jeu 21 novembre 2024 - 11:11

Le mot du mois : « Fécondité »

Le sémantisme *dhe-, très ancien, désigne l’idée de sucer, de têter, affectée à ce qui relève du féminin et de la maternité, la nourrice *tithénè en grec. L’épithélium, ce qui est sur le mamelon. Le latin reprend le même champ lexical, féminin, femelle, efféminé, fille, filiation, fœtus. 

Au départ, seule la femme est associée à l’engendrement et non l’homme, elle est maîtresse de la génération. À la différence du nom anglais woman, contraction de wife-man, en ce qu’elle est épouse de l’homme, dans son rapport à lui. D’ailleurs, chez les Grands-Bretons, à l’époque victorienne, la féminité est synonyme de pathologie, ses douleurs naturelles sont forcément liées à un désordre dans l’alimentation, l’habillement, les mauvaises habitudes sociales…

Et seuls les bains froids et les lavements éviteraient les mauvais rêves d’une épouse !

À coup sûr pour stigmatiser toutes les formes de son exubérance, du sémantisme *uber-, qui lui aussi exprime l’idée de fécondité et de fertilité. Une végétation luxuriante n’est-elle pas signe d’exagération et de débordement, tout comme l’exubérance d’un comportement féminin, avec la volubilité du bavardage qui est fréquemment affecté à la gente « féconde » ?

Les rituels de noces, dans toutes les cultures, témoignent de la vigilance qu’on porte à ce qui assurera la fécondité du couple, sous forme de cadeaux faits à la jeune épousée de fruits « explicites », miel, sésame, coing, datte, noix, figue.

Ce sémantisme induit aussi ce qui est le produit, par exemple d’un pré qu’on fane, la fenaison, *fenum, le foin, le sainfoin, *fenunculum le fenouil.

Le latin *fecundus, *fecunditas, conditionne l’idée de *felix, *felicitas, parce que ce qui produit des fruits est signe de fertilité, donc de bonheur, rend heureux. Et mérite des félicitations.

Ce rôle de chef nourricier, seigneur alimentaire, est octroyé au roi antique, pourvoyeur de bienfaits et de fécondité, et garant de la prospérité de son peuple, s’il respecte les règles de la justice et les commandements divins.

En revanche, à la fécondité et à ses attributs, qui autorisent la reproduction physique, s’oppose d’autant plus la castration sous toutes ses formes, ce qui retranche, coupe. Comme si le castrat, au milieu des choeurs, pouvait conserver l’excellence d’une nature vocale autre, d’une qualité en expansion justement parce qu’elle se voit débarrassée de cette corporéité qui la corrompt, d’une sexualité pécheresse. L’Église a ainsi exercé, aux XVIIIe et XIXe siècles, sa coercition à l’encontre de ce qui relève de la féminité, en prônant le célibat des prêtres, en empêchant le clergé héréditaire. Une castration symbolique pour favoriser une plus grande fécondité spirituelle ? Voire…

Annick DROGOU

Fécondité, y a-t-il un mot plus généreux dans la langue française ? Ce qui donne du fruit en abondance, toutes sortes de fruits, des enfants qui deviendront des hommes et des femmes, des idées, des projets encore inconnus ou cachés qui seront demain ou après-demain réalités. Comme la grenade, ce fruit symbole de fécondité aux multiples grains qui se cachent sous l’écorce de l’apparence. La fécondité est la vie qui germe et fructifie. Mais l’irénisme n’est pas de mise. La fécondité peut s’avérer maléfique quand « le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde. » Quelle fécondation voulons-nous porter ?

Il ne tient qu’à chacun d’entre nous de veiller à ce que nous voulons voir advenir, de savoir quelle fécondité nous encourageons, comme le jardinier prend soin de ses plantes ou le berger de ses bêtes. Car la fécondité n’est pas un acte de volonté. C’est une attitude, un encouragement qui laisse advenir et fructifier. La fécondité n’est pas un prolongement de soi, un clonage, c’est toujours l’avènement du nouveau. C’est une confiance dans l’à-venir, et même plus qu’une confiance, c’est un don à l’avenir et à la vie toujours renouvelée. La fécondité exige la patience, le temps comme absolue nécessité de la fécondation, de la gestation et de la germination.

Il y a bien des façons pour les humains d’être féconds, et pas seulement en donnant naissance à d’autres petits humains. La seule, la grande fécondité est notre capacité à faire naître la vie. Appelez cela l’amour, la lumière, l’émancipation, d’en être une terre fertile et nourricière pour nos semblables, nos proches. La seule fécondité qui vaille ne va pas sans amour. D’ailleurs, d’une terre féconde, ne dit-on pas qu’elle est en amour !

