela soit un fou rire déclenché par un lapsus ou une désinvolture inappropriée d’un officier ou une prise de parole « décalée », l’expression de l’émotion peut devenir perturbante.

Les moments de vote sont aussi des périodes capables de susciter des émotions.
Il y a aussi les réactions suscitées par un morceau d’architecture : traditionnellement aucune déclaration de félicitation ou de réprobation n’est prévue mais la réalité est bien entendue différente et la passion peut prendre le dessus si un sujet sensible est évoqué !
Un attachement excessif à des désirs (la fameuse irruption de « l’ego ») ou à des attentes émotionnelles peut créer des obstacles à la quête spirituelle maçonnique.

Qui n’a pas déjà vu la réaction colérique d’un Vénérable se voyant contesté dans une prise de décision autocratique ?

Ces émotions perturbantes sont bien sûr contre -productives par rapport au rituel.
Comment accepter ces émotions perturbantes en loge ? C’est de la responsabilité du collège des officiers de veiller à contrôler les expressions intempestives d’émotions imprévues. Cela suppose tact et mesure ! L’anticipation est souvent un bon moyen de « maîtriser » la survenue éventuelle d’émotions intempestives

III – Comment gérer les émotions ?

Que cela soit dans la vie profane ou dans la vie maçonnique, les émotions par définition sont incontrôlables ! La seule possibilité qui nous reste c’est de les vivre le mieux possible en nous préparant aux différents événementiels de notre existence !

Le rôle du Vénérable et des membres du collège des officier-e-s est particulièrement important pour mettre en scène les moments du rituel créateurs d’émotions mais aussi pour maîtriser et si possible éviter les émotions « perturbantes » non prévues afin qu’elles ne perturbent pas trop le rituel.
Le meilleur moyen de privilégier les émotions suscitées par le rituel est l’implication de tous les membres de la loge aussi bien dans leurs comportements que dans les prises de parole : sérieux, dignité, concentration en sont les maîtres mots !

IV – La place de la Raison dans une tenue maçonnique :

Fondamentalement, la raison n’a pas sa place dans une tenue maçonnique car l’émotion règne ! Par contre en dehors du temple la raison prime ! Tout se passe comme si nous fonctionnons sous l’emprise de deux formes d’intelligence :

  • L’intelligence cognitive qui met en œuvre les connaissances acquises soit par l’éducation et l’apprentissage, soit par l’expérience. C’est elle qui « officie » lorsqu’il s’agit de Raison !
  • Et l’intelligence émotionnelle qui est “la capacité d’un individu à reconnaitre ses propres émotions et celles des autres et à utiliser ces informations pour guider sa pensée et ses comportements de manière efficace et optimale“.

Descartes affirmait « Toute connaissance vraie a sa source exclusivement dans la raison » ; aujourd’hui, il serait plus juste de dire « Toute expression raisonnable se fonde sur la connaissance que l’on possède ! » Cela a le mérite de montrer les limites de la raison car chacun sait que la connaissance a encore des limites !

La connaissance du fonctionnement cérébral permet de fixer le siège de la raison au niveau du cortex cérébral c’est-à-dire la partie du cerveau où sont stackées des informations accumulées par les êtres humains en fonction de leurs vécus. On a vu que pour les émotions cela se passe ailleurs !

V – Conclusion :

L’émotion est une force intérieure imprévisible. Les rituels s’en sont servis pour faciliter l’imprégnation symbolique et initiatique.

Mais d’autres émotions peuvent émerger spontanément, parfois de manière intense, et peuvent rapidement envahir notre esprit.

Pour atteindre un équilibre intérieur, il est essentiel de savoir accueillir les émotions. Accepter une émotion, c’est en reconnaître la présence, sans chercher à la réprimer ou à l’ignorer, pour l’analyser dans un deuxième temps et la comprendre voire à la critiquer.

Accepter l’émotion ne signifie pas pour autant céder à l’émotion. La raison nous aide à prendre du recul et à choisir notre réponse.

Cette attitude demande de la lucidité et un travail d’introspection. En apprenant à observer nos émotions, nous découvrons comment les accepter tout en gardant notre esprit clair et libre. C’est dans cette harmonie que se trouve la véritable maîtrise de soi, où l’émotion et la raison cohabitent, chacune trouvant sa juste place.

Lire aussi :

Les émotions ? Mais non voyons ! les Maçons sont des gens raisonnables !

Apprentissage transformationnel et compétences émotionnelles : études de cas auprès de Francs-maçons de la Grande Loge de France par Ivan Alsina

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Alain Bréant
Alain Bréant
Médecin généraliste, orientation homéopathie acupuncture initié en 1979 dans la loge "La Voie Initiatique Universelle", à l'orient d'Orléans, du GODF Actuellement membre d'une loge du GODF à l'orient de Vichy Auteur sous le pseudonyme de Matéo Simoita de : - "L'idéal maçonnique revisité - 1717- 2017" - Editions de l'oiseau - 2017 - "La loge maçonnique" - avec la participation de YaKaYaKa, dessinateur - Editions Hermésia - 2018 - "Emotions maçonniques " - Poèmes maçonniques à l'aune du Yi King - Editions Edilivre - 2021

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