Étymologie du mot du mot religion = religio
L’ambivalence d’Augustin sur l’étymologie de “religio”
Le débat sur l’origine étymologique du mot “religio” remonte à l’Antiquité, avec deux propositions principales :
- Cicéron : “relegere” (relire, observer scrupuleusement)
- Lactance : “religare” (relier, attacher)
La position d’Augustin
Augustin adopte une position intermédiaire, utilisant les deux étymologies de manière stratégique :
- Il choisit l’étymologie de Cicéron (“relegere”) lorsqu’il s’adresse aux non-chrétiens
- Il opte pour l’étymologie basée sur “religare” dans ses controverses avec les manichéens
Une nouvelle approche analytique
L’article propose d’analyser ces choix étymologiques d’un point de vue rhétorique, plutôt que purement linguistique. Cette approche permet de comprendre les motivations d’Augustin dans son utilisation des différentes étymologies en fonction de son auditoire.Cette analyse rhétorique considère les étymologies comme des éléments d’argumentation, révélant ainsi la stratégie discursive d’Augustin dans ses écrits théologiques et apologétiques.
La signification de la religion : un débat antique aux multiples facettes
Depuis l’Antiquité, l’étymologie du mot “religion” a fait l’objet de nombreux débats. Les auteurs latins comme Cicéron et Lactance proposaient deux origines distinctes du terme. Cicéron suggérait que “religion” venait du verbe relegere (qui signifie “relire” ou “rassembler avec soin”), tandis que Lactance, plus tard, proposait que ce mot venait plutôt de religare (signifiant “relier”). Cette divergence a traversé les siècles, et les chercheurs modernes ont continué à explorer ces propositions pour comprendre le sens original du mot.
L’étude linguistique moderne penche en faveur de l’étymologie proposée par Cicéron. Cependant, cette analyse ne permet pas d’expliquer la manière dont Saint Augustin, l’un des plus grands penseurs de l’Antiquité chrétienne, a utilisé ces deux étymologies de manière stratégique dans ses écrits. En effet, Augustin ne choisissait pas une seule définition du mot “religion”, mais optait pour l’une ou l’autre selon ses interlocuteurs.
Lorsqu’il s’adressait aux non-chrétiens, il préférait l’étymologie de Cicéron, évoquant l’idée de “relire” ou “réexaminer” la foi. Mais lorsqu’il débattait avec les Manichéens, une secte influente à son époque, Augustin choisissait plutôt l’étymologie de Lactance, insistant sur l’idée de “lien” ou de “connexion” entre l’homme et Dieu.
Cette approche flexible d’Augustin met en lumière la manière dont les anciens auteurs utilisaient l’étymologie non seulement pour expliquer un mot, mais aussi pour servir un argument. Pour eux, l’étymologie était un outil rhétorique, un moyen de renforcer un discours en fonction du contexte ou du public visé.
Les linguistes modernes, en se concentrant sur la recherche de l’origine précise d’un terme, soulignent souvent la “justesse” de Cicéron et l’erreur de Lactance. Pourtant, la démarche d’Augustin montre que la valeur d’une étymologie ne résidait pas uniquement dans sa précision, mais aussi dans sa capacité à convaincre ou à persuader.
Ainsi, l’analyse des textes antiques révèle que l’étymologie avait, à l’époque, un rôle argumentatif essentiel, loin des critères strictement scientifiques que nous lui attribuons aujourd’hui. Cette vision permet de mieux comprendre pourquoi Saint Augustin a pu jongler entre deux définitions, en fonction des débats religieux et philosophiques de son temps.
La controverse entre Augustin et les manichéens autour du terme religare
L’usage du terme religare dans l’œuvre d’Augustin trouve des similitudes avec la pensée de Lactance, notamment en ce qui concerne le rapprochement entre la philosophie et la religion. Cependant, en observant de près les passages où ce mot est utilisé, des différences significatives apparaissent entre les deux penseurs. Ils décrivent en effet des expériences religieuses très distinctes.
Lactance, dans son ouvrage Les Institutions divines, rejette ouvertement l’étymologie du terme religio proposée par Cicéron, qui associe la religion à l’idée de “relier”. Pour Lactance, la religion est avant tout un lien de soumission entre l’homme et Dieu, évoquant des termes liés à l’esclavage comme uinculum (lien), obsequium (obéissance) et seruire (servir). Cette vision présente la religion comme une forme de servitude spirituelle où le fidèle se soumet à son créateur. Cependant, Lactance ne développe pas cette étymologie de manière scientifique, mais l’utilise plutôt pour appuyer son argumentation apologétique contre le paganisme.
Augustin, quant à lui, adopte une approche différente dans ses écrits, en particulier dans ses controverses contre les manichéens. L’un des points centraux de son opposition au manichéisme est la relation entre l’âme et Dieu. Pour Augustin, l’âme humaine, séparée de Dieu par le péché, doit être réconciliée avec Lui. C’est à travers la réconciliation que l’âme peut à nouveau se relier à Dieu, un processus que décrit le terme religare. Il n’utilise pas cette étymologie dans un sens purement linguistique, mais plutôt pour renforcer son argument contre l’émanatisme manichéen, qui voit l’âme comme une partie consubstantielle de Dieu, donc parfaite et sans besoin de purification.
Dans son traité De la vraie religion, Augustin développe cette idée en affirmant que la vraie religion est celle qui permet à l’âme de retrouver son créateur après avoir été arrachée de lui par le péché. Il insiste sur la notion de purification de l’âme, qui doit être renouvelée par la religion pour se rapprocher de Dieu. Contrairement à Lactance, qui voit la religion comme un lien de servitude, Augustin envisage une relation plus spirituelle et intérieure, où l’âme du croyant cherche à se reconnecter avec son créateur.
Cette opposition entre Lactance et Augustin met en lumière deux conceptions très différentes de la religion : pour Lactance, elle est un lien de soumission, tandis que pour Augustin, elle est un processus de réconciliation et de renouvellement spirituel. Ces divergences soulignent l’importance du contexte dans lequel chacun utilise l’étymologie de religare, non pas comme une vérité scientifique, mais comme un outil rhétorique pour soutenir des arguments théologiques.
Ainsi, même si les recherches linguistiques modernes privilégient l’étymologie proposée par Cicéron, il est important de comprendre que Lactance et Augustin utilisaient ces étymologies pour soutenir leurs discours dans des débats philosophiques et religieux. L’enjeu pour eux n’était pas tant de définir la religion de manière linguistique que de l’expliquer dans un cadre spirituel ou apologétique, en fonction de leurs interlocuteurs et des contextes polémiques dans lesquels ils écrivaient.
En conclusion, la lecture de ces étymologies dans le cadre de la pensée antique montre qu’elles ne doivent pas être prises comme des vérités immuables, mais comme des arguments visant à persuader un public dans un contexte de controverse religieuse.
L’AMBIVALENCE est à son comble lorsque l’on parle de LA RELIGION du LIVRE ( ce qui pourrait sembler être un pléonasme) mais qui , rappelons le est celle de la PRATIQUE de la BIBLE ( Bible = Bibliothèque : ensemble de livres…)
LA PRATIQUE, c’est bien : Observer scrupuleusement (Cicéron)
Le LIVRE , c’est bien : Ce qui est relié, attaché (Lactance)