Jean DUMONTEIL

1 COMMENTAIRE

  1. Le problème des femmes les plus imminentes, dans l’Ancien Testament, appelées «les Mères», fut cependant celui de leur stérilité provisoire, problème résolu et dissolu, comme on va le voir, par l’épreuve de l’ALTÉRITÉ. Ce qui apparaît de la capacité du devenir-mère dans l’infini textuel de la genèse est de l’ordre de la spiritualité, car c’est la volonté divine qui accordera la descendance comme récompense existentielle. C’est que l’on peut lire de leurs histoires. Alors rions avec Sarah, rusons avec Rébecca, répétons l’histoire avec Rachel et avec d’autres encore qui pourraient illustrer ce terme récurrent de la Bible et qui ont eu nom Hanna, Ruth…

    Les patriarches, eux, sont des hommes féconds, leurs servantes en témoignent.
    Avram eu Ismaël avec la servante Agar. Pendant ce temps-là, sa femme Saraï a préservé son incomparable beauté dans la souffrance de sa stérilité. «Quand une femme est enceinte elle est enlaidie et manque de grâce. Ainsi pendant les 90 ans où Saraï n’eut pas d’enfant, elle était comme une fiancée sous son dais» se lit dans Genèse 45-4. On connaît la prédiction, on en connaît sa réalisation, on écoute encore le rire de bonheur de cette primipare de 90 ans qui met au monde l’enfant Itshak (en hébreu, mot qui signifie il rit).

    Mais ce qui est à entendre c’est que l’accomplissement de cette maternité se fait par le changement dans les noms du père et de la mère. Saraï devient Sarah. Le midrash explique que le yod perdu (valeur 10) de Saraï est le signe du masculin et de la puissance. Il y a cassure de ce yod en 2 hé (valeur 5). La substitution de ce yod en hé (h) dans le nom de Sarah est l’indicatif du féminin et symbole de fécondité. C’est comme si Saraï donnait quelque chose d’elle à Abram, qui devient dans le texte Abraham, comme si à partir du moment où elle reconnaissait l’Autre, Sarah devenait féconde par cette reconnaissance. «et ton nom ne sera plus appelé Abram, mais ton nom sera Abraham, car je t’ai établi père d’une multitude de nations… Quant à Saraï, ta femme, tu n’appelleras plus son nom Saraï ; mais Sarah sera son nom.» (Genèse 17-5 et 17-15), (à rapprocher de Agar devenue Hagar après sa maternité).

    Rebecca, la femme d’Itshak, est aussi une grande beauté stérile : «Itshak intercède auprès d’Achem en présence de sa femme, oui, elle était stérile» lit-on en Genèse 25-21. Ils enfanteront pourtant les jumeaux Ésaü et Jacob par la suite.

    Entre Jacob (celui qui saisit le talon) et Rachel (la brebis) existait un lien d’amour charnel passionnel. Tant que le désir d’enfant n’est autre que le «trans-faire» de l’amour de son époux, également marié avec sa sœur Léa dont il a eu plusieurs enfants, Rachel est privée de maternité. Comme sa sœur, c’est à travers la maternité que se joue pour elle la conquête de Jacob : Rachel jalouse sa sœur, elle dit à Jacob : «offre moi des fils, sinon je suis morte moi-même ; et Jacob se fâcha contre Rachel, et dit : Suis-je à la place de Dieu qui t’a rendue stérile ?» (Genèse 30-1, 2). Dans cette relation d’amour passionné il n’y a guère de place pour un tiers, aussi Rachel souffre-t-elle de ne pouvoir enfanter comme s’il s’agissait d’une expérience de la mort en la vie. Elle exalte ce désir, et la Tradition affirme que Dieu aime entendre les larmes de justes et de ceux qui placent le souci d’un autre qu’eux-mêmes au cœur de leur désir et de leurs oraisons. Rachel offre sa servante à Jacob pour enfanter à sa place, «Voici ma servante Bilha ; va vers elle, qu’elle enfante sur mes genoux, et par elle j’aurai, moi aussi, une famille». Là encore l’idée de la mère porteuse. Dans cette ouverture à l’altérité, en acceptant une maternité de substitution, Dieu se souvient de Rachel, elle accède à une authentique maternité, elle enfantera Joseph et demande encore, «donne-moi un autre fils», ce sera Benjamin.

    À considérer l’histoire de ces femmes au statut central dans le destin du peuple des hébreux, à penser l’éclairage si particulier de leur attente du devenir-mère accordé par Dieu, selon le texte, il s’impose que la capacité d’advenir mère n’est donnée qu’après une gestation spirituelle dans un temps de compréhension où cela ne va pas de soi et où il faut qu’il y ait de l’AUTRE. Dans son ouvrage, La stérilité comme épreuve de la loi, Assoun écrit : «Ce moment d’oubli de soi et de l’autre que signe la stérilité d’origine inconsciente ne serait donc pas quelque raté d’ordre fonctionnel mais un véritable grippage symbolique : non pas temps perdu à abolir par une technique ad hoc mais, pour qui de droit, temps de comprendre que là où une femme était, une mère peut advenir».

    Dans l’Ancien Testament, la maternité apparaît comme le paradigme de l’altérité, comme une éthique procréative.

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Annick Drogou
Annick Drogou
- études de Langues Anciennes, agrégation de Grammaire incluse. - professeur, surtout de Grec. - goût immodéré pour les mots. - curiosité inassouvie pour tous les savoirs. - écritures variées, Grammaire, sectes, Croqueurs de pommes, ateliers d’écriture, théâtre, poésie en lien avec la peinture et la sculpture. - beaucoup d’articles et quelques livres publiés. - vingt-trois années de Maçonnerie au Droit Humain. - une inaptitude incurable pour le conformisme.

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