Nos besoins génétiques ou actuels trouvent leur satisfaction dans le modèle actuel des plateformes. Le comprendre permettra de réagir. Les milliers d’années d’évolution qui nous ont précédés ont gravé quelques points-clé de l’espèce dans nos gènes. Le cerveau humain est programmé pour poursuivre quelques objectifs essentiels, basiques, liés à sa survie à brève échéance : manger, se reproduire, acquérir du pouvoir, le faire avec un minimum d’efforts et glaner un maximum d’informations sur son environnement.
Ces cinq objectifs sont désignés comme « renforçateurs primaires ». Le mécanisme passe par le « circuit de la récompense » et implique la dopamine. Nous en parlions plus longuement dans un article précédent.
Ces automatismes sont exploités par les concepteurs des grandes plateformes (GAFAM et autres) afin d’en faire des addictions. Un mécanisme central est la captologie, ensemble des techniques utilisées pour prolonger au maximum notre présence sur un site internet. Et tant pis (pour nous) si notre attention moyenne retombe à quelques secondes, tels des poissons rouges. Adultes, nous n’avons qu’à nous en prendre à nous-mêmes. Mais pour les enfants on assure que les dégâts seront plus longs à réparer, si on y arrive.
De nombreux essayistes, sociologues, psychologues, etc. se sont penchés sur ces mécanismes.
Gérald Bronner fut un de premiers à tirer la sonnette d’alarme avec sa « démocratie des crédules », suivi par Bruno Patino et sa « civilisation du poisson rouge ». Une première réaction intéressante fut la montée des sites de vulgarisation scientifique focalisés sur le « débunkage » des vérités approximatives qui gangrènent internet. Là encore, les inquiétudes concernent surtout les jeunes. Anciennement l’éducation comportait une bonne partie de données culturelles (histoire, géo, bio, littérature) à ingurgiter. Beaucoup s’apitoyaient donc sur ce traitement inhumain et manipulatoire dont on farcissait ces pauvres têtes blondes. Résultat, actuellement, tous savent que Wikipedia contient pas mal de choses à peu près correctes, mais bien peu de jeunes y vont. Et ces pages blanches se jettent donc sur l’océan de contre-vérités, fake news et propagandes insidieuses que l’on trouve sur TikTok.
Alain Damasio, auteur de SF, sait quels récits captent l’attention.
Il sait aussi que le futur fait toujours recette. Il a voulu comprendre comment fonctionne le business dans la Silicon Valley. Son voyage d’étude et son œil averti lui a inspiré son « la vallée du silicium ». Il ne perd pas de vue que nos siliceux ne s’intéressent qu’aux processus rentables. Comment faire ? Il s’agit de susciter de gros volumes d’échanges entre les internautes, en se plaçant toujours entre eux. Il s’agit donc de créer des communautés dans lesquelles les individus ont un certain plaisir de groupe, mais sans que les rapports soient étroits. En effet, si les gens se rencontrent physiquement ensuite, pas de rentrée d’argent pour la plateforme ! Et, deuxième sanction, pas de data enregistrée à exploiter pour le profit de demain. Pour obtenir cela, on va au besoin prendre des pans entiers de vécu et les simuler (cas des jeux vidéo ou du Métavers). Il faut à tout prix que cela passe par une plateforme qui touchera des bénéfices, à la vente du matériel, à son usage en ligne, à la revente de votre profil. Pour vous convaincre que c’est la bonne façon de faire, on vous rappellera que tout ce paradis est portable via votre smartphone.
Les addictions sont créées le plus rapidement et profondément si elles impliquent les renforçateurs primaires évoqués ci-dessus. Le porno est bien sûr celui qui est lié au besoin de reproduction et aux plaisirs dont l’évolution nous a dotés pour faire la promotion de la chose. Les inconvénients de la reproduction on les découvre plus tard.
Les jeux vidéo permettent de croire un instant que le pouvoir nous appartient, ou au moins que le plaisir du jeu est présent, permettant par occupation constante d’oublier un peu notre environnement angoissant.
Obtenir des plaisirs sans effort c’est la promesse permanente de la technologie.
Elle nous augmente nos périodes d’oisiveté et/ou de boulimie, flattant les renforçateurs correspondants, car l’évolution ne nous a pas avertis génétiquement des dangers de l’obésité et du diabète. Remarque en passant : tout à notre désir d’oisiveté, nous avons aussi négligé le fait qu’à chaque sous-traitance supplémentaire vers les machines, nous perdons un savoir-faire et un savoir, et augmentons notre dépendance. Les suites de l’intelligence artificielle risquent d’être douloureuses, surtout si nous retournons dans des situations de guerre.
Acquérir toujours plus d’info fait aussi partie du package de nos renforçateurs. Le réseau X (ex-Twitter) marche toujours bien, on peut y rajouter bien d’autres plateformes, dont les diffuseurs de nouvelles complotistes, permettant aux adeptes de se voir dans le petit cercle des initiés. Tiens, initiés ? Soyons en certains, le parfum de secret (affadi, depuis le temps) a joué en rôle dans la pérennisation de notre ordre. Bref, tout est en place pour que ce phénomène des plateformes survive pour un bon moment.
Il correspond aux besoins du business, on l’a vu.
Il matche avec nos faiblesses génétiques, on l’a vu également. Et un troisième trait apparaît : le modèle des bulles permet un communautarisme, mais permet aussi de maintenir la distance entre individus, angoisses sécuritaires et sanitaires obligent. À moins qu’il ne s’agisse que de l’individualisme qui a tout envahi ? Ce modèle réduit aussi progressivement le besoin de déplacements physiques : ne travaillerons-nous demain qu’à domicile ? Et idem pour les consultations médicales ? Et pareil pour les loisirs ? C’est déjà un peu le cas avec notre société « Netflixée ».
Il est peut-être temps de faire la liste des soumissions auxquelles nous avons consenti et de réexaminer les coûts/bénéfices associés à chacune et à leur total. La formule « c’est qui le patron » suppose qu’on aime le confort de la maîtrise. Pour cela, il faut obligatoirement passer par les stades d’apprenti (sage) et de compagnon (nage).
Dieu a créé l’Homme à son image, dit-on : existe -t-il un éternel recommencement dans l’Univers où l’Homme créateur du robot ne serait en définitive lui même qu’un robot biodégradable produit par on ne sait qui et ainsi de suite ? C’est une interrogation VERTIGINEUSE ! Si Eternité il y a , elle n’est pas dans l’Homme en tous les cas !
Très bon article qui méritent un développement des argumentaires principaux tels la génétique et la grégarité ainsi que l’économie pour être excellent